L'amour supporte mieux l'absence ou la mort que le doute ou la trahison. [pv Geoffroy <33333]

A

la déception, au doute, à l'incompréhension, à la détresse, à tous ces sentiments qui l'avaient assaillie par vagues au moment de sa rencontre avec la jeune Ishani avait cédé un sentiment bien différent, bien plus vif, bien plus violent : la colère. Geoffroy avait une fille, et il le lui avait caché, il avait cru pouvoir honnêtement s'en tirer sans rien lui dire. Il l'avait regardée dans le blanc dans les yeux et lui avait juré n'avoir connu aucune autre femme durant son exil de l'autre côté de l'océan, et elle, stupide, naïve, prête à tout croire et tout entendre de son mari, elle avait avalé ces couleuvres sans broncher, elle l'avait cru, bêtement, stupidement. Elle n'en revenait pas de sa propre candeur, à croire que retrouver Geoffroy lui avait effectivement fait perdre vingt ans, pourtant, elle voulait croire qu'elle avait cessé d'être naïve depuis bien longtemps. Il lui avait menti, et elle, elle était en colère contre lui, lui qui avait trahi sa confiance en lui mentant droit dans les yeux, et contre elle-même pour ne pas s'être méfiée un seul instant.

Elle n'en voulait même pas à Geoffroy d'avoir eu une conquête ou l'autre durant son temps passé au royaume du bout de l'océan (et elle comprenait définitivement pourquoi il s'était montré à ce point secret à ce sujet, à présent). Elle aurait forcément été jalouse de l'apprendre sur le moment, mais pas au point de le rejeter non plus, parce qu'après tout, près de deux décennies s'étaient écoulées, ils auraient tout à fait pu décider de refaire leurs vies, se considérer morts l'un pour l'autre. Mais il avait dissimulé les faits et cru s'en tirer à bon compte. Les fondations de leur relation à rebâtir étaient plus fragiles que jamais, et elle ne s'en rendait compte que maintenant. Elle ne croirait plus un seul mot qu'il lui adresserait... Elle ne voulait plus l'entendre, d'ailleurs.

Il n'avait pas seulement connu d'autres femmes, il avait eu une fille. Et elle, elle qui n'aurait jamais d'enfants, devait supporter de découvrir que Geoffroy avait fondé sa propre famille, en se gardant bien de lui en dire quoi que ce soit. Bon, il ne savait rien de cette enfant, si elle avait bien compris, mais ça ne changeait pas grand-chose aux faits. Et ces faits, elle ne réussirait pas à y faire face, elle n'en serait pas capable, c'est tout.

Alors elle avait pris une décision radicale. Elle ne voulait plus entendre parler de lui. Geoffroy partirait comme il était venu, tout simplement. Profitant de l'absence de son époux, elle avait préparé ses bagages, et à présent, elle attendait son retour, dans leurs appartements (ses appartements, du coup), prête à en découdre. A peine eut-il ouvert la porte de la pièce qu'elle attaqua d'office.

-Tes affaires sont prêtes, tu peux t'en aller, décréta-t-elle d'une voix monocorde sans même le regarder dans les yeux.

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G

eoffroy semblait sincèrement surpris, mais Jocaste n'y voyait certainement pas un signe d'innocence. S'il était surpris, c'était sans doute parce qu'il ne s'attendait pas du tout à ce que ses petits (gros) mensonges lui explosent en pleine figure. Seulement voilà, Jocaste savait tout, à présent, et ça ne passait pas. Et la dureté de ton qu'il employait avait le mérite de la conforter dans sa position. Jocaste avait un peu redouté de se laisser attendrir par son époux, mais finalement, elle se sentait capable d'aller jusqu'au bout, même si ça la faisait sincèrement souffrir. Elle n'avait pas envie de le voir partir, mais elle ne pouvait pas lui pardonner ce qu'elle avait découvert, c'était impossible. La décision de Jocaste était irrévocable, et sous aucun prétexte elle ne changerait d'avis, même s'il serait simple, agréable même, de se réfugier derrière l'un ou l'autre prétexte à fermer les yeux. Mais on ne pouvait pas fermer les yeux sur un événement qui avait pris la forme et l'apparence d'une jeune femme de dix-huit ans, c'était impossible.

-J'ai rencontré une jeune femme, ce matin, venue tout droit de l'autre royaume, décréta-t-elle d'un ton froid et détaché. Encore et toujours, elle refusait d'adresser à Geoffroy le moindre regard. Il était beaucoup plus simple de demeurer sur ses positions, de rester ferme et de ne pas laisser sa voix trembler, quand la servante de la reine n'avait pas à croiser le regard de l'homme qu'elle avait épousé il y a longtemps et avait pensé aimer toujours comme au premier jour. Elle était à la recherche de son père, ajouta-t-elle.

Et cette fois, elle osa relever les yeux, c'était plus simple pour que Geoffroy puisse lire quelle rage sourde hantait dorénavant ses prunelles. Elle était plus en colère qu'elle ne l'avait jamais été de toute sa vie. Elle se sentait blessée, trahie, humiliée, ni plus ni moins, et rien au monde ne pourrait dorénavant la libérer de ce sentiment. C'était comme vivre un deuxième deuil. D'abord celui de l'homme qu'elle avait tant aimé et aimait toujours tant, à présent celui d'une relation à laquelle elle avait sacrifié sa vie entière.

-Pourquoi est-ce que tu m'as menti ? demanda-t-elle posément.

Même si la réponse était évidente. Geoffroy lui avait menti parce que Geoffroy était lâche, tout simplement. Il n'avait pas assumé sa vie de l'autre côté de l'océan, il avait édulcoré le récit de sa vie là-bas en s'imaginant qu'il n'y verrait que du feu. Mais s'il fallait retenir une leçon de toute cette situation sordide, c'est qu'aucun secret ne restait jamais enfoui pour toujours. Un jour où l'autre, il fallait qu'ils reparaissent à la surface. Et à ce moment-là, alors, ça faisait mal, très mal.

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L'

incrédulité et la surprise se lisaient clairement sur le visage de Geoffroy, mais ce n'est pas pour autant que Jocaste comptait se laisser abuser. S'il était surpris, c'était sans doute parce qu'il ne savait pas que cette enfant existait, ou s'il le savait, il ne s'était pas imaginée qu'elle ferait le chemin jusqu'à Féerie pour venir à sa rencontre. En bref, Jocaste n'était pas convaincue. Elle n'avait pas de preuves tangibles, certes, mais elle avait le témoignage légitime d'une jeune femme qui n'avait clairement aucune raison d'inventer un tel mensonge. Alors Geoffroy ne retournerait clairement pas la situation en la blâmant elle sous le prétexte d'être trop crédule ou de ne pas lui faire confiance.

De toute évidence, non, elle ne devait pas lui faire confiance. Elle voudrait qu'il en soit autrement, mais elle avait le sentiment que son époux ne lui laissait pas le choix. Il aurait pu faire amende honorable, il aurait pu lui avouer, sur le moment, qu'il avait fréquenté d'autres femmes. Jocaste n'aurait pas apprécié de l'entendre, mais elle aurait compris néanmoins. Là, elle ne comprenait pas, et elle ne pardonnait pas. Elle se sentait trahie, et elle se sentait humiliée, autant dire que partant de ce principe, il n'était pas question pour elle de faire preuve de l'ombre de la moindre clémence.

-Quel intérêt aurait cette fille à mentir, tu peux me le dire ? Je suis convaincue de sa sincérité. Cette jeune fille n'a aucun doute quant au fait que tu es son père. Pourquoi est-ce qu'elle mentirait ?

Elle n'avait aucune raison valable de mentir. Geoffroy, lui, en avait. Des raisons valables, pas excusables. Il avait voulu montrer pattes blanches, jouer les exemples de loyauté, de fidélité et de vertu. Mais il avait cédé à ses bas instincts, et maintenant, il laissait une enfant orpheline.

-Elle s'appelle Ishani, et tu ne devrais pas avoir de mal à la retrouver, elle ne passe pas inaperçue. De par sa couleur de peau, ses origines ne pouvaient échapper à personne, en effet. Si tu ne veux pas te montrer honnête envers moi, certes, mais cette fille a traversé un océan pour te trouver, alors aie au moins la décence de lui adresser le minimum de considération qu'elle mérite.

Elle, elle ne pardonnerait pas, mais ce serait encore pire, en réalité, si son mari n'était pas capable d'assumer la paternité de son propre enfant, alors il n'y avait définitivement rien à attendre de lui, absolument rien du tout. Qu'il assume au moins ses actes et leurs conséquences. A ce stade, c'était définitivement le moins qu'il puisse faire. C'était même la seule chose qu'il puisse faire encore. Ce n'était pas agréable, mais c'était la moindre des choses.

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on, ce n'était pas l'évidence, pas aux yeux de Jocaste, en tout cas. Elle voudrait n'avoir aucun doute, mais il lui était impossible d'accepter une excuse si "facile" quand l'évidence avait un nom et un visage, et avait eut l'air parfaitement sincère dans sa démarche. Alors même si elle devrait privilégier la parole de son époux à celle d'une inconnue, elle n'y arrivait pas. Il y avait trop de zones d'ombres, trop d'éléments de son passé que Geoffroy dissimulait sous le prétexte que c'était trop honteux, trop éprouvant, qu'il n'en était pas fier... Finalement, elle ne connaissait que les grandes lignes de sa vie de l'autre côté de l'océan, et ça ne lui suffisait pas à penser que l'homme qu'elle aimait - et qui en cet instant lui faisait tant de mal - était parfaitement honnête à son adresse. A partir de là, peu importe les arguments que Geoffroy pourrait lui donner, elle ne serait pas capable de les écouter, elle n'était pas dans les bonne dispositions pour ça. Elle ne savait pas ce qu'il lui faudrait pour que sa confiance en son époux soit restaurée. La vérité, sans doute, qu'il daigne au moins passer aux aveux. Sauf qu'il n'avait aucun aveu à faire, et ça, elle n'était pas encore capable de bien vouloir l'entendre.

-Moi non plus, je ne vois vraiment pas pourquoi elle aurait fait tout ce chemin pour mentir, Geoffroy, vraiment pas, répliqua toujours aussi fermement Jocaste, qui en plus du reste, avait l'impression que son mari la prenait pour une idiote. Pensait-il vraiment s'en tirer à si bon compte ? Pensait-il vraiment qu'elle allait boire toutes ses paroles et opiner du chef comme si de rien n'était, comme si tout ceci n'était pas grave ? Sauf que si, ça l'était, ça l'était vraiment. Et il allait devoir assumer les conséquences de ses actes, et de ses mensonges, pour elle oui, mais aussi pour cette fille, pour sa fille. Elle n'a rien réclamé, pas d'argent, rien, juste le droit de voir son père. J'espère au moins que tu daigneras lui accorder ça.

Elle poussa un profond soupir, cette situation lui faisait du mal, mais elle faisait au mieux pour demeurer aussi digne et composée que possible. Ce n'était pas chose simple pour elle, mais elle avait été habituée de longue date à contenir et dissimuler ses émotions. A ce stade, c'était presque un rôle de composition pour elle, en réalité.

-Tu as perdu ma confiance, mais tu as gagné une fille. Fais au moins l'effort d'être digne de ses efforts pour te retrouver.

Elle devrait accepter de l'écouter, mais elle s'en voulait. On lui avait dit de se méfier, elle n'avait voulu écouter que son coeur. Et maintenant, ce coeur était brisé en mille morceaux.

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ocaste n'aimait pas vraiment l'insistance de son époux. Quand celle-ci devrait la convaincre de sa bonne foi, cela avait finalement l'effet inverse. Qu'il ne soit même pas capable d'assumer la paternité de cette enfant lui ferait presque plus de mal que le mensonge en lui-même. Elle aurait pu lui pardonner une infidélité qui d'ailleurs n'en aurait pas été tout à fait une si elle n'avait pas à ce point le sentiment d'être prise pour une idiote. Sauf que oui, elle avait le vif sentiment d'être prise pour le dindon de la farce, et ça ne passait pas, ça ne passait vraiment pas.

-Mais assume, au moins, s'il te plaît. Tu ne peux pas te cacher de la vérité, encore moins quand la vérité a tant de traits communs avec toi.

Est-ce que c'était vraiment le cas ? Peut-être que non, mais le regard de Jocaste avait été nécessairement biaisé par le récit qu'elle avait entendu. Elle ne devrait peut-être pas se laisser avoir si facilement, mais le fait est que c'était le cas, et qu'elle avait véritablement le sentiment d'être prise pour une idiote. Sans surprise, ça ne lui plaisait pas, définitivement pas.

-Je veux que tu ailles lui parler, répliqua-t-elle en écoutant aucune de ses excuses ni aucune de ses promesses.

Il lui demandait de lui faire confiance, oui, le problème, c'est qu'elle n'en était tout simplement pas capable, absolument pas capable. Elle allait avoir besoin de preuves, de preuves vraiment concrètes, et tant qu'elle ne les aurait pas obtenues, elle n'arriverait plus jamais à faire confiance à son époux.

-Tant que tu n'auras pas démêlé ça avec elle, je ne crois pas que je puisse être en mesure d'écouter quoi que ce soit qui vienne de toi.

Elle redoutait le mensonge dans chacune de ses paroles, elle craignait que tout ce qu'il lui avait dit et promis depuis leurs retrouvailles n'ait jamais été qu'un jeu pour lui. Si ça devait être le cas, elle aurait définitivement beaucoup de mal à l'accepter et plus de mal encore à s'en remettre. Elle avait besoin de preuves concrètes, et même comme ça, elle ne savait pas si ça suffirait. Le sentiment de trahison était tel en son esprit qu'il l'empêchait de réfléchir confortablement. Aucune de ses pensées ne réussissait à être cohérente en cet instant. Il se sentait mal, il se sentait démuni, et c'était une pensée véritablement insupportable à ses yeux.

-Réglez vos histoires entre vous, et quand ce sera fait, nous en reparlerons. Elle poussa un soupir. S'il y a vraiment quoi que ce soit à dire, ajouta-t-elle de ce ton sceptique qui laissait suggérer que tout était fini quoi qu'il en soit.

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