Le vent court toujours plus vite que le temps | Daphnée & Shankar

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aphnée observait en silence (en même temps, le silence était son lot quotidien ou presque l'océan et les quelques nervures discrètes que des vagues de faibles intensité laissaient à sa surface), rien ne laissait soupçonner, quand on observait l'horizon, et ce même avec les yeux les plus perçants du monde, qu'un autre royaume existait bien au-delà de cette étendue d'eau qui paraissait finie et pourtant ne l'était pas. Plus loin, au-delà, il y avait d'autres vies... et la sienne aurait dû en faire partie.

Ce serait mentir que de prétendre que Féerie ne manquait absolument pas à Daphnée. Oh, elle ne regrettait définitivement pas son choix et était heureuse d'avoir décidé de suivre Gorav jusqu'au royaume du bout de l'océan envers et contre tout. Elle était heureuse, sincèrement, d'être le plus éloignée possible de la sorcière, d'Edgar, de Nathaniel, de tous ceux qui pouvaient lui nuire et lui faire du mal. Mais tout de même, elle savait que de l'autre côté de cette surface immense et en apparence seulement paisible, il y avait des vies plus importantes qu'aucune autre à ses yeux. Il y avait Eleonore, il y avait Anthony, et il lui arrivait, c'est vrai, de se reprocher son égoïsme. Elle avait pensé à ce qui était le mieux pour elle. Pouvait-on le lui reprocher ? Oui, sans doute, elle l'avait fait en son âme et conscience quoi qu'il en soit. Et c'était un fardeau qu'elle acceptait de porter, même s'il était plus lourd à certains moments que d'autres.

Finalement, après de longues minutes de contemplation silencieuse, elle décida de rentrer chez elle. Enfin, "chez elle"... s'il y avait une chose qui ne variait pas entre ici et là-bas, c'est qu'où qu'elle soit, elle n'avait pas réellement de chez-elle, mais elle avait appris à s'en improviser malgré tout, avec plus ou moins de succès. Plus que moins, avait-elle envie de penser tout de même.

Elle pressait le pas, elle savait qu'il ne faisait pas bon traîner dehors passé une certaine heure, et même s'il lui arrivait d'être téméraire, ele n'était malgré tout pas suicidaire. Elle était plongée dans ses pensées, elle ne faisait attention à rien ni à personne, si bien qu'elle bouscula quelqu'un, un jeune homme, sans le vouloir.

Elle leva les yeux vers lui, le considéra un instant du regard, puis haussa finalement les épaules avec un léger sourire contrit. Muette. Mais tout de même désolée de sa maladresse.

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aphnée pourrait s'excuser, oui. Elle en avait la capacité, d'ailleurs. Pourtant, elle ne le ferait pas, du moins verbalement. Elle ne voulait pas se servir de son prétendu mutisme pour faire preuve d'irrévérence ou d'effronterie, mais nouveau décor ne voulait pas dire nouveaux principes. Elle ne connaissait pas ce jeune homme, elle était bien incapable de savoir s'il était fréquentable ou dangereux, et tant qu'elle n'éprouverait aucune forme de confiance en lui, ses lèvres resteraient closes, tout comme elles l'étaient presque constamment depuis son arrivée sur le royaume du bout de l'océan (ce qui lui avait sans doute permis, étonnamment, de se faire une place rapidement - Clifford lui faisait confiance parce qu'il s'imaginait qu'elle ne pourrait révéler à personne l'ampleur de ses manigances... Elle ne le ferait pas, mais elle le pourrait, si elle le voulait). Les seules fois où elle daignait prononcer quelques mots, c'était en présence de Gorav.

Il l'avait mérité, elle lui devait sa nouvelle vie. Mais jusqu'à nouvel ordre, elle ne ferait aucune autre exception, pas même auprès de ce jeune homme qui attendait d'elle des excuses... quoi qu'elle n'était pas certaine qu'elles lui tiennent tant à coeur que cela, en réalité, il semblait plutôt vouloir passer le temps ou tromper l'ennui. Elle pouvait le comprendre, c'était un sentiment qu'elle connaissait très bien.

En guise de réponse, elle considéra le jeune homme depuis ses grands yeux ronds et mima une croix du bout des doigts, tout contre sa gorge, façon de signifier qu'elle n'était pas capable de parler. Elle ne savait pas si c'était clair, en réalité. Faute de connaître aucun langage des signes, que ce soit dans la culture féerienne ou dans celle de ce royaume, elle avait façonné son propre langage, et rencontrait un succès plus ou moins grand quand il était question de se faire comprendre.

Et même s'il devait ne pas la comprendre, serait-ce si grave ? Sans doute pas... Elle n'avait pas l'impression que ce jeune homme soit dangereux ou hostile (même si elle était bien placée pour savoir qu'il fallait se méfier des apparences, elle en avait fait douloureusement les frais). Plutôt curieux, à la limite. Et encore, il ne semblait pas même s'interroger sur la pâleur de son visage, alors peut-être pas tant que cela, en réalité.
   


   

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e jeune homme avait eu l'air de comprendre ce qu'elle avait essayé de lui dire. Daphnée ne s'était pas attendue à ce que ce soit le cas, et elle devait bien reconnaître qu'elle se sentait soulagée d'être aussi facilement comprise, quand bien même ça n'avait pas forcément arranger pour autant sa situation, parce que le fait qu'elle ne parle pas avait l'air d'incommoder son interlocuteur. C'était compréhensible, évidemment, mais ça ne changerait rien au fait qu'elle ne prononcerait pas le moindre mit. Certes, elle n'avait pas envie de s'attirer des ennuis sous prétexte de ne pas avoir su dire quoi que ce soit, mais ça allait au-delà du fait qu'elle ne voulait pas parler...

Elle en ressentait l'incapacité, purement et simplement... Alors que faire ? Elle n'en savait rien ? A l'heure actuelle, la stratégie la plus judicieuse semblait être de prendre la fuite, mais Daphnée n'en voyait pas l'intérêt. Elle ne voulait pas se donner l'air d'une coupable alors qu'elle ne l'était pas. Oui, elle était féerienne, mais si elle ne méprisait pas tous les Féeriens (ou en tout cas pas tous) autant que l'homme qui lui faisait face, elle n'avait pour sa patrie d'origine aucune forme d'affection. Ce n'était pas pour rien qu'elle avait décidé de la fuir. Et elle n'allait pas se faire passer pour ce qu'elle n'était pas, à savoir l'ennemi naturel du jeune homme, sous prétexte que sa peau (qui avait certes bronzé depuis qu'elle vivait dans ce royaume) était beaucoup trop clair pour être née sous ces cieux particuliers et étouffants de chaleur.

Alors elle répliqua de la seule manière qui lui semblait envisageable. Elle le va les yeux pour pouvoir toiser au mieux le regard de cet homme qui la dépassait de plusieurs têtes, et les pieds bien ancrés dans le sol, elle croisa les bras. C'était sa façon de faire comprendre à son interlocuteur qu'elle était là, et qu'elle ne comptait aller nulle part quoi qu'il en soit. C'était peut-être une démarche suicidaire, mais elle avait bien compris que sans aplomb et sans culot, on n'arrivait à rien au royaume du bout de l'océan. Jusqu'ici, elle s'en était tirée. Elle avait bien l'intention de s'en tirer encore.
   


   

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e toute évidence, la réponse non verbale de Daphnée était loin de plaire à son interlocuteur, mais la jeune fille s'en moquait assez. Elle ne lui devait rien, après tout, elle ne le connaissait même pas. Au moins, il avait l'air de réussir à la comprendre en dépit de son obstination à ne pas lui parler, c'était un début. Elle était ici, elle comptait bien y rester, et toutes les mises en garde du monde ne la feraient pas changer d'avis.

Pour cause, qu'aurait-elle à craindre de plus que ce qu'elle appréhendait de connaître là-bas. Elle en avait suffisamment entendu de la part de Gorav et de Clifford pour savoir que ce monde n'était pas un rêve devenu réalité, que c'était un endroit dangereux, où la menace était omniprésente. Mais elle ne comptait pas se laisser abattre pour autant se laisser déloger. On aurait beau lui répéter que sa place n'était pas ici, ça lui était égal. L'endroit où on était né n'était pas forcément l'endroit qui nous appartenait, elle en était certaine. Même si on cherchait à la déloger par la force, ça n'y changerait rien. Tant qu'elle en aurait la force, tant qu'elle en aurait le courage, elle ne partirait pas, un point c'est tout.

Ce n'était pas le moment de faire du tourisme, ça, elle voulait bien le croire, tout comme Shankar avait raison de s'imaginer qu'elle ne serait pas capable de faire beaucoup de dégâts, puisque c'était en effet le cas, mais elle n'était pas ici pour visiter (quelle drôle d'idée ce serait. Elle était ici pour y rester, autant que possible. Elle avait fui, elle ne s'en cachait pas, et elle ne comptait pas retourner là-bas, en dépit de tout ce qui lui manquait là-bas.

Elle afficha un sourire, desserra les bras et logea ses mains dans les poches de sa robe. Que sa présence l'incommode ou non ne changerait rien à sa décision. Il semblait plus agacé de sa présence que véritablement hostile, alors inutile de s'inquiéter dans de trop grandes proportions non plus. Malgré tout, elle devait rester prudente. Elle tendit le doigts vers Shankar, puis sur ses lèvres, une façon pour elle de lui demander s'il comptait parler d'elle à quelqu'un qui pourrait lui causer du tort. Une invitation à se taire, surtout.
   


   

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e jeune homme n'avait clairement pas l'air de vouloir lui réserver bonne accueil, et il était évident que sa présence l'importunait (pas besoin de se demander pourquoi, en l'occurrence), mais au moins, il semblait réussir à la comprendre relativement facilement en dépit de son mutisme, et c'était déjà un début. Un début, mais qui les mènerait où ? Nulle part, sans doute, car difficile pour la jeune fille d'expliquer qui elle était et ce qu'elle faisait là sans articuler le moindre mot.

Pourtant, elle ne s'imaginait pas faire d'exception. Elle ne choisissait pas vraiment, d'ailleurs, c'était quelque chose d'instinctif. Il fallait avoir sa confiance pour obtenir d'entendre le son de sa voix, et ce jeune homme qui la considérait avec animosité et mépris était loin, bien loin de lui inspirer confiance. Bien au contraire, même. Elle n'avait pas peur, mais elle était loin de se sentir rassurée en sa présence pour autant. Il lui était hostile, et elle sentait qu'elle incarnait à ses yeux ce qu'il y avait de plus hostile également. Elle ne lui en voulait pas pour ça.

Il était normal que les habitants du royaume du bout de l'océan détestent les Féeriens, ils leur avaient tout pris. Et si elle-même avait décidé de s'en aller pour de bon, ce n'était certainement pas parce qu'elle portait Féerie dans son coeur. Elle en était originaire, certes, mais elle n'avait jamais réellement eu le sentiment d'y appartenir, peut-être parce qu'elle avait vécu plus longtemps à l'ombre de sa cage de l'île des soupirs qu'à l'air libre. L'avenir du trône féerien ne lui importait pas davantage. Elle essayait juste de vivre, sans vieux démons et sans sorcière. Mais impossible de lui expliquer tout ça.

Faute de savoir quoi faire d'autre, elle fouilla fébrilement le fond de ses poches, elle n'y dégotta pas grand-chose. Quelques pièces qu'elle était parvenue à obtenir suite à sa dernière transaction, une petite pochette qui contenait quelques cheveux de Louis, tout ce qu'elle avait pu garder de lui... Elle remit rapidement la pochette dans sa poche et tendit les pièces à son interlocuteur. Pour acheter son silence, oui, mais dans l'espoir également qu'il s'adoucisse un peu à son adresse. Elle ne voyait pas quoi faire d'autre, en réalité.
   


   

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était une leçon que Daphnée avait dû apprendre très tôt et plutôt rudement : l'argent achète tout, dans ce monde, et le domine. Ou en tout cas, c'était ce qu'elle avait fini par s'imaginer au fil des circonstances. Tout ne s'achetait pas, bien sûr, mais l'humain semblait si facilement corruptible. Elle n'avait qu'à songer à ce que la misère avait poussé ses propres parents à faire pour en avoir conscience. Alors peu importe ce que son interlocuteur comptait faire d'elle, il n'avait fait aucun doute à ses yeux qu'il s'emparerait d'office du peu qu'elle possédait, puisqu'elle le lui permettait.

Il n'en fit rien, pourtant, et à la place, il lui demanda simplement de reprendre ses pièces. Elle hésita quelques secondes... Elle restait là, mains bêtement tendues, puis finalement, puisqu'il ne les prenait définitivement pas, elle les renfonça dans ses poches. Elle n'était pas bien riche, elle se débrouillait comme elle le pouvait. Si elle pouvait conserver le peu de monnaie qu'elle possédait, elle n'allait évidemment pas dire non. Ces pièces quitteraient ses poches bien assez vite, puisqu'il fallait bien vivre, après tout.

Elle avait le sentiment que le jeune homme s'adoucissait. Daphnée restait sur ses gardes, mais elle avait l'impression qu'il comprenait, petit à petit, qu'elle n'était pas une menace. Même si les personnes qu'il imaginait s'ans doute l'accompagner en étaient peut-être à ses yeux. Oui, sauf qu'elle était seule, définitivement seule... et déterminée à le rester. Oh, il y avait bien quelques personnes dont elle aurait sincèrement apprécié la compagnie... Mais leurs propres fréquentations ne lui correspondaient plus. Elle était seule. Avec le sentiment qu'elle avait toujours été seule. Depuis la mort de Louis, en tout cas.

Elle hocha donc la tête pour répondre à la deuxième question de Shankar. Elle se pointa du doigt, puis leva l'index afin de faire comprendre au jeune homme qu'il n'y avait qu'elle, sans être sûre qu'il la comprenne, une fois encore. Il serait peut-être soulagée de le découvrir... quoiqu'elle pouvait difficilement justifier du fait qu'elle était arrivée là seule. Sauf qu'elle était venue avec l'un des leurs. Mais elle ne pouvait pas se permettre non plus de trahir Gorav. A moins qu'il ne le connaisse ? Elle n'en savait décidément rien.
   


   

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ême si le jeune homme restait particulièrement curieux, ce que la jeune Féerienne comprenait parfaitement, il lui semblait tout de même moins hostile, à présent, et ça la rassurait beaucoup, car elle n'avait pas envie qu'il la mène dans elle ne savait aucune situation incommodante. Elle était capable de caractère, d'effronterie, de courage, mais elle savait aussi que dans nombre de situations, qu'elle le veuille ou non, elle ne serait sans doute pas capable de faire le poids, et elle n'aurait pas d'autre choix que de l'admettre et de l'accepter.

Elle ne pensait pas que ce jeune homme cherche à lui nuire. Il cherchait seulement à la comprendre. Pas simple, étant donné qu'elle était toujours déterminée à ne pas prononcer le moindre mot, mais qui sait, il avait l'air d'analyser ses gestes assez justement. Même si le langage corporel atteignait forcément ses limites quand les questions devenaient plus spécifiques.

Ceci dit, quand le jeune homme lui demanda où étaient ses parents, elle n'eut aucune difficulté à adopter le geste qui lui semblait le plus approprié. Elle glissa son index le long de sa gorge d'un geste rapide. C'était peut-être un mensonge. Ses parents étaient peut-être en vie, elle n'en savait rien, elle n'avait eu aucune envie de les revoir après son évasion de l'île des Soupirs. De ce qu'elle savait, ils vivaient peut-être tranquillement dans leur chaumière, ravis de la lâcheté qui les avait poussés à les abandonner, elle et son frère, au beau milieu de la forêt afin de ne pas les regarder mourir de faim. S'ils étaient toujours vivants, ils étaient dans tous les cas morts à ses yeux, alors c'était du pareil au même.

Quant à la deuxième question, c'était plus délicat pour elle d'y répondre. Pas seulement parce qu'il lui serait difficile de vraiment y répondre sans prononcer aucun mot, mais parce qu'elle n'avait aucune intention de mettre Gorav en difficulté. Elle savait qu'il avait pris des risques en lui permettant de passer de l'autre côté, et elle ne voulait pas qu'il regrette les risques en question. Alors elle se contenta de mimer un bateau, du mieux qu'elle pouvait, même si ce ne serait pas pour lui un scoop d'apprendre qu'elle était venu en bateau. Elle mima également le geste de ramer, pour faire mine d'être venue seule.
   


   

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aphnée voulait bien l'admettre, ça n'avait pas été franchement très malin que de prétendre, même en mime, qu'elle avait traversé seule l'océan à la force de ses petits bras. La seule manière de rendre un tel récit crédible, c'était de prétendre qu'elle aait de quelconques aptitudes magiques, et si ça devait être le cas, elle n'aurait eu aucune difficulté, pour commencer, à communiquer avec son interlocutrice. Mais Daphnée n'était une fée, ni une magicienne, ni une sorcière, et d'ailleurs, elle aurait plutôt les sorcières en horreur, à choisir. Mais voilà, elle ne voulait mettre personne en difficulté. Si elle devait en accuser elle-même les conséquences, eh bien soit, mais elle ne voulait pas que de son côté l'homme qui lui avait permis la traversée se retrouve exposé à quelque difficulté que ce puisse être.

Elle le toisa longtemps avec l'assurance de la personne qui n'estimait pas avoir été surprise en plein flagrant délit de mensonge et assumait complètement ses... non-paroles. Elle haussa donc simplement les épaules l'air de dire "Si tu ne me crois pas, c'est ton problème". Et en effet, quelque part, c'était effectivement son problème à lui, car elle n'avait aucun besoin ni aucune raison de se justifier auprès de lui.

Ou pas. Elle ne savait rien de son interlocuteur si ce n'est qu'il était manifestement hostile aux Féeriens (d'un autre côté, qui, natif de ces terres, ne l'était pas ? C'était une question de logique, le passé colonialiste des Féeriens ne jouait bien évidemment pas en leur faveur), elle ne savait pas quels problèmes il pourrait éventuellement décider de lui attirer s'il le décidait. Elle espérait juste qu'il lâcherait l'affaire et déciderait qu'elle n'en valait pas la peine.

Car c'était la vérité, bien évidemment, elle n'en valait absolument pas la peine, elle ne méritait absolument pas l'attention que Shankar lui portait. Elle, tout ce qu'elle voulait, c'était uniquement qu'on la laisse vivre sa nouvelle vie, protégée d'un passé qu'elle ne voulait pas affronter en face, d'une menace trop terrible pour que cette dernière puisse être simplement effacée par la chance ou la raison. Donc peu importe le nombre de ses interrogations, elle ne lui dirait rien. Et elle ne dirait rien tout court, d'ailleurs. Il devrait se contenter de ça, un simple geste d'apparence anodine, un regard de défi accompagné d'un haussement d'épaules.
   


   

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aphnée donna l'air de rien quand son interlocuteur lui assura que les menteurs ne faisaient pas long feu en ces terres. A entendre les seuls natifs avec qui elle ait un tant soit peu communiqué jusqu'ici, c'est-à-dire Gorav et l'homme sous ses yeux, personne ne faisait long feu dans tous les cas dans ce royaume. Encore plus avec sa couleur de peau. Mais elle s'en fichait. Et honnêtement, elle aimait l'idée d'habiter des terres où l'on punissait le mensonges plutôt que dans un pays où c'était la vérité que l'on punissait.

Par ailleurs, même si elle avait été malhonnête sur certains points, dans ses non-réponses à son interlocuteur, elle s'estimait en soi bien innocente. Elle ne comptait nuire à personne, elle n'était venue en présence d'aucun Féerien, en bref, elle estimait ne rien avoir à se reprocher... Ne rien avoir à se reprocher ne signifiait pas qu'on encourrait aucun risque, ça aussi c'était une chose qu'elle avait malheureusement apprise à ses dépens, et qu'il n'avait pas forcément été agréable de constater. Elle espérait tout de même survivre et à cette "conversation" et aux jours et aux semaines à venir, mais elle ne se faisait pas d'illusion. Elle n'aurait plus jamais la prétention de se croire en sécurité. Ce sentiment lui était passé. Et depuis bien longtemps.

En attendant, il parlait beaucoup (ce qui n'était pas plus mal, il donnait le change, au moins, car il ne fallait évidemment pas compter sur elle de ce point de vue-là), mais il n'avait définitivement pas l'air de vouloir s'attaquer à elle, et c'était ce qui comptait aux yeux de la jeune fille, pour le moment. Elle se contenta d'afficher un fin sourire qui signifiait "crois ce que tu veux" mais qu'il n'interpréterait peut-être pas de cette manière de son côté... Même si elle était expressive, et avait appris à faire passer beaucoup de choses dans un regard ou dans un geste, elle savait que ce n'est pas pour autant que la vérité de ses réflexions se lisait d'office dans ses prunelles.

Elle fit après cela un geste de la tête accompagné d'un léger mouvement de bras qui lui voulait signifier "Je peux y aller, maintenant ?". A quoi bon plaider sa cause auprès de cet homme ? Quoi qu'elle puisse ne pas dire, il ne la croirait pas quoi qu'il en soit.
   


   

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aphnée n'avait qu'une seule envie en cet instant, et c'était celle de prendre ses jambes à son cou avant que son interlocuteur (si on pouvait vraiment le qualifier ainsi puisqu'il était bien le seul à parler au cours de cet échange, par la force des choses) ne décide d'insister d'une autre manière pour obtenir d'elle les réponses à ses questions, réponses qu'elle était toujours fermement décidée à ne pas lui donner.

Est-ce qu'il la laisserait partir sans faire de vagues ? Elle n'en savait trop rien à vrai dire. Si elle avait discerné chez ce jeune homme une véritable hostilité envers les Féeriens - chose qu'elle pourrait difficilement lui reprocher au vu des circonstances -, il n'avait pas l'air de vouloir s'en prendre à elle autrement que verbalement. Ce qui ne l'empêchait quand même pas de ne pas avoir envei de tenter le diable, tant qu'à faire.

Ce qui était sûr, en tout cas, c'est qu'elle n'avait attendu de sa part aucune forme de générosité, si bien qu'elle tomba complètement des nues quand il lui offrit la moitié d'une miche de pain comme si c'était le geste le plus naturel du monde... Elle s'était vraiment attendue à tout sauf à ça... Oh, elle ne cracherait pas dessus, le fait est qu'elle était affamée... Mais... Ce lui semblait tant venir de nulle part qu'elle ne savait définitivement plus quoi en penser. Avec une certaine hésitation, elle se rapprocha et s'empara du morceau de pain. Elle le considéra un instant avec un mélange d'étonnement et de vigilance. Est-ce que ce ne serait pas un piège ? En même temps, cet homme ne devait pas se balader avec des miches de pain empoisonnées dans les poches afin de pouvoir les distribuer à toutes les personnes hostiles qu'il rencontrait. Il n'avait l'air ni rassis, ni passé... Elle mourait d'envie d'y planter les dents sans plus y réfléchir.

Ses grands yeux se posèrent plus longuement sur l'originaire de ces terres et elle lui adressa un sourire sincère, où se lisait une véritable gratitude, cette fois. L'avait-elle mal jugé ? On dirait bien que oui, finalement... ou peut-être se faisait-elle avoir trop facilement, qui sait. Ce ne serait pas la première fois que son estomac vide lui ferait prendre une décision plus que malheureuse, et la pousserait à faire confiance à la mauvaise personne. Ceci dit, il avait gagné ceci... Daphnée était bien plus curieuse de savoir à qui elle avait affaire maintenant... même si elle ferait mieux d'y aller tout de même.
   


   

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A

voir une "conversation" avec Daphnée était déjà une plaie pour n'importe quel Féerien qui croisait sa route, car il fallait se contenter de signes et de vagues gestes qui avaient souvent du sens pour la jeune fille mais n'en avait aucun pour ses "interlocuteurs". Et bien sûr, alors qu'elle se trouvait sur une terre bien différentes, dont les codes l'étaient aussi, la communication non verbale devenait plus laborieuse encore.

Au fond, ce n'était pas grave, si Daphnée refusait de parler, c'était aussi pour ça, pour s'éviter des conversations trop longues, d'autant qu'elle se méfiait comme la peste de ceux qui parlaient trop. La sorcière n'avait pas la langue dans sa poche, Edgar était un beau parleur, Nathaniel avait le verbe facile... et de toute évidence, ils étaient de ceux dont il fallait éviter à tout prix de croiser la route. Donc elle n'aidait vraiment pas Shankar, qui ne semblait pas avoir la plus grande des patiences, et elle en avait tout à fait conscience.

Et alors qu'il venait de faire preuve d'un acte de générosité dont elle ne l'aurait certainement pas soupçonné, alors qu'il avait fait ce pas complètement inattendu vers elle, elle ressentait définitivement quelques scrupules à le laisser avec un regard. Pas qu'un mot ou l'autre changerait grand-chose, mais. Avec ce "quoi", il lui laissait tout de même entendre que quand il devenait question de témoigner sa gratitude, les mots n'étaient pas de trop. Certains gestes pouvaient très bien s'en charger aussi, mais ils étaient forcément signe d'une trop grande proximité pour qu'elle veuille s'en servir en compensation. Elle n'allait certainement pas prendre cet inconnu dans ces bras. Et elle ne savait pas vraiment encore ce qui se faisait ici. Les accolades étaient-elles de mise ? Ou les poignées de mains. Peut-être rien de tout ça.

Elle regarda alternativement ce qu'elle gardait encore de pain en main et le jeune homme. Elle baissa les yeux, prit une inspiration et se résigna. Elle sentait qu'elle allait profondément le regretter ensuite, et elle se préparait déjà à prendre ses jambes à son cou si besoin.

-Pourquoi tu m'aides si tu détestes les gens comme moi ?

Et voilà, elle déliait sa langue et le regrettait un peu déjà, d'autant que Shankar aurait de bonnes raisons de croire qu'elle se payait sa tête jusqu'ici. Expliquer un mutisme sélectif n'était pas chose facile. Parfois, elle voudrait que la sorcière lui ait mangé la langue. Au moins ce genre de situation ne se produirait pas.

   


   

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aphnée ne pouvait reprocher à son interlocuteur de se sentir vexé voir trahi de découvrir qu'elle était capable de parler alors qu'elle n'avait pas, jusqu'ici, prononcé le moindre mot, comme c'était le cas bien souvent, et comme ça restait le cas généralement, même si elle avait ici fait une exception qu'elle regrettait, à vrai dire, déjà, car quand d'ordinaire elle n'adressait la parole qu'à ceux qu'elle estimait mériter de l'entendre, elle était tout sauf convaincu que c'était le cas de son interlocuteur. Ceci dit, il fallait parfois faire des concessions. Alors oui, elle n'était pas particulièrement étonnée de la réaction de son interlocuteur, ceci dit, elle n'avait aucune envie ni intention de se justifier.

Si elle avait continué de ne pas parler, ce jeune homme en aurait sans doute déduit que les gens de son peuple étaient sournois. Quand on partait sur des a priori, il était difficile, voire impossible d'en sortir. Bon... dans le cas de Daphnée c'était encore autre chose... elle ne donnait même pas tort à Shankar. La plupart des Féeriens étaient, à ses yeux, des menteurs par essence, des raconteurs d'histoires. Et c'était justement parce qu'elle en avait eu assez de tous ces faux-semblants qu'elle-même avait décidé de prendre la poudre d'escampette et de s'enfuir. Pour cette raison et pour échapper à la sorcière, mais ça c'était encore autre chose.

-Je ne t'ai pas menti puisque je ne t'ai rien dit du tout, répliqua simplement Daphnée, bien que consciente du fait que faire de l'esprit en présence de Shankar n'était définitivement pas la bonne façon de faire.

Certes, elle avait décidé d'admettre que ce jeune homme n'était pas dangereux, et c'était pour cette raison d'ailleurs qu'elle avait consenti à prendre la parole, mais ce n'est pas pour autant qu'il n'avait pas envie d'en entendre parler.

-Tu as raison, les Féeriens mentent sur tout, constamment, ajouta-t-elle ensuite sans rien préciser.

Mais c'était la vérité. C'étaient leurs mensonges perpétuels qui l'avaient conduites en prison, tout comme c'étaient les mensonges et les manigances de Nathaniel qui auraient bien pu contribuer à la faire se retrouver nulle part sinon dans l'assiette de la sorcière aux crocs desquels elle avait réchappé il y a des années de cela. Alors les mensonges, elle connaissait. Et elle savait combien désagréables ils pouvaient être, qu'importe leur nature.
   


   

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