FB - L’avenir, fantôme aux mains vides, qui promet tout et qui n’a rien. [pv Orianne]

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a liberté. Nathaniel y avait tant et si longtemps aspiré qu'il était assez singulier, pour ne pas dire irréel, de constater qu'il l'avait enfin gagnée. Bien sûr, le chemin à franchir était encore long, et il était évident que le nouveau fugitif avait fort à faire. Il n'empêche qu'il y avait bien longtemps qu'il ne s'était pas senti à ce point... heureux. Parce que quand bien même il n'oubliait jamais son assurance et ses certitudes, on ne peut pas dire que la prison et ses conditions difficiles aidait forcément à garder un moral d'acier. Là, tout ce qu'il avait estimé envisageable était dorénavant possible. Toutes les portes étaient ouvertes, et son horizon ne se limitait plus aux seuls barreaux de sa cage.

Les rebelles avaient élu résidence pour un temps dans une maison abandonnée. Les vraies nuits se faisaient rares, et depuis bien longtemps, pour Nathaniel. S'abandonner aux bras de Morphée était un luxe qu'il ne pouvait plus vraiment se payer, et ce depuis bien longtemps. Il ne fallait pas espérer connaître une vraie nuit de sommeil, quand on était prisonnier de l'île des soupirs, dans une de ces cages inconfortables où l'on avait, de toute manière, à peine la place de s'allonger. Et la vie de fugitif ne permettait pas non plus de faire la grasse matinée. De manière générale, il fallait veiller à se réveiller le plus tôt possible afin de s'assurer de ne pas être repéré, alterner les tours de garde, et toujours demeurer aux aguets quoi qu'il en soit.

Quand arrivaient certaines occasions, au cours desquelles il lui était accordé de se reposer sur une couche digne de ce nom, et de pouvoir dormir plusieurs heures d'affilée, il fallait bien les saisir et en profiter au maximum. Ce que Nathaniel avait bien évidemment fait. Pour autant, il fut levé aux aurores... Les cauchemars reprenaient bien rapidement le dessus. Sans faire un bruit afin d'éviter de réveiller les rebelles encore endormis (parfois, il pouvait se montrer soucieux d'autrui, mais dans une moyenne mesure tout de même), il quitta le cabanon. Une fois dehors, il s'étira tout en observant la cime des arbres à travers laquelle scintillaient quelques étoiles. Ce fut en tournant son regard qu'il aperçut Orianne.

-Déjà réveillée ? dit-il, l'un de ses éternels sourires aux lèvres.

Bien sûr, il savait qu'Orianne ne dormait jamais. Mais justement, toute remarque susceptible de rappeler le fantôme à sa condition plaisait grandement au fugitif.

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athaniel prit un faux air flatté quand son interlocutrice affirma que son sens de l'humour était tout à fait inégalable. Nathaniel, il est vrai, avait un sens de l'humour bien à lui, qui avait cette singularité tout à fait spécifique de ne faire rire que lui-même et d'être conçu pour... Car la personne à qui il adressait ses saillies selon lui drôlatiques devait surtout s'en agacer profondément, et c'était l'un des buts de la manoeuvre. Alors, pour la peine, le fugitif ne cherchait pas particulièrement à se montrer fin ou subtil...

Et clairement, oui, il y avait plus fin et plus subtil que de rappeler à un fantôme, de façon continue, qu'il était mort, alors que ce dernier était sans doute le mieux placé tout de même pour avoir conscience de cet état de fait. Enfin bref, ce n'était pas pour rien non plus si Nathaniel prenait la peine de la piquer de la sorte, il savait qu'Orianne Dolle ne manquait pas de répondant. Et c'était très exactement ce qu'il cherchait dans des moments comme celui-là, de la repartie... même si cela signifiait qu'il devait en prendre pour son grade, car le moins que l'on puisse dire était que Nathaniel n'y allait jamais de main morte.

La preuve en cet instant, puisqu'elle sut parfaitement quoi lui répondre et sur quel plan l'attaquer pour que la pique soit moins qu'innocente. Un humour digne d'un bouffon du roi. Qu'il était devenu d'une certaine manière. Touché. En même temps, si l'on voulait vraiment réussir à atteindre Nathaniel, c'était très certainement en évoquant Edgar, d'une manière ou d'une autre, que l'on avait le plus de chances d'y parvenir.

-Je ne suis pas exactement le plus expérimenté en la matière, à mon grand regret, sourit-il en réponse. Et en ce sens, il pensait à Anthony, qu'Edgar avait gardé à ses côtés à l'époque, et qu'il estimait tenir ce rôle mieux que lui... un rôle que Nathaniel ne lui enviait pas. Honnêtement, entre vivre dans la servitude ou être enfermé sur l'île des soupirs, il ne garantissait pas que la première option soit la plus confortable. J'aime mieux, ceci dit, être le bouffon du roi que le roi des bouffons.

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uand Orianne leva les yeux au ciel dans une expression feinte de lassitude, Nathaniel ne crut pas à son exaspération. C'est qu'à force d'échanger incessamment des piques avec le fantôme, il pensait avoir réussi à la cerner ne serait-ce qu'un minimum. Pas complètement, certes, mais suffisamment pour avoir une idée relative des frontières à ne pas franchir et de celles qu'il pouvait se permettre de dépasser quand ils se trouvaient en sa compagnie. Tout comme il ne se vexait pas des répliques qu'elle était capables de lui adresser, et qui savaient pile viser où c'était susceptible de faire mal, pourtant, il se doutait qu'elle ne prenait pas davantage ombrage des remarques qu'il lui adressait en retour.

Ils avaient, à leur manière, trouvé un terrain d'entente, qui permettait de rompre avec la monotonie d'un quotidien qu'on ne soupçonnerait sans doute pas ennuyeux au vu de ce qu'ils traversaient, mais qui l'était parfois, alors qu'ils attendaient jour après jour de découvrir enfin les progrès d'une entreprise lente et laborieuse, dont le résultat ne pouvait évidemment que se faire attendre.

Si d'autres s'étaient plus à le qualifier de bouffon du roi (ou de roi des bouffons, ça restait au choix), il aurait peut-être eu l'insulte un peu plus mauvaise, mais en la circonstance, il considérait cela bien plus comme une pique parfaitement bien envoyée que comme une réplique cinglante, une attaque personnelle violente qu'elle puisse penser dans son entièreté. Quoi qu'il y avait sans doute matière à le penser au moins un petit peu quand on le connaissait tant il était difficile de lire clairement dans son jeu, au point de se demander si le fugitif lui-même en était capable ou se contentait, justement, de s'enferrer dans ses bouffonneries à répétition pour cacher à tous et à toutes qu'il n'était jamais qu'un imposteur, que l'on finirait bien par percer à jour tôt ou tard.

-Tout est toujours une question de point de vue, c'est évident. De la même façon, certains pourraient penser que tu es complètement inutile et que ta présence parmi nous n'a pas le moindre intérêt et d'autres admettre que tu as au moins le mérite d'être distrayante. Il haussa les épaules, un sourire au coin des lèvres. A chacun sa manière de voir les choses, quoi.

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eut-être Nathaniel devrait-il prendre au sérieux les propos de son interlocutrice, et par la même s'en inquiéter. Mais le fait est que ce n'était pas le cas. Non pas qu'il s'imagine que qui que ce soit parmi les rebelles puisse trouver un intérêt total et complet à le suivre lui et à ne pas le trahir, mais il n'avait jamais estimé dans tous les cas que le groupe s'était construit pour lui, non, il s'était construit contre Edgar, et c'était ça qui importait.

Les rebelles à titre d'individus étaient tous des entités négligeables (et il est certain que Nathaniel les considérait comme telles si l'on se fiait à ce qu'il avait envisagé de faire subir à Daphnée - chose qu'il aurait peut-être réellement faite selon l'occasion), ils n'avaient de valeur qu'au nom de leurs objectifs et pouvaient bien disparaître sans que cela n'y change grand-chose. Y compris lui, d'ailleurs, même s'il était celui qu'on écoutait, surtout parce qu'il était l'un des rares à connaître toute l'histoire, et à prendre un malin plaisir à ne la partager que petits morceaux par petits morceaux, à sa guise.

Oui, c'est certain, l'avantage d'Orianne résidait dans le fait qu'elle n'avait absolument rien à perdre. Mais pour autant, Nathaniel ne concevait pas un seul instant qu'elle puisse choisir de les dénoncer. Elle était à part, c'est vrai, mais en même temps, elle était là, et si c'était pour palier à l'ennui, Nathaniel osait penser qu'une part d'elle tenait vraiment à voir les rebelles prendre l'avantage... pas parce qu'elle y regagnerait sa vie ou le respect d'autrui, mais parce qu'elle avait été un témoin privilégié de toutes les horreurs commises par le roi... Le genre de choses qui laissent des marques. Et puis, si le balancer ne la dérangerait peut-être pas, il se disait qu'elle aurait sans doute plus de scrupule avec d'autres.

-C'est une occasion que je saisirais sans attendre, si j'étais à ta place, répondit simplement Nathaniel, qui ne choisissait pas de lire des menaces dans les propos d'Orianne. Ils pouvaient se montrer relativement blessants et cassants l'un envers l'autre, c'est vrai, mais certainement pas au point de passer à l'ennemi pour rire du malheur des autres, il n'y croyait pas une seule seconde. Le roi te récompenserait sans doute au-delà de tes espérances... s'il te reste quoi que ce soit à espérer, du moins.

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athaniel était bien du même avis que son interlocutrice. Si qui que ce soit avait envie de réduire pour de bon le fugitif au silence, Edgar était définitivement la personne à qui s'adresser, et l'ancien prisonnier de l'île des soupirs ne voudrait surtout pas que qui que ce soit d'autre lui règle son cas (même si en l'occurrence, il estimait que c'était lui qui règlerait le cas du roi avant que lui-même ne s'en charge... à tort, très certainement).

Ceci dit, il était convaincu que son interlocutrice, en dépit de tout ce qu'elle pouvait bien affirmer, ne le livrerait jamais à Edgar. Elle s'ennuierait beaucoup trop si elle n'avait pas la compagnie des rebelles. Et sans vouloir se montrer trop présomptueux, Nathaniel était convaincu que les rebelles ne feraient absolument pas long feu sans lui... déjà qu'avec lui, il était difficile de savoir ce qu'il pourrait en être exactement.

Est-ce qu'il l'aurait fait dans son cas ? Difficile de le savoir. Nathaniel lui-même ne saurait vraiment le dire. Il était imprévisible et appréciait de l'être. Il agissait pour son intérêt et son seul intérêt, et oui, il était égoïste, définitivement égoïste. Sans s'en cacher le moins du monde. Il se trouvait que sa cause personnelle, pour cette fois, rejoignait une cause commune, et pour la peine il en jouait, voilà tout.

-Ce n'est pas la considération qui te retient, c'est l'ennui, répondit Nathaniel, l'un de ses éternels sourires aux lèvres.

Même s'il voulait bien croire qu'Orianne était capable de bien plus de considération que lui, et qu'elle l'avait déjà prouvé, il savait bien que ce n'était ni par affection, ni par conviction qu'elle ne le trahissait pas, juste par divertissement. Et encore, ce n'était peut-être pas le divertissement qu'elle avait escompté au bout du compte.

-Ceci dit, je devrais peut-être m'essayer à un peu d'altruisme, j'ai toujours été curieux d'assister à la fin du monde.

A dire vrai, c'était bel et bien le cas. Nathaniel était de cette catégorie de personnes qui souhaiteraient bel et bien que le monde disparaisse avec eux. Il y avait peu de chance que ce soit le cas. Tout comme il était peu probable qu'il fasse passer les intérêts de quiconque avant les siens.

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était ainsi, Nathaniel était quelqu'un de sensiblement égoïste, et qui ne prenait pas vraiment la peine de s'en cacher au demeurant. Il avait toujours été ainsi, mais il est certain que le temps et ce qu'il avait vécu n'avait rien arrangé. Nathaniel s'était senti capable de partager, à l'époque. Avec Dorian, avec Anthony, avec Edgar, avec Latika... Est-ce que ça voulait dire qu'il ne les aurait jamais trahis ? La preuve que non. Il avait trahi Dorian, il avait trahi Anthony, il avait trahi Latika... Pour Edgar, va savoir s'il aurait fini par le faire, puisque ce dernier l'avait pris de court en le trahissant le premier... C'était peut-être de bonne guerre, ce n'est pas pour autant que Nathaniel ne comptait pas obtenir sa vengeance.

Et cette vengeance, oui, passait avant le reste, avant les rebelles, y compris ceux avec qui il avait le plus d'affinités. Eleonore ou Anthony y passeraient peut-être si Nathaniel ne pouvait obtenir gain de cause que de la sorte. Son intérêt primait, c'était ainsi, mais il avait le mérite d'être relativement transparent sur la question, c'était une chose qu'on ne pourrait pas réellement lui reprocher. Il en avait donné la preuve récemment en promettant Daphnée à la sorcière. Bon, il ne l'avait pas fait. Mais il aurait pu, c'était du pareil au même. Il savait que ce comportement suscitait la défiance, mais bizarrement ne déplaisait pas non plus.

Tout le monde, parmi les rebelles, savaient que s'il invoquait de hautes raisons à la chute d'Edgar, c'était une motivation très personnelle qui le poussait à vouloir à ce point la peau du roi de Féerie, celui qui avait usurpé sa couronne. Ils y trouvaient leur compte chacun à leur manière, et c'était finalement un échange de bons procédés. Au fond, il n'y avait peut-être aucun membre de leur groupe de bras cassé qui pourrait prétendre ne pas avoir un compte personnel à régler avec le roi. Ils étaient une assemblée d'égoïstes. Et pourquoi pas ?

L'un des éternels sourires du fugitif vint se ficher sur ses lèvres en entendant le fantôme lui assurer que s'il choisissait de se montrer tout à coup altruiste, il perdrait grandement de son charme.

-J'en déduis que tu me trouves charmant. Tu n'es pas la première à me le dire, mais ça fait toujours plaisir.

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athaniel était beaucoup de choses, et rien qui ne doive être considéré comme des compliments au passage, mais on pouvait du moins lui reconnaître qu'il n'était pas susceptible. Oh, comme n'importe qui, il avait quelques points faibles, sur lesquels il y avait tout intérêt à ne pas insister au risque de se prendre un revers douloureux. Dans tous les cas, il ne reprochait absolument pas à son interlocutrice son franc parler... et pour cause, elle ne mentait pas du tout en vérité. Elle l'avait bien cerné, peut-être parce qu'elle était de ceux qui l'observaient depuis longtemps.

Elle avait raison, bien sûr, Nathaniel était un charmeur, et il aimait plaire. Ce n'était pas forcément pour séduire au sens charnel du terme, non, c'était plutôt qu'il aimait... constater l'influence qu'il savait avoir sur certaines personnes. Les plus infuençables, bien évidemment, qu'il ne considérerait pas forcément comme les plus faibles, ceci dit, même s'il n'allait pas prétendre que le terme était inadéquat non plus. Là où, en revanche, il ne donnait pas raison à Orianne, c'est qu'il ne considérait absolument pas dissimuler les pires parties de sa personnalité à ses interlocuteurs, non, il considérait que son talent résidait là. Il jouait, oui, mais il restait lui-même, et il réussissait à plaire en dépit de la somme considérable de ses défauts. Encore qu'on ne lui comptait pas forcément non plus un tableau de chasse à tomber par terre. La prison n'aidait pas, en ce sens.

-Tu serais étonnée d'apprendre que je suis un vrai sentimental, pourtant, répondit-il avec son éternel sourire aux lèvres, qui ne laissait pas vraiment soupçonner s'il était sincère ou non.

C'était aussi une de ses méthodes. Il n'avait peut-être qu'une seule vérité, mais il s'appliquait à ne jamais la montrer, ou du moins plus maintenant. Curieusement, Edgar était sans doute celui qui s'était approché au plus près de cette vérité... et quand on savait comment ça avait fini, on ne lui reprochera pas de ne pas vouloir particulièrement réitérer l'expérience.

-Et tu l'as dit toi-même, c'est mon caractère impossible qui me rend si charmant, ajouta-t-il simplement, ne prenant pas particulièrement la peine de contredire non plus le discours de son interlocutrice.

Pour quoi faire puisque, après tout, elle était loin d'avoir tort.

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rianne refusait de l'estimer capable de sentiments, et c'était, aux yeux de Nathaniel, comme une petite victoire au bout du compte, car il ne pensait pas qu'il puisse y avoir plus mal lotis que les gens véritablement sentimentaux. Cela dit, ça ne changeait rien au fait que Nathaniel s'estime bel et bien capable d'afficher des sentiments. D'accord, il ne faut pas se leurrer, il était tout sauf émotif (et encore moins émouvant), mais il existait en ce bas monde tout un pannel de sentiment, et il en ressentait bien quelques-uns parfois, incidemment. De la rancoeur et de la haine envers Edgar, par exemple, de la rage aussi... d'accord, il faut bien le reconnaître, Edgar était certainement celui qui lui faisait éprouver le plus (n'en déplaise à certaines), mais quelques sentiments se disputaient parfois une vague place dans ce qui lui servait vaguement de coeur : une vague affection, une sincère estime, un amer regret...

Mais il est vrai que s'il en éprouvait, ce ne serait jamais ce qu'il montrerait. Pour preuve, pour tout ce qu'il s'autorisait à éprouver de négatif, il gardait toujours le même sourire fiché sur les lèvres. Son petit numéro d'insolent, comme elle le disait si bien. Est-ce que les gens s'en lassaient ? Peut-être bien oui... d'un autre côté, la lassitude pouvait bien contribuer à l'agacement, et Nathaniel - sans surprise - adorait agacer. Alors, tant que son petit numéro fonctionnait, le fugitif se voyait mal en changer... Mais il pouvait tout de même reconnaître que la jeune femme voyait bien plus clair dans son jeu que n'en seraient capables beaucoup d'autres en fin de compte.

-Je retiens le conseil, répondit-il en glissant ses mains dans ses poches. Mais peut-être que je suis juste un très mauvais acteur, tu sais. Et que je ne sais rien jouer d'autre. Tu devrais peut-être me donner des cours, tiens, ajouta-t-il alors.

Loin d'être vexé, Nathaniel continuait d'apprécier cette conversation pour ce qu'elle lui trouvait : beaucoup d'intérêt, un divertissement élaboré qu'ils avaient pris soin d'entretenir au fil du temps et dont il aimait profiter chaque fois que l'occasion daignait se présenter. Et quelque part, il se disait qu'il en était de même pour son interlocutrice. Si vraiment, cette dernière devait bel et bien se lasser, elle se contenterait de cesser de lui parler, un point c'est tout, mais ce n'était de toute évidence jamais le cas.

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e sourire de Nathaniel se fit plus qu'amusé quand, envisageant l'idée de lui donner des cours, comme si c'était vraiment possible, elle argua qu'il serait le pire élève imaginable. Elle avait tout à fait raison, effectivement. Nathaniel n'avait jamais suivi le moindre cours particulier. S'il avait appris les rudiments de la lecture et de la lecture, il le devait à la patience usée de ceux qui à l'époque, quand il vivait au sein du château royal, l'avaient pris sous son aile, et ils en avaient bavé.

Clairement, oui, Nathaniel était l'archétype même du mauvais élève, épuisant et agaçant, à toujours perturber "la classe", à faire preuve d'inattention quand ça l'arrangeait, le tout matiné de la plus parfaite insolence. Nathaniel tout craché, quoi, il aimait pousser les autres à bout, c'était une manière pour lui de tester les limites de chacun. Et une fois qu'il avait pris conscience de ces limites en question, il pouvait décider de les repousser (souvent), de les respecter (rarement) ou de les contourner (sa méthode préférée, bien évidemment).

-Je suis déçu, répondit nonchalamment Nathaniel, quand bien même il ne pouvait pas vraiment prétendre avoir voulu que son interlocutrice lui donne cours sur la question... Encore qu'il était assez curieux de savoir comment il s'y serait pris dans tous les cas. Je ne pensais pas que tu n'accepterais pas de relever un nouveau défi.

Bon, d'accord, en vérité, celui qui aimait juste sur le principe relever tous les défis qui se présentaient à lui, qu'ils en vaillent la peine ou non, c'était Nathaniel, pas Orianne. Mais s'ils étaient différents par de nombreux aspects, ils se ressemblaient tout de même sur quelques points. C'était d'ailleurs ce qui justifiait leur relation qui, d'un point de vue extérieur (et d'un point de vue intérieur aussi, probablement) ne devait pas être très incompréhensible.

Ils avaient en tout cas le même sens du répondant, le même ton taquineur, le même amour pour les joutes verbales.... bref, tout ce qui faisait le sel de leur discussion à l'heure actuelle. Mais justement, sa réponse restait dans la continuité de ce qu'étaient chacune de leurs conversations en temps normal. Et dans le fond, Nathaniel espérait qu'il y en aurait beaucoup d'autres.

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rianne ne ménageait en rien la susceptibilité du fugitif, mais ce dernier n'attendait pas autre chose de sa part. Il adorait son franc-parler. Parfois, il avait moins goût à ses réflexions... mais en cet instant, il l'amusait plus qu'autre chose. Il voulait bien admettre que décider de lui donner des cours revenait à participer à une mission suicide. D'autres avaient cherché à le supporter, de la même manière, ça ne leur avait pas spécialement rendu le plus fier des services. Ceci dit, Nathaniel aimait assez l'idée d'être insupportable à tous et de se faire une mission personnelle que de supporter tout le monde. Certains étaient plus difficiles à supporter que d'autres.

La fantôme, par exemple, n'était pas toujours si supportable que cela, mais en cet instant, il ne s'en plaignait absolument pas, bien au contraire. Elle lui passait agréablement le temps, et il devait bien reconnaitre que la légèreté qu'elle apportait une situation qui elle ne l'était pas tant lui plaisait et l'arrangeait bien. L'arrangeait d'autant plus qu'elle était bien la seule interlocutrice qui tolérait encore sa légèreté de ton quand tous les autres étaient sur les nerfs, et peu enclins, par conséquent, à partager ses récurrents sourires (qui n'avaient pas vocation à être partagés de toute manière, ceci dit.

-Tu me sous-estimes, je crois bien, répondit Nathaniel, son éternel sourire aux lèvres. Je me supporte depuis ma plus tendre enfance, sache-le, et je ne m'en tire pas si mal.

Encore que tout était relatif. Mais pour ce qui était de devoir rester seul avec lui-même, il avait vécu et connu ça très longtemps, pendant près de vingt ans, à vrai dire, quand il s'était retrouvé sur l'île des soupirs. De toute évidence, cela n'avait en rien arrangé sa conditon mentale. d'un autre côté, il n'avait pas véritablement eu besoin de ça pour être sacrément dérangé. Il avait atteint un stade supérieur, certes, mais il était déjà clairement allumé avant tout cela.

-Et puis, tu n'as rien à craindre des missions-suicides, tu es déjà morte.

Pas qu'elle ait besoin qu'il le lui répète, mais il prenait toujours un malin plaisir à répéter la chose, sans que ça ait vraiment d'autre utilité, sinon piquer son interlocutrice.

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athaniel ne put s'empêcher de rire franchement à la remarque d'Orianne, pas du tout pour s'en moquer mais parce qu'il ne pouvait définitivement que lui donner raison, en réalité. Il pourrait donner des excuses à sa folie, qui était manifeste. Son absence de repères étant enfant, ses fréquentations... et surtout, surtout, ses presque vingt ans d'enfermement en prison, mais la vérité, c'est que même si ces différents éléments n'avaient clairement pas arrangé son cas, Nathaniel avait toujours été fou au sens le plus strict du terme, et avait bien dû s'en rendre compte, quand on ne le lui avait pas directement fait remarquer, ce qui était arrivé plus d'une fois.

Et ce qui ne le dérangeait pas, par ailleurs. Il cohabitait en très bonne entente avec sa folie, pour tout dire... Il en faisait même une force. Il aimait en jouer, il aimait la forcer, la mettre en veilleuse. Et cette folie, quasiment furieuse, il vivait parfaitement bien avec, car après tout, elle ne dérangeait que les autres, jamais lui-même. S'ils n'étaient pas capables de le supporter, c'était leur problème, lui, il savait très bien s'amuser de lui-même. Il n'avait besoin de personne pour cela, et si se supporter soi-même avait encouragé sa propre folie.

-Eh oui, tout seul comme un grand, j'espère bien que tu es fière de moi, répondit simplement Nathaniel quand Odelle répondit à sa remarque puérile de la seule remarque convenable, certainement.

C'était une attaque facile, mais la facilité n'avait absolument jamais dérangé Nathaniel, au contraire. Il avait peine à comprendre ceux qui, par orgueil, s'engageaient toujours sur les chemins les plus complexes. Bon, Nathaniel n'était pas le dernier à emprunter les terrains les plus sinueux, mais ce n'était pas spécialement pour se dépasser lui-même, juste parce qu'il aimait jouer, quitte à perdre à la fin. Jouer valait mieux que gagner.

-Comme quoi, j'ai beau être cinglée, j'en ai dans la tête.

Il plaisantait, évidemment, ceci dit, en revanche, il ne pensait pas être un idiot. Il aimait se donner l'air idiot, ça oui, surtout que ça pouvait bien souvent rendre un franc service... ou juste être amusant, mais il en avait plus dans la tête que ce qu'on pourrait bien soupçonner.

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ela dépendait, lui répondait-elle, aussi bien en ce qui concernait le fait d'être fier de lui que concernant ce qu'il avait dans la tête. Autant dire que cette affirmation ne pouvait qu'invitait Nathaniel à se demander - et à demander - de quoi cela dépendait exactement. Le simple fait que cette remarque puisse s'appliquer à sa fierté était déjà notable, car il ne pensait pas que, parmi tous les sentiments qu'il inspirait sans doute au fantôme (du profond agacement à l'amusement certain), il y ait vraiment de la place pour de l'estime ou de la fierté. D'un autre côté, s'il n'y avait d'un côté comme de l'autre ni estime ni fierté, leurs chemins se seraient sans doute déjà séparés. Or, le fugitif ne doutait pas du fait qu'Orianne resterait fidèle au poste, présente au moment où il serait infiniment nécessaire qu'elle le soit.

Quant à ce qu'il avait dans la tête... c'était une autre affaire, car Nathaniel lui-même ne pouvait pas, en toute honnêteté, faire état de ce qui se tramait dans son esprit. Il avait cessé depuis longtemps de conférer du sens à ses réflexions, il se contentait de les suivre sans attendre après quiconque pour en assumer la validité. Encore moins après lui-même, cela va sans dire. Le sourire de Nathaniel s'agrandit, d'ailleurs, quand le fantôme reconnut qu'elle préférait, tant qu'à faire, ne pas trop s'attarder ce qu'il pouvait bien avoir dans la tête.

-C'est préférable pour toi, la plupart de ceux qui s'y sont risqués ont plutôt mal fini, je ne te le cache pas, répondit l'ancien prisonnier avec légèreté.

Ce qui n'était pas entièrement vrai... ou pas qu'il sache, car en vérité, personne n'avait jamais insisté assez pour réellement en souffrir. A part Latika autrefois, peut-être... et Eleonore maintenant, c'est assez évident, même si il était encore trop tôt pour savoir comment elle allait finir. Ceci dit, selon toute vraisemblable, il était plutôt cohérent d'admettre qu'elle avait les meilleures chances du monde de mal finir, elle aussi.

-Est-ce que je dois déduire de tes propos que tu as un jour été fier de moi. Même un tout petit peu ? observa-t-il, évidemment incapable de ne pas rebondir sur ces propos précis.

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athaniel prenait le plus grand plaisir à cette conversation. Beaucoup étaient incommodés par son discours et son comportement, mais très peu ne lui rendaient la pareil. Certes, il arrivait que l'on souligne l'insupportabilité de son caractère, mais cela allait rarement plus loin. Or, Nathaniel aimait qu'on lui réponde, surtout quand c'était fait de cette manière. Les joutes verbales, il les trouvait toujours particulièrement stimulantes, et c'était une chose qui lui avait beaucoup manqué durant son emprisonnement. Ce n'était pas auprès des différents gardiens de la prison de l'île des soupirs qu'il avait trouvé à qui parler.

Bien au contraire, ils avaient tous très vite su l'ennuyer. Et lui avait très vite su s'en débarrasser. Même Eleonore, qui avait été son exception à la règle, ne s'était pas vraiment distinguée par son sens de la répartie. Il y avait, dans ses discussions avec Orianne, un sel tout particulier. Elle était l'une des rares... personnes ? à être susceptibles de presque l'agacer par moments, et il adorait ça. Même si, en l'occurrence, il ne se sentait en rien agacé. En revanche, amusé, il l'était bel et bien, et l'humoure du fantôme n'était pas pour lui déplaire. Un esprit qui a de l'esprit, c'était... logique, pas vrai ?

Elle ne lui dirait pas avoir été un jour fier de lui, l'avoir été pour de vrai, mais le fugitif était absolument convaincu que ça avait été le cas, et il se satisfaisait très bien d'entendre juste ces mots, même si elle devait leur donner ensuite une justification qui ne faisait aucun sens.

-J'aimerais vraiment croire que tu ne mens pas, Orianne, répondit Nathaniel avec l'un de ses éternels sourires aux lèvres. Je gagerais qu'en cette époque bénie où je découvrais l'art complexe du laçage de chaussures - qui méritait bien qu'on verse une petite larme en son honneur, là-dessus je suis d'accord -, toi-même tu n'étais pas née encore.

En fait, il n'en savait rien. Il savait finalement peu de choses sur le fantôme. Et n'avait pas la moindre idée du temps qui s'était écoulé depuis sa mort. Elle hantait l'île des Soupirs avant même la création de la prison, alors il était bien probable qu'elle l'ait devancé de nombreuses années. Mais tout comme il ne déterminait pas son vrai âge, Nathaniel aimait brouiller les pistes concernant le sien.

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