Il y a certains soirs comme ça. Les souvenirs reviennent. A la faveur de la nuit, profitant de mon sommeil, les visages apparaissent. Tels des échos du passé, ils viennent me rappeler qu'ils ne sont plus là et que moi, je suis seul. Qu'ils sont partis pour le dernier continent et que je reste en arrière. C'est incompréhensible. Alors, ces soirs là, j'attrape du papier, un morceau de fusain et je traverse silencieusement les couloirs. Et, assis sur l'un des bancs de la cour du palais, éclairé par la grande lanterne de la nuit et ses petites sœurs, je dessine. Je couche sur papier les cheveux de feu d'Helena, le sourire de Gwenhaël se redessine sur une peau plus pâle que la sienne, les yeux d'Aly reprennent vie. Et je dessine ainsi, jusqu'au petit matin. Et tandis que l'aube pointe doucement sur à l'horizon, parant le ciel de milliers de nuances de bleus, de rose et d'orange, je rassemble mes feuilles en une pile, j'attrape le morceau de fusain qui a accompagné ma nuit et je retourne discrètement à ma chambre où j'enferme à double tour mes dessins en compagnie des autres dans une étagère de ma commode.
Ce soir-là était de ceux-là. Je m'étais réveillé une heure après m'être endormi. Il devait-être environ une heure du matin, une heure et demi peut-être. Le parfum de mon chez-moi, celui que j'affiliais à mon enfance me donnait l'impression de flotter encore dans la chambre. Je revoyais encore l'immense sourire d'une Allison vielle de huit ans tandis que je lui courrais après dans le champ à côté de chez nous. Qu'est ce qu'elle m'avait fait ce jour-là ? A mon plus grand malheur j'avais oublié. C'était là ma plus grande peur. L'oubli. L'oubli de ceux que j'avais aimé et qui m'avait aimé en retour. L'oubli de mon enfance. L'oubli de leurs visages. Horreur absolue pour moi que je m’efforçais de contrecarrer en dessinant, encore et encore. Tout les jours, je me rappelais le son de leurs voix, de leurs rires, pour me sentir un peu moins seul, une certaine manière de rester près de ceux que j'avais aimé. Et même si je craignais plus que tout d'oublier, me rappeler déchirait mon âme et mon cœur. Alors que le visage du fils d'Allison, Daniel, se dessinait sur le papier, j'entendis un craquement.