Le prix d'un service // pv Nathaniel

C'

est drôle, choisir entre la peste et le choléra, c'était également en ces termes qu'Emma avait parlé pour la première fois de prendre la décision de le suivre plutôt que de se plier aux exigences d'Edgar (mais dans son cas particulier, elle avait d'excellentes raisons de choisir le camp du fugitif), somme toute, il est vrai que c'était ce dont il était question. Il n'y avait pas de décision idéale... Ou bien si, mais il aurait fallu suivre une troisième personne, et Nathaniel savait exactement qui... Sauf que cette personne ne s'en rendait sans doute pas compte elle-même, et Nathaniel profitait de cet avantage puisque, du coup, elle était en définitive de son côté. Dans tous les cas, l'on ne pouvait rien espérer d'idéal, ni de la part de Nathaniel, ni de celle d'Edgar, mais l'ancien prisonnier, au moins, se targuait de ne pas vouloir d'un peuple ignare et enfermé dans sa cage doré, qui tolèrerait que des innocents et des misérables finissent assassinés ou emprisonnés juste pour préserver l'illusion. Nathaniel mentait beaucoup, c'est certain, mais plus sur lui-même que sur les autres, en définitive. À chacun de créer sa vérité, il ne la martelait en tous cas pas dans les esprits jusqu'à les abrutir complètement. Un sourire satisfait s'afficha sur le visage de Nathaniel en entendant sa réponse. Et cette fois, on pouvait avoir la certitude que ce sourire-là, bien plus que les autres, était sincère. Bien sûr, il ne pouvait pas passer à côté d'un allié aussi important, et au final, les conditions pour qu'il se range de son côté étaient bien plus qu'acceptable.

Sa première condition, il n'avait pas même besoin de la prononcer. Non, Nathaniel n'allait pas crier sous tous les toits qu'il s'était trouvé un tel allié. Il semblait bien souvent agir en toute inconséquence, mais il savait tout d même profiter de son avantage quand il en avait un, et celui-ci était sérieux. Il ne permettrait pas qu'il lui soit ôté, ou encore, que quelqu'un essaye de tirer profit de cette situation à son désavantage. Alors cette promesse-ci, qu'il allait lui faire, bientôt, elle la tiendrait sans aucun problème. La seconde... C'était une autre affaire. Il n'hésitait pas à trahir même ceux qu'il estimait. Son parcours était jonché de trahisons, c'était grâce à elle qu'il en était là... ou à cause d'elles, tout dépendait du point de vue et du moment de son histoire que l'on décidait de pointer du doigt. Pour le moment, il n'avait vraiment aucune raison de le trahir, alors il pouvait se le permettre. Que se passerait-il ensuite ? Il n'en savait rien. Si avoir conscience des pouvoirs d'Odelle ne l'empêchait pas de songer à la trahir, pourquoi n'en serait-il de même pour Thanil ? Pour l'heure, il n'y avait pas de raisons, mais les événements pouvaient vite changer. Quoi qu'il en soit, Nathaniel ne se voyait répondre qu'une seule chose :

-Vous avez ma parole.

Et il prononça ces mots avec un aplomb presque effronté.

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B

on, au final, il s'en sortait plutôt bien, du moins c'est ce qu'il pensait. Il n'allait pas être réduit en poussière par un magicien bien plus puissant que lui. Et il s'était trouvé un "allié" qui pourrait lui être d'une très grande utilité dans les temps à venir. Il lui garantissait de ne pas chercher à refermer le mur, "pas pour le moment", soit, il faudrait qu'il fasse vite, donc. Mais en même temps, on ne pouvait pas franchement dire que Nathaniel avait la patience ou l'envie d'attendre, de toute façon, donc ce serait réglé en temps et en heure, et après, le mur pourrait bien être refermé... Quoi que le fugitif n'y tenait pas vraiment. Le faire dresser avait été l'une des premières grandes erreurs de ce bon vieil Edgar, sa dernière serait d'avoir accordé sa confiance aux mauvaises personnes, mais ce serait un mal pour un bien, vraiment. Dans l'avenir. Il lui promettait aussi de ne pas parler d'eux à Edgar. Soit, même dans l'éventualité où ce cas de figure devait arriver, même si ce ne serait pas la plus confortable des situations, cela ne dérangeait pas franchement Nathaniel. Il n'avait pas peur de son vieil ennemi. Il aurait seulement du mal à mettre tous ses projets à exécution si tout devait être à ce point précipité. Bref, c'était un marché plus que raisonnable, en définitive, et l'ancien prisonnier de l'île des soupirs allait en tous cas l'apprécier en tant que tel. Que faire d'autre, après tout. Nathaniel était toujours d'avis de tirer le meilleur parti de la moindre situation.

Nathaniel ne réagit pas à ces propos-là. Il attendit que le magicien change de sujet. Et quel sujet. Daphnée, de nouveau. Comment comptait-il la protéger ? Eh bien, il n'en savait rien, puisqu'il n'avait jamais été complètement convaincu qu'il voulait seulement la protéger. Il s'était dit, comme pour beaucoup de choses, qu'il aviserait au moment où la situation l'imposerait. Et la situation ne l'avait jamais imposée, finalement... jusqu'à maintenant. Mais l'irruption d'une nécessité de sauver cette gamine (qu'il n'avait pas changé en victime, au passage, elle en avait toujours une) s'était accompagné d'un moyen idéal de lui sauver la peau. Ce moyen, il l'avait sous les yeux, et très clairement, il n'allait pas se priver de s'en servir. Après tout, c'était lui qui se sentait offusqué, par le sort de la demoiselle, alors...

-Je n'y ai pas exactement réfléchi. répondit-il non sans une certaine insolence. Vous avez, une idée, peut-être ? demanda-t-il d'une voix qui laissait complètement comprendre ce qu'il avait exactement derrière la tête.

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O

h non, Nathaniel n'envisageait pas le moins du monde de confier concrètement Daphnée à Thanil, même si c'était ainsi qu'elle serait le mieux protégée, sans aucun doute. Elle-même ne le voudrait sans doute pas, d'ailleurs. Sa place était parmi les rebelles, et même si le fugitif le lui témoignait d'une bien drôle de manière, il estimait cette gamine qui avait traversé les pires épreuves de la vie, et qui avait occupé la cellule face à la sienne durant plusieurs années. Il n'avait pas vraiment envie de se séparer d'elle.. Ce qui ne signifiait pas pour autant qu'il avait l'intention de la protéger d'absolument tous les dangers. Quoi qu'en l'occurrence, il n'aurait plus le choix. Soit. Après tout, ça avait le mérite de résoudre l'un de ses dilemmes (enfin le mot 'dilemme' était certainement bien trop fort pour qualifier cela), il n'était pas décidé quant au fait de livrer Daphnée ou non à Odelle. À présent, c'était clair, il ne le ferait pas, mais que Thanil ne s'attende pas à ce qu'il puisse accomplir des miracles pour protéger la petite non plus. Contre la sorcière, il ne serait pas de taille, c'était un fait. Mais Thanil oui. Enfin, il serait temps de voir cela en temps et en heure. Et si, il prenait la pleine responsabilité de ses erreurs. Ce n'est pas parce qu'il ne disait pas tout à tout le monde de ses actes et de ses décisions qu'il ne les assumait pas. Il assumait. S'il n'avait pas décidé quoi faire de Daphnée, c'est seulement parce qu'il attendait de savoir ce qu'il convenait de faire et surtout, ce qui serait le plus utile. Maintenant il savait. Au moins ça, c'était fait. Et il s'était même trouvé un "allié". Bon. Pas spécialement le genre docile, mais c'était toujours ça de prit.

-J'y veillerais comme à la prunelle de mes yeux. finit-il par garantir alors que Thanil soulevait un point qui n'était effectivement pas à négliger, mais dont l'ancien prisonnier de l'île des soupirs faisait bien peu de cas, à vrai dire (comme pour beaucoup d'autres choses, certes).

C'est vrai, si cette brèche dans le mur qui séparait les deux mondes finissait pas se découvrir, il ne faudrait sans doute pas longtemps pour que l'on voit débarquer des habitants du royaume du bout de l'océan en ces terres, et alors, il ne faudrait pas bien longtemps avant que l'on veille à le refermer. Certes, mais voilà 19 ans que ce mur avait été dressé. Si dans les premières années quelques uns avaient peut-être tenté de passer cette barrière, il doutait fort qu'il y en ait encore pour s'y risquer... et y'avait-il un autre moyen de s'en rendre compte ? Il ne le pensait pas, pas si on était pas à l'origine de cette forme de magie. Et puisqu'Odelle était dans la confidence et avait pour l'instant une raison de ne pas parler, et qu'il avait Thanil sous les yeux là, maintenant, il pensait avoir une petite marge. De toute façon, il ne comptait pas être bien long. Il avait déjà trop attendu. Presque deux décennies... autant dire qu'il avait envie de passer très rapidement à la vitesse supérieure.

-Si des réfugiés arrivent sur nos terres depuis le royaume du bout de l'océan, alors cela me suffira déjà. Et en effet, ce serait un excellent départ, et qui pourrait servir son dessein. À moins d'ampleur qu'une guerre ainsi qu'il l'envisageait autrement, mais il ne se considèrerait pas comme perdant, alors.

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N

athaniel aurait certainement pu se vexer ou s'agacer du propos de son interlocuteur, qui, manifestement, le prenait pour le dernier des débiles mentaux (il l'était peut-être, qui sait... Mais disons plutôt qu'il était fou... Il n'avait déjà pas toute sa tête avant d'être mené en prison, son séjour sur l'île des soupirs n'avait absolument rien arrangé, c'est un fait), mais c'était là l'avantage d'être Nathaniel. Il avait pour lui bien assez d'auto-suffisance pour se moquer complètement de l'opinion des autres. Et puis, bien évidemment, Thanil n'était pas le premier ni ne serait le dernier à le considérer de la sorte. Et il y avait de quoi, il faut bien le dire. Alors évidemment, il avait apprit à en rire et à ne pas y prendre garde, quoique toutes ces réflexions quant à son comportement pourraient bien lui servir d'avertissement, et un avertissement pour le moins utile, étant donné que cette affaire avait peu de chances de bien finir. En fait, cela pouvait bien arranger ses affaires, qu'on prenne son inconséquence pour de la sombre débilité, car au moment où il frapperait pour de bon, et où il frapperait fort, ces gens là pourraient bien tomber de haut... quoi qu'il était effectivement bien difficile de réussir à comprendre quoi que ce soit de son raisonnement. Si raisonnement il y avait effectivement, et on pouvait très sérieusement en douter. À vrai dire, le scénario qu'invoquait le magicien n'était certes pas celui qu'envisageait Nathaniel, mais il lui convenait très bien également, à sa manière. Qu'importe si la mort d'innocents devait être à la clé (d'autant que dans tous les cas, ses plans impliquaient effectivement que des innocents meurent, et à ses yeux, c'était une étape parfaitement indispensable)... du moment qu'Edgar se montrait sous son vrai visage, le fugitif pourrait en tirer en profit, et c'était là le but de la manoeuvre, quels que soient les rebondissements pour ponctuer cette dernière.

-J'y étais également, croyez bien que j'ai conscience de tout cela. répondit-il dans le plus grand calme, son imperturbable sourire aux lèvres. Quel roi charmant, Edgar. ironisa-t-il toujours avec la même légèreté. Et si des habitants de l'autre royaume décidaient de venir s'aventurer chez nous, ce serait leur décision, leur responsabilité, à eux de l'assumer. Non, il ne se sentait pas concernée par le sort de ces éventuels individus, et il espérait bien, même, que ce sort serait sinistre. Eh oui, s'ils décidaient de traverser cette frontière désormais accessible, c'était à leurs risques et périls.

Et qu'il ne s'avise pas de lui faire de chantage sur ce point là... auquel cas tant pis... Il préférait encore crever que de laisser passer cette opportunité. Bien évidemment, il avait l'intention de survivre à tous ses projets, mais il avait malgré tout conscience du fait que ce pourrait ne pas être le cas. Il y était préparé. Et il voulait bien sacrifier son existence si Edgar tombait en contrepartie... Peut-être une sorte de noblesse de sa part. Ou alors une fierté vraiment poussée à l'extrême, beaucoup trop.

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A

h ça… Pour ce qui était de trouver l’ombre du sens qui pouvait se glisser dans les propos de Nathaniel, il fallait avoir le cerveau bien accroché… ou pas accroché du tout, en fait, car ses façons d’agir et de penser étaient aux antipodes de la manière d’agir et de pensée du commun des mortels… Il s’exemptait bien souvent de ce qui était communément admit comme étant de la logique pure et simple, et il s’était finalement construit sa propre logique, et clairement, cette-dernière n’était pas simple à comprendre et à appréhender. Oui, bien sûr, si l’on se contentait de l’écouter sans avoir su se plonger dans les méandres de ce cerveau dérangé (et qui aurait envie de véritablement se plonger dans un tel marasme ? Ceux qui s’y étaient risqués ne s’en étaient pas forcément tirés indemnes), l’on pouvait tout simplement décréter qu’il était cinglé et déraillait complètement, fin de l’histoire. Et c’était peut-être le cas. Sauf que, bien sûr, le jeune homme avait de la situation une opinion et une façon de voir les choses bien différente. Oui, il avait un objectif bien précis en tête, et il pouvait s’atteindre de bien des manières. Il n’y avait pas qu’une seule voie… Mais il désirait une seule issue. Et puis bon, si, quand même, il n’était pas franchement équilibré, le bonhomme.

-Mon intention est pourtant simple. affirma le fugitif, toujours le même sourire figé sur ses lèvres, le genre qu’on aurait vraiment envie de lui arracher une bonne fois pour toutes. Edgar a bâti un empire sur un mensonge. Je veux juste offrir à Féerie la vérité de ce qu’il a su dissimuler à ses habitants. Et permettre à chacun de découvrir les méthodes si honorables de leur parfait monarque.

Edgar avait promis d’éradiquer toute douleur et toute violence de ses terres… mais il avait triché. Ce n’est pas parce que l’on cache certaines choses, en les enterrant profondément, en dressant des barrières, ou en les exilant sur des îles que ces dernières cessent tout à coup d’exister. Pour que les Féeries se dressent enfin contre leur roi de pacotille, il leur fallait une bonne raison. Nathaniel en voyait des millier, mais toutes mises sous scellées ou tues non sans violence… il fallait seulement qu’ils voient le roi ainsi qu’il était. Cela suffirait. La rumeur enflait déjà, et ce vent de révolte avait dors et déjà pénétré les murs du château. Gabriel et Anthony en étaient la preuve formelle. Voilà quel était son but, donc. Qu’il servait à tous prix. Quitte à employer des méthodes qui n’étaient pas moins déplorables, à la vérité, mais passons. Il n’avait pas l’intention de s’étendre trop longuement sur le sujet dans tous les cas. Il avait des rebelles à rejoindre, qui, il le savait, comptant sur sa présence. Il s’était déjà absenté bien trop longuement (il avait tendance à le faire de manière bien trop régulière ces derniers temps, mais pour la bonne cause toujours évidemment).

-Sur ce, je vous remercie de cette agréable conversation, mais je vais devoir y aller.

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