Le voyage, c’est la part du rêve. (Daphnée)

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ui, c'est vrai, c'était elle qui lui avait demandé de l'aide en premier, elle ne pouvait pas le nier, mais ce n'était pas de cette aide-là, qu'elle parlait. Tout ce qu'elle avait attendu de lui, c'est qu'il lui permette de se rendre de l'autre côté de l'océan, après quoi elle n'avait pas eu l'intention d'insister davantage ou de réclamer quoi que ce soit d'autre. Et elle considérait qu'il en avait fait bien assez pour elle, déjà, au demeurant.
Sans lui, elle ne serait pas ici, loin de Féerie et à l'abri de la sorcière, rien que pour cela, il n'avait pas besoin de se sentir redevable davantage. Elle n'attendait rien de plus de sa part, mais c'était tout de même un fait, en lui demandant de l'aide en premier lieu, elle avait sûrement, quelque part, scellé leur destion commun... Sans l'ombre d'un doute, même. D'ailleurs, pourquoi était-elle venue vers lui en premier lieu ? Elle serait bien incapable de l'expliquer, en réalité. Cela ne tenait pas seulement au fait qu'il était la seule personne compétente capable de la conduire de l'autre côté, en d'autres circosntances, ça n'aurait pas suffi pour autant. C'était simplement qu'elle avait confiance en lui... Sans avoir su se l'expliquer, elle avait su qu'il ne la trahirait pas et réussirait à la comprendre dans une moindre mesure, ce qui était bien sûr immense, déjà, et non négligeable, bien loin de là.

Alors même si elle pourrait protester, lui affirmer qu'elle n'avait plus besoin qu'il se soucie d'elle, elle n'eut pas le coeur de s'exprimer de la sorte. Au fond, elle était loin de penser de la sorte au bout du compte. Daphnée n'avait plus personne ici, et elle se doutait qu'elle ne pourrait pas empêcher Gorav de vouloir veiller sur elle comme elle ne saurait s'empêcher de son côté de s'inquiéter pour Eleonore et pour Anthony. C'était dans l'ordre des choses, voilà tout. Et ce n'était pas désagréable de savoir qu'elle avait un allié fiable en ces terres désertiques (car même si Clifford l'aidait beaucoup, elle serait bien loin de lui accorder toute sa confiance). Alors elle n'allait pas s'en priver.

Elle afficha un léger sourire quand il ajouta qu'il la trouvait sympathique. Ce n'était pas le genre de compliment qu'on lui faisait tous les jours. Et pour cause, à bien y réfléchir, on ne lui faisait jamais de compliments, en vérité. Ou très rarement.

-Merci. T'es sympa aussi. Elle marqua une légère pause. Sûrement trop sympa pour les gens qui t'entourent.

Et là-dessus, pas de doute, elle ne pouvait que le penser effectivement. Mais il faut croire que rien n'était plus difficile que de s'entourer des bonnes personnes. Parce qu'elles étaient beaucoup trop rares.

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aphnée ne répondit rien quand son interlocuteur observa qu'elle devait savoir qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. Elle savait qu'il ne prononçait pas ces mots comme un conseil mais comme une réalité dont il savait qu'elle avait pertinemment conscience, et elle appréciait qu'il ne lui fasse pas l'affront de croire que c'était là une leçon qu'elle avait à découvrir. Elle était certes jeune encore, mais elle avait bien assez tôt eu l'occasion de comprendre cette vérité, et elle ne l'avait malheureusement pas apprise dans les meilleures conditions possibles, loin de là. Elle avait été naïve, autrefois, oui. Elle avait vu cette femme charmante les accueillir, elle et son frère, au sein de son foyer alors que tous les deux n'avaient plus rien, elle s'était laissée engraisser, elle avait laissé Louis se faire engraisser lui aussi, et elle n'avait compris bien trop tard que derrière les atours maternels et agréables de la femme qui les avait hébergés se dissimulaient les traits d'une sorcière cannibale et sans scrupule.

Oui, elle avait appris qu'il ne fallait pas se fier aux apparences très tôt dans sa vie, et le reste de son expérience n'avait que fait le confirmer par la suite... C'était une morale dont tous les Féeriens, d'ailleurs, devraient s'imprégner. Et elle savait quelque part que c'était la cause que poursuivaient les rebelles. Alors elle devrait le cautionner, sans doute, mais ce n'est pas parce qu'on est d'accord sur le fond de quelque chose que l'on doit forcément en apprécier la forme. De toute évidence, Nathaniel considérait que la fin justifiait les moyens, et c'était là une manière de penser que la jeune femme ne se voyait pas adopter une seule seconde.

Alors oui, elle savait qu'il ne fallait pas se fier aux apparences, ce n'est pas pour autant qu'elle était capable de croire son interlocuteur quand il affirmait ne pas être une bonne personne. Oh, sans doute n'était-il pas quelqu'un de réellement gentil... et d'ailleurs, elle non plus ne l'était pas, mais elle était en revanche convaincue du fait que Gorav était capable d'une douceur et d'une bienveillance dont des individus tels que celui qui s'était proclamé chef des rebelles ne serait absolument jamais capable quoi qu'il puisse advenir. Il y' avait de la bonté en lui. Et elle espérait, au fond, qu'il le découvrirait. Peut-être que c'était ça, qu'elle pourrait lui apporter en retour de tout ce qu'il faisait pour elle. Alors que, concrètement, rien, définitivement rien, ne l'y obligeait.

-Tu l'es. Si tu ne t'en rends pas compte, c'est que tu l'es encore plus que ce que je pensais. Elle marqua une légère pause. Tu sais que Nathaniel va finir par te trahir, n'est-ce pas ?

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aphnée se retint d'affirmer que la possibilité que Nathaniel finisse par trahir Gorav était en fait une certitude. Elle comprenait bien que la décision de son interlocuteur était prise, et elle ne pouvait pas lui reprocher d'avoir choisi son camp, surtout que c'était dans un intérêt bien plus vaste. Daphnée avait envie de penser que son interlocuteur avait la force de caractère nécessaire pour ne pas se laisser manipuler par Nathaniel et surtout se laisser avoir (ce qui, en revanche, elle le craignait fort en tout cas, était le cas d'Eleonore et d'Anthony, même du prince Gabriel), mais seul l'avenir le confirmerait.

Elle espérait seulement que quand Nathaniel choisirait de montrer son vrai visage à Gorav, il le ferait d'une manière à laquelle l'homme saurait réchapper. En attendant, elle espérait que Gorav obtiendrait gain de cause. Si elle ne voulait plus croire dans les idéaux défendus par les rebelles, elle voulait en revanche croire dans les aspirations de son interlocuteur. Elle avait suffisamment arpenté le royaume du bout de l'océan, en long et en large, pour avoir compris à quel point ces terres avaient besoin d'un nouvel espoir, et une personne comme Gorav était capable de l'apporter. Elle avait le sentiment que le royaume du bout de l'océan pouvait encore être sauvé, quand féerie était de toute manière condamnée, et ce peu importe qui prendrait finalement sa tête.

-Et qu'est-ce que tu désires obtenir, précisément ?

Oh, en soi, elle connaissait les grandes lignes, elle savait que l'homme voulait que ses terres natales soient enfin gouvernées en bonne et due forme par un dirigeant qui se soucierait réellement de son royaume et de son peuple, que le royaume du bout de l'océan retrouve sa beauté et sa prospérité d'antan. Mais ça ne lui suffisait pas malgré tout. Elle avait envie que son interlocuteur lui donne une raison plus personnelle. Quand bien même elle était convaincue de la noblesse d'âme de Gorav, elle était convaincue qu'il n'avait jamais existé le moindre acte désintéressé. Ces derniers trouvaient toujours leur fondement dans telle ou telle considération personnelle ou prosaïque.

Bien sûr, ce n'était pas très juste que d'attendre de son interlocuteur des informations sincères et personnelles alors qu'elle-même restait muette (c'est le cas de le dire) quant à ses propres motivations, à son propre passé. A vrai dire, elle pensait qu'elle serait à cette heure capable de le faire effectivement comprendre à son interlocuteur, mais elle ne s'en ressentait pas pour autant le courage. Se replonger dans ces événements, remonter à la mort de son frère, surtout, était une épreuve beaucoup trop douloureuse pour qu'elle sache réellement l'envisager avec sérénité et sans inquiétude. Pour l'heure, c'était elle qui posait les questions, et de toute évidence, ça l'arrangeait. Qui sait combien de temps cela durerait, néanmoins.

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aphnée n'apprenait rien en soi en entendant Gorav lui assurer qu'il souhaitait mettre fin au règne du sultan. C'était une évidence, tous les combats qui avaient été menés à l'heure actuelle par son interlocuteur et Nathaniel de ce côté de l'océan avaient pour fin (en tout cas en apparence) de faire tomber Adarsh de son piédestal. Et cette seule raison pouvait suffir sans avoir besoin d'être justifiée. Après tout, de ce qu'elle en voyait, des échos qu'elle recevait, la jeune fille n'avait pu qu'en prendre pleinement conscience : ce monde était dévasté, ravagé, et cela devait incomber autant à la guerre qu'à une politique d'austérité menée d'une main de maître par un homme qui estimait être dans son bon droit en s'appropriant toutes les richesses plutôt que de les partager. Mais il n'y avait pas que ça. Gorav avait d'autres motivations. Et ça, c'était un élément que Daphnée n'avait pas jusqu'alors eu en sa possession.

Si elle leur trouvait des caractères hautement différents, voilà un nouveau point commun qu'elle pouvait attribuer à Gorav comme à Nathaniel : les deux hommes cherchaient à renverser le pouvoir, et cette décision pouvait servir le bien commun. Malgré tout, leurs motivations n'en demeuraient pas moins entièrement personnelles. Pour Gorav, c'était assez évident à présent qu'elle entendait le récit du serviteur bafoué et du vase brisé. Pour Nathaniel, elle ne savait pas tout. Elle avait seulement compris sans mal que s'il haïssait tant Edgar, ce n'était pas par considération envers le peuple féerien, juste parce qu'il avait une revanche apprendre sur lui. Au fond, ça n'avait que peu d'importance. Un motif égoïste qui engendrait des conséquences altruistes, n'était-ce finalement pas un bon motif. De la part de Gorav, elle pensait que oui. De la part de Nathaniel, la situation resterait forcément et irrémédiablement incertaine autant que dangereuse.

-Et qu'est-ce qui se passera ? demanda la jeune fille, curieuse, ses grands yeux tournés vers son interlocuteur. Si vous réussissez à renverser le sultan, qu'est-ce qui se passera ?

Est-ce qu'ils mettraient un autre sultan au pouvoir ? Est-ce que ce sultan serait meilleur que le précédent ? Est-ce qu'il était possible d'accéder à une situation de pouvoir sans sombrer immédiatement dans la folie, dans l'égoïsme pur ? Elle n'avait pas les réponses à ces questions, mais elle se les posait. Elle pensait honnêtement et sans pourtant l'avoir connu que l'homme qui avait précédé Edgar n'avait pas été un mauvais homme, et pourtant, à Féerie, ceux qui ne savent pas devaient s'imaginer que le nouveau roi valait le précédent, était même meilleur. Qu'est-ce qui se passerait pour Féerie ? et le royaume du bout de l'océan, quand leur gouvernement serait entièrement remis en question. Comment s'assurer que tout serait mieux et pas pire ?

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aphnée devrait peut-être ravaler sa curiosité, mais ce n'était pas ni n'avait jamais été dans sa manière de faire. Il était rare qu'elle articule les questions qu'elle se posait, parce que le silence était, à ses yeux, d'or, mais quand elle le faisait, elle n'oubliait jamais de finir presque tous ses propos par l'interrogative. Le sort du royaume du bout de l'océan la concernait aussi, à présent, après tout, puisqu'elle avait décidé d'y vivre et d'y rester. Certes, même si elle s'y sentait bien, elle avait tout de même le sentiment d'y être étrangère (fait que sa pâleur de peu ne faisait qu'accentuer), trop étrangère, en fin de compte. Mais cela changerait... Elle n'avait pas l'intention de s'impliquer dans la guerre en voie de se dérouler. Elle n'avait pas échappé aux manigances de Nathaniel pour se retrouver mêler à d'autres sortes de manigances (auxquelles le fugitif n'était pas étranger, qui plus est) maintenant qu'elle se trouvait ici, ce n'était pas du tout ainsi qu'elle avait envie de procéder, certainement pas. C'était même tout l'inverse de ce qu'elle avait envie de faire. Malgré tout, elle ne se voyait pas demeurer dans l'ignorance non plus, ce serait à ses yeux la pire des choses, et parfaitement contreproductif, qui plus est.

La réponse de Gorav ne pouvait pas réussir à convaincre Daphnée même si elle n'avait rien d'inattendue. Daphnée n'entendait rien à la politique, mais elle considérait dans tous les cas que laisser reposer le sort de tout un peuple entre les mains d'une seule et unique personne était une erreur monumentale, et qui méritait d'être corrigée... D'autant qu'elle ne pensait pas qu'il existe en ce bas monde un seul homme que le pouvoir ne puisse corrompre. C'était sûrement pessimiste de sa part, et elle était sûrement trop jeune pour l'être à ce point. Mais on ne lui ôterait pas de l'esprit que c'était bien souvent ainsi que les choses se déroulaient. Et elle souhaitait mieux pour le royaume dans lequel ils s'étaient établis.

-Dans ce cas, il faudrait que vous nommiez le sultan vous-même, non ? Pour être sûr que c'est quelqu'un de bien...

Parce que sinon, ce serait sans doute le fils aîné d'Adarsh Raddhal qui prendrait sa succession, et même si elle ne savait rien de ce jeune homme, elle se disait que ce sne serait sûrement pas un choix savant quoi qu'il en soit, si ce jeune homme avait vécu dans tous les luxes et les richesses du royaume ensoleillé tout ce temps. Que pouvait-il savoir de la misère de son peuple, lui qui vivait prisonnier de sa cage dorée ? Et comment être sûr que la situation ne serait pas pire que maintenant ? S'ils étaient frappés par une seconde guerre, rien ne garantissait leur paix d'esprit.

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était facile, évidemment, pour une enfant qui avait passé la majeure partie de sa vie à l'ombre et n'entendait rien à la politique, que de suggérer de remplacer le sultan par quelqu'un de bien, comme si cette situation évidente était simple à exécuter, comme s'il suffisait de désirer une démocratie pour que cette démocratie existe. C'était facile à dire, pas simple affaire. Mais même si Daphnée faisait preuve de candeur, ça lui était totalement égal. Elle avait bien compris qu'une guerre se préparait, et si guerre il devait y avoir, elle préférait qu'elle n'ait pas éclaté en vain, qu'il y ait encore de l'espoir, pour eux tous. Et pour cela, il fallait croire qu'un renouveau positif était possible. Daphnée n'avait jamais eu le loisir d'être naïve, mais elle réussissait à croire en l'avenir tout de même, et elle espérait que son interlocuteur y croyait également, sans quoi, cette situation n'aboutirait à rien.

C'était pour cela qu'elle voulait faire confiance à Gorav plus qu'elle n'avait fait confiance à Nathaniel. Parce que Nathaniel se fichait de sauver Féerie et de ce qu'il adviendrait ensuite, il voulait sa vengeance, un point c'est tout. Gorav, pour sa part, avait peut-être envie de se venger, mais ce n'était pas son unique motivation. Il était également porté par le désir sincère de voir son monde évoluer dans le bon sens, et c'était à ce titre qu'elle sentait pouvoir se fier à lui, c'était à ce titre qu'elle estimait pouvoir lui faire confiance, suffisamment par exemple pour daigner lui adresser la parole.

Elle hocha doucement la tête quand son interlocuteur affirma qu'ils avaient du temps. Ce n'était pas la première fois qu'elle entendait ça, mais elle avait du mal à le comprendre. Elle se trompait peut-être, mais elle, elle avait le sentiment que chaque minute comptait, qu'ils ne pouvaient en perdre aucune. Il y avait une guerre en préparation, des "méchants" à combattre, alors même si le temps qu'ils avaient devant eux était objectivement long, aucune seconde ne pouvait simplement être gâchée. Elle considéra un moment son interlocuteur avant de reprendre la parole, consciente que son discours serait réfuté avant même qu'elle l'ait prononcé. Mais ce n'était pas grave.

-Si tu veux mon avis, tu devrais devenir sultan, décréta-t-elle alors sans se démonter un seul instant.

Elle le pensait, c'était la même chose pour Anthony, qu'elle aimerait voir sur le trône de Féerie, elle savait bien que dans un cas comme dans l'autre, ils ne remplissaient pas forcément les critères pour briguer l'autorité suprême, mais c'était justement parce qu'ils ne les remplissaient pas qu'ils étaient parfaits dans ce rôle. Gorav était un homme juste, volontaire, qui voulait le bien de son peuple. C'était ce qui devrait primer, non ?

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aphnée n'était pas le moins du monde étonnée de la réponse de son interlocuteur. Elle savait bien, à l'instant même où elle avait suggéré qu'il serait un excellent sultan, qu'il répondrait que non. Pourtant, et même s'il est vrai qu'elle restait une jeune fille naïve, qui n'entendait pas grand-chose à la politique, elle continuait de penser que l'homme avait ce qu'il fallait pour gouverner judicieusement un pays. Certes, il n'avait peut-être pas les épaules, mais Daphnée estimait qu'en vérité, il n'y avait aucun être humain au monde pour réellement avoir les épaules quand il était question d'accomplir une telle tâche. Certains pouvaient peut-être se convaincre qu'ils étaient plus compétents, certains avaient sans doute une meilleure connaissance du métier, mais dans les faits, pour elle, n'importe qui se retrouvant à une telle position n'était pas faite pour ce genre de position. Car à dire vrai, ce genre de position ne devrait pas exister. Seulement voilà, Féerie devait avoir un roi, et le royaume du bout de l'océan un sultan. Semble-t-il que c'est ainsi que les choses devaient fonctionner, qu'il fallait toujours quelqu'un au sommet de la pyramide.

Quitte à ce qu'il y ait quelqu'un, autant que ce soit quelqu'un de bien, non ? Ce serait forcément un être humain, alors pourquoi ne pas jauger ses qualités de coeur avant tout ? Gorav était un homme sérieux, intelligent, généreux, qui se battait pour rendre justice aux plus faibles. Quand on avait les épaules pour mener de front une révolution, pourquoi rencontrerait-on de réelles difficultés à gouverner ? Enfin, c'est sûr qu'il serait en revanche handicapant que de s'engager dans une telle position sans le vouloir vraiment.

Daphnée haussa les épaules quand Gorav affirmait qu'ils s'en sortiraient sans doute mieux avec une femme au pouvoir. C'était flatteur envers son sexe, il est vrai, et c'était agréable d'entendre un homme le reconnaître. Mais Daphnée était convaincue qu'une femme serait tout à fait capable de faire autant de dégâts que le sultan actuelle. Tout comme une femme pouvait parfaitement être capable de gouverner très judicieusement le royaume pour lui rendre son lustre d'antan. Dans le fond, ça n'avait pas grande importance, qui gouvernerait, que ce soit une femme ou un homme. Ce qui avait en revanche de l'importance, c'est que ce soit quelqu'un de bien, quelqu'un de digne. Mais si Gorav en parlait ainsi, c'est peut-être qu'il avait un nom particulier en tête ? C'était peut-être là où il voulait en venir ? Difficile de le savoir. Mais forcément, elle n'allait pas taire sa curiosité.

-Tu penses à quelqu'un en particulier ? demanda-t-elle directement, intriguée.

Quand bien même le nom de cette personne, s'il y en avait effectivement une, ne lui dirait rien dans tous les cas.

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onc, en effet, Gorav avait une personne en particulier à l'esprit, et Daphnée fut quelque peu étonnée d'entendre le nom que lui communiquait son interlocutrice. Elle trouvait toujours surprenant de s'opposer à un gouvernement dont l'une des caractéristiques était le népotisme et de miser malgré tout sur l'enfant du dirigeant que l'on espérait faire tomber. Les rebelles féeriens subissaient un sentiment similaire : certains rêvaient de voir le prince Gabriel sur le trône en se convainquant qu'il serait un roi différent de son géniteur, et de la même manière, cet homme espérait Minati au pouvoir, alors que cette dernière était après tout le fruit de l'éducation d'un sultan que tout le monde exécrait.

Cela dit, elle avait tout de même envie de se fier au jugement de son interlocuteur, ou tout du moins de s'y intéresser, car elle-même ne savait pas grand-chose de cette fameuse princesse. Elle en avait entendu parler, bien sûr, à force de se renseigner sur le monde où elle évoluait, mais elle ne savait pas grand-chose pour autant : elle savait, somme toute, que la princesse était la fille aînée du sultan, l'enfant de sa première épouse, et qu'elle était choyée par son père. Elle savait aussi qu'elle avait disparu un temps, au grand désespoir de son géniteur. Semble-t-il que son exil forcé loin du palais, de sa cage doré, avait eu le don de lui ouvrir les yeux sur le monde l'extérieur. Cela suffisait-il ? Daphnée n'en savait trop rien, mais Gorav était sans doute mieux placé pour s'en faire une opinion. Après tout, l'homme travaillait au palais, il avait sans doute eu l'occasion de parler plus d'une fois avec la princesse, et de réussir à mieux la cerner.

-Comment est-elle, la princesse Minati ? demanda Daphnée avec curiosité. Je ne sais pas grand-chose d'elle.

Elle admettait son ignorance, une ignorance qu'elle était tout à fait prête à corriger afin d'en apprendre davantage au sujet du monde qui était dorénavant le sien. Et clairement, elle tenait à ce que ce monde le reste quoi qu'il advienne.

-Est-ce que c'est possible, dans votre royaume ? D'avoir une femme au pouvoir ?

Selon certaines règles, peut-être. Daphnée savait qu'à Féerie, une femme pouvait techniquement prendre le pouvoir, mais dans les faits, cela n'arrivait jamais, et il semblait assez évident que l'on s'arrangeait et s'arrangerait toujours avec les circonstances pour permettre à chaque roi d'avoir un héritier mâle pour assurer la suite de la gouvernance. Est-ce que ça changerait grand-chose qu'une femme soit réellement au pouvoir, ce n'était pas dit, mais il y avait autant de femmes que d'hommes compétents, et en l'occurrence, la femme en question désignée par Gorav, semblait bien plus compétente.

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aphnée ne savait pas si l'idéal de gouvernement que convoitait Gorav était vraiment si possible que cela. Semble-t-il que les femmes n'avaient pas forcément leur place au pouvoir, alors pourquoi la princesse ferait-elle exception quand on savait que, même si première née, elle avait plusieurs frères pour prétendre à la succession ? Ceci dit, les préceptes et les traditions les plus anciennes étaient faites pour être rompues au nom de la modernité. Rien n'était immuable. C'était de la sorte que se créaient les coups d'Etat comme l'avait été celui d'Edgar, mais c'était aussi de cette manière que l'on façonnait un renouveau politique. Même si Daphnée avait dû être plus éveillée que la moyenne à ce sujet du fait de son histoire et de tout ce que cette dernière avait impliqué, elle ne pouvait pas prétendre tout comprendre à ces jeux de pouvoirs. Ce qu'elle savait, elle, pour sa part, c'est qu'il fallait demeurer vigilant en toutes circonstances et ne pas se fermer aux opportunités qui pouvaient parfois advenir. Si Gorav estimait que la princesse était capable d'accéder au trône du royaume du bout de l'océan, alors il fallait qu'ils fassent tout ce qui était en leur pouvoir pour qu'elle y accède vraiment. Il était important que les choses changent, et pour cela, elles devaient changer en haut lieu. Tout comme Féerie avait le plus grand besoin d'un nouveau roi, ce royaume qui était dorénavant le sien avait terriblement besoin d'un nouveau sultan.

Malheureusement, il semblerait que la princesse ne soit pas vraiment prête à s'accomplir dans le rôle que le serviteur du sultan avait envie de lui attribuer. Oui, la demoiselle avait peut-être du potentiel, mais en attendant, elle n'était pas forcément prête, et ça c'était une chose qu'ils ne pouvaient évidemment pas ignorer. Si la situation exigeait une solution urgente, alors il fallait aussi de manière urgente que la jeune femme se décide à grandir, à mûrir et à prendre ses responsabilités. Daphnée n'avait pas forcément son mot à dire sur la question, mais elle se sentait impliquée, l'air de rien, et elle estimait qu'il était de son devoir que de s'interroger sur la question.

-Alors il faudrait s'assurer qu'elle prenne la pleine conscience de ce dont elle est capable le plus tôt possible, n'est-ce pas ? Y a-t-il une chose que nous puissions faire pour cela ? demanda-t-elle en réalisant qu'elle s'impliquait sans doute trop. Avoir quitté les manigances et complots de rebelles féeriens pour se retrouver à comploter avec l'autre royaume... on ne se refaisait. Quelle a été cette mésaventure dont vous parlez ? l'interrogea-t-elle ensuite, sincèrement curieuse d'en apprendre plus.

Elle devinait que Gorav se sentait impliqué dans tout cela. Il devait vraiment tenir à la princesse.

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aphnée n'irait évidemment pas s'en vanter, mais au moment d'entendre que la princesse a été enlevée par un Féerien, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir un semblant de satisfaction, malsaine il est vrai. En soi, elle ne savait rien de la princesse du royaume du bout de l'océan, et est-ce qu'on pouvait vraiment lui reprocher de vivre en dehors des réalités alors qu'elle était née et avait grandi dans une cage dorée, à l'abri de tout le reste ? Sans doute pas, il n'empêche que c'était tentant de se dire que cela avait dû être une bonne leçon pour elle et pour son père.

Après tout, tout avait bien fini puisque la princesse était de retour au palais, pas vrai ? Mais non, on ne devait pas penser ce genre de choses, ce n'était pas bien, et Daphnée, au fond, le savait très bien... si elle se permettait d'aller à l'encontre de cette pensée malgré tout, c'était certainement qu'elle en avait tant vu et tant enduré que dans son vocabulaire, un bref enlèvement ne représentait pas grand-chose. Et ce n'était évidemment pas juste. Gorav, de son côté, avait l'air de trouver terrible ce qui était arrivé à la princesse, et c'était davantage son appréhension à lui de la situation que la situation en elle-même qui l'invitait à davantage d'empathie, il faut bien le dire.

-Donc elle n'a même pas su profiter du seul bénéfice qu'aurait pu lui apporter cette terrible expérience, observa Daphnée avec définitivement trop de cynisme, c'était plus fort qu'elle, elle n'avait pas pu s'empêcher de se faire la remarque.

Elle n'avait pas envie de baisser dans l'estime de son interlocuteur en s'exprimant de la sorte, mais elle avait tout de même du mal à faire autrement de son côté, elle était bien obligée, malgré tout, de le reconnaître. Elle allait éventuellement demander plus de détails sur ce qui était arrivé à la princesse exactement, sur le temps qu'avait duré sa séquestration. Peut-être qu'elle était mauvaise langue, après tout, peut-être aussi qu'il y avait un monde entre ce que l'adolescente pensait et ce qu'elle voulait bien montrer. Ce ne serait pas surprenant, il y avait parfois un monde entre les émotions et leur expression, et qui saurait être mieux placée que Daphnée pour en avoir conscience, elle était dans ce cas de figure précis, avec tout ce qu'elle avait vécu de plus traumatisant.

-La rencontrer ? répéta Daphnée, dans une incompréhension relative. A quoi est-ce que ça servirait ? Et comment est-ce que je pourrais la rencontrer si elle ne sort jamais du palais ? Je veux pas attirer l'attention du sultan, je veux pas..

Mais elle avait comme l'intuition que Gorav avait une idée précise en tête, et elle avait quand même envie d'écouter ce qu'il pouvait bien avoir à dire.

-P

eut-être bien..., remarque Daphnée avec prudence. Mais j'ai pu remarquer que les Féeriens ne passent pas inaperçus, ici, et je me doute tout de même que la venue de Féeriens dans son royaume, et en plus dans son palais, ne lui plaira pas s'il la découvre.

Daphnée ne veut pas se donner plus d'importance qu'elle n'en a véritablement (elle sait très bien qu'elle n'en a que très peu), mais elle a quand même conscience de la situation, et des risques qu'elle pourrait bien prendre si elle acceptait de suivre les conseils de Gorav. Certes, elle ne connaît pas le sultan, impossible pour elle de savoir s'il est aussi vicieux qu'Edgar ou non, mais une chose est certaine malgré tout, et c'est qu'elle n'est pas rassurée à l'idée de suivre trop aveuglément des directives sachant que cela pourrait justement lui coûter très cher.

-Bon...

Elle hésite... Elle ne sait pas vraiment à quoi elle s'engage. Et prétendre que tout ceci ne lui fait pas peur serait mentir. Cela dit, Daphnée n'a pas la moindre envie de rester passive dans toute cette histoire. Tout ce qu'elle peut faire pour le bien de ce royaume, et pour rétablir un semblant d'équilibre qui semble avoir été perdu de longue date, elle le fera sans hésiter une seule seconde. Ce n'est pas seulement qu'elle pense la chose importante, c'est qu'elle devine qu'elle est nécessaire en réalité, et après tout... C'est peut-être la part qu'elle doit jouer, le rôle qu'il lui faut accomplir : rencontrer la princesse et s'assurer que cette dernière pourrait prendre conscience à la fois de son potentiel et de ce qui se trame en dehors des murs du palais. Au fond, c'était probablement quelque chose d'essentiel.

-C'est d'accord. Je n'ai rien à perdre, après tout.

A part la vie, peut-être, ou un membre du corps. Ou sa liberté. Ou son intégrité physique... Mais Daphnée ne doit pas laisser quoi que ce soit l'arrêter. Après tout, elle a survécu, elle a survécu à tant de choses. Elle est ressortie indemnes d'années d'emprisonnement sur l'île des soupirs, en dépit des sévices subits et de la douleur endurée. Elle a survécu à la mort de son frère et à la colère carnassière de cette satanée sorcière. Ce n'est pas maintenant qu'elle doit prendre peur, n'est-ce pas ? Non, c'est même hors de question. Elle ne prendra pas peur. Elle gardera la tête haute et le dos droit. L'attitude digne. Rien ne l'arrêtera.