Le vent court toujours plus vite que le temps | Daphnée & Shankar

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aphné demeura parfaitement sereine quand Shankar observa qu'elle lui avait fait comprendre de ses mains qu'elle ne pouvait pas parler. A ses yeux, ce n'était pas un mensonge, c'était bel et bien le cas... C'était difficile à expliquer, et encore plus à comprendre, elle le savait bien, mais son mutisme était une sorte d'impératif. A ses yeux, ce n'était pas juste un caprice, même si elle pouvait comprendre qu'il soit perçu comme tel, ça allait bien au-delà. C'était une barrière essentielle, c'était une promesse qu'elle s'était faite à elle-même, une promesse qu'elle avait faite à son frère, aussi.

Et donc, chaque fois qu'elle ouvrait la bouche, elle avait le sentiment de se trahir un peu, et de trahir Louis par la même occasion. Sans doute devrait-elle expliquer tout cela à son interlocuteur afin qu'il comprenne davantage de quoi il retournait... peut-être bien, oui, mais elle ne le ferait pas pour autant : elle ne pouvait s'y résoudre, pas le moins du monde. Même si elle consentait à lui parler (et s'il s'en offusquait, il devrait pourtant, bien au contraire, se sentir privilégié), elle ne se voyait pas s'épancher plus avant. L'économie de mots lui restait nécessaire, tant pis s'il ne le comprenait pas.

-Tu parles de Nathaniel ? se hasarda-t-elle quand Shankar évoqua l'"autre décérébré".

Oh, il devait y en avoir de nombreux autres, des décérébrés, aux yeux de Shankar Zaani, et Daphnée voulait bien croire que c'était même un charmant qualificatif dont il faisait usage à tout bout de champ pour qualifier n'importe quelle Féerien, mais...

Mais si on parlait de quelqu'un de véritablement fourbe et vicieux, et qui ne l'était pas uniquement du fait de son origine, et si l'on suggérait l'idée que cette personne avait foulé le sol du royaume du bout de l'océan récemment (sans quoi Shankar aurait difficilement pu en entendre parler), alors le choix devenait tout à coup plus restreint.

-J'apprécierais que tu ne m'associes pas à lui.

On dirait bien qu'ils s'étaient trouvés un point commun : ils détestaient tous deux Nathaniel. Ceci dit, ce n'était pas un exploit. C'était peut-être la chose la plus susceptible de réunir les personnes qui avaient pourtant le moins de rapport les unes avec les autres, et ce même d'un royaume à l'autre : une animosité logique et toute naturelle envers l'ancien prisonnier.

   


   

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aphné laissa couler le qualificatif employé par son interlocuteur pour la définir en décidant de s’en soucier le moins possible. Elle n’aimait pas être traitée de menteuse, d’autant que les notions de mensonge autant que de vérité étaient choses très importantes pour elle, mais elle n’avait pas l’intention de se défendre pour autant. Une fois encore, ce serait faire ici montre d’un emploi moins que nécessaire de paroles qu’elle voulait restreindre au strict minimum, ensuite, elle était assez convaincu que son interlocuteur continuerait de la prendre pour une menteuse quoi qu’elle puisse dire ou faire, alors autant ne pas en rajouter une couche et gaspiller sa salive.

Ne serait-ce que parce qu’il la considérait comme une menteuse, elle était tentée de ne rien lui dire de plus : à quoi bon s’il ne la croyait pas de toute manière, mais en même temps, ne pas être associée au nom de Nathaniel – même si c’était sans doute impossible – était important pour elle, et pour cette raison, elle n’avait pas l’intention de laisser son interlocuteur s’imaginer n’importe quoi. Le simple fait qu’elle connaisse le nom du fugitif jouait sans doute en sa défaveur cela dit, mais qu’importe, elle demeurerait inflexible dans son discours quoi qu’il en soit.

-Parce que je le déteste, répliqua-t-elle d’abord de but en blanc.

Ce n’était pas forcément l’explication la plus convaincante qu’elle pourrait lui donner, mais c’était en tout cas la plus sincère et la plus spontanée. Oui, elle le détestait, de toute son âme. Et il ne représentait rien d’autre à ses yeux qu’une source perpétuelle d’ennui et de souffrance. Lui et Edgar, même combat, Féerie était vouée à la déchéance parce que même une lutte honorable au nom d’une cause respectable ne retirerait pas à cette situation ce qu’elle était, à savoir un jeu de pouvoirs entre des individus aussi infames les uns que les autres, et qui ne méritaient, pour aucun d’entre eux, la moindre forme de respect. Malgré tout, elle accepta d’en dire plus.

-Il a voulu me faire tuer. Il m’a vendu à la sorcière qui a mangé mon frère… Un long frisson l’envahit en dépit de la chaleur ambiante, les larmes lui montent aux yeux sans qu’elle soit dans la capacité de les contrôler ou d’y faire quoi que ce soit. C’est pour ça que je suis partie, ajouta-t-elle avant de décider qu’elle en avait décidément trop dit.


   

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ne histoire sordide... Daphnée grimaça... C'était un résumé bien douloureux de l'histoire de sa vie, qui semblait presque la réduire à une anecdote d'horreur, rien d'autre. Mais en même temps, ce jeune homme n'avait aucune raison de faire preuve de compassion, il n'avait aucune raison de lui montrer de la compassion ou de la considération, et même, il avait probablement de bonnes raisons de ne pas le croire quoi qu'il en soit... Au moins, il disait être désolé concernant son frère. Est-ce qu'il l'était vraiment ? Difficile à dire. Probablement que non. Daphnée avait toujours trouvé aux condoléances quelque chose d'infiniment hypocrite, surtout venant d'inconnus... Ceci dit, alors qu'elle se retrouvait dans une situation particulière, et livrée à elle-même, elle aimait quand même obtenir ne serait-ce qu'une parole de compassion, même si ce n'était pas dit du tout.

-Oh... J'éviterais de la rencontrer malgré tout..., s'inquiéta-t-elle dans un frisson quand Shankar lui apprit que ce monde, lui aussi, avait sa propre sorcière.

Elle n'était pas du tout rassurée de l'entendre, mais elle n'était pas surprise non plus. Vu les circonstances, il faudrait probablement s'y attendre : la magie était partout, même si elle s'exprimait sous des formes différentes, et il fallait à tout prix ne pas se reposer sur ses lauriers - cela pouvait s'avérer beaucoup, beaucoup trop dangereux. Elle devrait faire avec. Dans ce monde, quoi qu'il en soit, elle avait l'intention de se faire toute petite. Est-ce qu'elle y parviendrait pour autant ? Cela n'avait absolument rien de certain, bien au contraire, même, car elle était bien jeune, et peut-être encore naïve en comparaison de ce qui qualifiait son innocence.

-Oui, Nathaniel est fidèle à lui-même. Elle marqua une pause. Je le connais depuis des années... Quand j'étais en prison, il était dans la cellule en face de la mienne. Je sais comment il fonctionne, je l'ai toujours su. Je ne l'ai pas suivi parce que je l'apprécie. Je l'ai suivi parce que je n'avais nulle part où aller.

C'étaient des propos sincères, même si Shankar le prendrait comme il le voudrait et ne la croirait pas forcément. Elle avait vu ses manigances, et avait seulement attendu qu'elles lui servent, au moment de quitter l'île des soupirs. Et ça s'arrêtait là.



   

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aphnée esquissa un léger sourire dissimulant un bref embarras quand Shankar lui fit la description de cette sorcière qui n'aimait pas beaucoup les Féeriens. Elle savait que c'était le cas de beaucoup d'autres, ici, elle voyait bien les regards désagréables, voire courroucés, qui étaient jetés dans sa direction très régulièrement.

-Je peux la comprendre, répondit doucement la jeune fille qui en effet était capable de deviner la haine ambiante et de savoir où elle prenait sa source. Elle ne devrait pas concerner tous les Féeriens, elle devrait concerner les vrais coupables, Edgar et Nathaniel, mais en attendant, elle savait où cette haine viscérale trouvait ses origines, et elle comprenait la même chose de son côté.

Daphnée se rembrunit légèrement au moment d'entendre son interlocuteur lui poser des questions bien précises et nécessaires, mais dangereuses, aussi, car elles la plongeaient dans un passé lointain et dangereux qu'elle ne voulait certainement pas revivre. Elle avait été emprisonnée injustement... comment aurait-il pu en être autrement, après tout ? Elle était si jeune, quand c'était arrivé ! Bien sûr qu'elle n'était pas responsable de ses actes. Bien sûr qu'elle n'aurait rien pu faire de si grave que cela mériterait qu'elle subisse un traitement à ce point violent.

-J'ai vu mon frère se faire manger sous mes yeux.

Elle prononce ces mots d'une voix blanche, un long frisson coulant le long de son échine. Ce n'était vraiment pas simple pour elle de s'exprimer sur ce sujet, mais il le fallait bien malgré tout, car elle tenait à ce que son interlocuteur comprenne la gravité de la situation.

-Je ne suis pas exigeante, je ne cherche pas à vivre une vie confortable, je veux juste être loin d'elle... loin d'eux.

Elle préférait affronter l'ire de tous les natifs de ce pays que caressait un soleil brûlant plutôt que de retourner dans son monde, où Nathaniel attendrait toutes les occasions du monde de la manipuler. Il avait voulu la vendre à la sorcière qui avait fait de sa vie un enfer, un cauchemar à ciel ouvert. Pour la peine, toutes les épreuves qu'elle pourrait traverser... sembleraient naturellement moins effrayantes ou dangereuses en comparaison. C'était ce qu'elle décidait de penser, en tout cas, mais ce n'était pas forcément si simple.
   

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