La cinquième roue du carosse [pv Joseph]

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a vie n’avait pas son pareil pour toujours reprendre son cours, et plus encore dans ces moments où on l’en imaginerait incapable tant elle avait été bouleversée par des événements aussi violents qu’exceptionnels. Jocaste avait déjà pu en faire le constat après la fin de la première guerre. Le monde tel qu’elle le connaissait alors avait radicalement changé : un nouveau roi sur le trône, un nouvel ordre, mais surtout, pour elle, ce qu’elle pensait être le décès de Geoffroy. Cet événement tragique aurait dû marquer pour elle la fin de tout, mais la vie avait pourtant continué. Elle avait changé, c’est vrai, mais elle s’était adaptée, et elle avait adopté un nouveau cours. Il avait toujours manqué quelque chose à Jocaste depuis ce jour, il lui avait manqué son mari. Mais elle avait appris à faire avec, ou plutôt à vivre sans. Elle avait trouvé un nouvel emploi auprès de la reine, elle avait fait de son rôle de servante sa nouvelle raison de vivre, et la vie avait bien continué…

Le même constat était à observer avec le retour de l’homme qu’elle aimait dans sa vie. Ça avait été si inattendu, si fort, si exceptionnel, qu’il avait été difficile de croire alors que son existence reprendrait une nouvel fois son fil, inlassable. Ça avait été le cas pourtant. Mais avec une nouvelle dynamique, une nouvelle routine, qu’elle adorait. S’ils l’avaient sans doute espéré tous les deux, ils avaient bien vite compris qu’ils ne pourraient pas se contenter de reprendre leur relation où ils l’avaient arrêtée, trop de choses avaient changé, eux-mêmes avaient beaucoup trop changé… Mais cela n’empêchait pas Jocaste de savourer intensément chaque moment qu’elle passait dans les bras de son époux. Elle apprenait seulement à s’éloigner de ces mêmes bras pour revenir à ses occupations, à ses obligations, qui au passage lui tenaient terriblement à cœur.

Aussi, si dans un premier temps, elle avait eu beaucoup de mal à s’éloigner des bras de Geoffroy, comme si elle craignait qu’il disparaisse définitivement dès que ses yeux ne pourraient plus se poser sur lui, elle parvenait de plus en plus facilement à s’éloigner pour reprendre ses habitudes… et elle commençait à se faire à l’idée qu’il ne partirait plus, qu’elle ne le perdrait plus. Ou du moins pas avant longtemps, ce qui suffisait à la rassurer.

Jocaste savait que son époux devait s’entretenir avec le roi, et se doutait qu’il n’en aurait pas fini alors qu’elle-même pouvait profiter d’un peu de temps libre, aussi choisit-elle de ne pas rejoindre immédiatement ses appartements et préféra-t-elle profiter du temps doux et clément pour se promener un peu dans les jardins du château… où elle fut par hasard une rencontre, qui lui était (innocemment) plaisante.

-Joseph, comment vas-tu ?

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ocaste afficha un fin sourire flatté quand son interlocuteur affirma se sentir bien mieux à présent qu'il l'avait face à lui. Elle pourrait prétendre ne cerner dans ces mots que la marque d'une affection toute amicale, mais ce serait mentir que d'affirmer qu'elle n'y discernait pas une certaine abiguité dans ses propos... tout comme ce serait mentir que d'affirmer qu'elle ne faisait rien pour le tenir à distance. C'était forcément flatteur, d'entendre ce genre de propos, et aucune compagnie ne lui avait fait autant de bien que celles de Joseph et de la reine en l'absence de Geoffroy. Ce qui ne changeait rien au fait que s'il ne s'était rien passé entre eux, avant, Jocaste ne sachant se défaire du souvenir de son époux qu'elle avait cru défunt, cela ne risquait certainement pas de changer maintenant, alors que son mari était de retour. Malgré tout, elle ne comptait certainement pas se priver d'une compagnie qui lui restait quoi qu'il en soit agréable. Sans compter qu'elle n'oubliait pas à quel point sa présence avait su lui faire du bien autrefois...

Elle n'allait en rien se priver d'une compagnie qui lui était agréable et plaisante sous prétexte que Geoffroy était de retour, loin de là, et s'il avait un peu de temps devant lui, puisqu'elle en avait devant elle, elle serait ravie de passer du temps en sa compagnie. Il allait bien, quoi qsu'il en soit, et elle était vraiment heureuse de l'apprendre. Sous ses apparences froides et détachées, Jocaste avait toujours voulu le bien-être de celles et ceux à qui elle tenait, quand bien même ils n'étaient pas bien nombreux..

-Comme tu l'as dis toi-même, c'est une belle journée, comment pourrait-on aller mal en ces circonstances ?

En considérant l'état du royaume et en admettant que la Couronne était menacée... ce qui était bel et bien le cas, il y avait de bonnes raisons d'aller mal, en réalité, de très bonnes, même, tout bien considéré, mais elle n'avait pas envie de s'appesantir sur ce sujet en présence de Joseph... tout comme elle ne pensait pas que ce soit réellement nécessaire.

-Tu as du temps devant toi ? J'avais l'intention de marcher un peu.

Sous-entendu, il apprécierait qu'il l'accompagne si le coeur lui en disait.

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oseph avait toujours su se montrer des plus flatteurs envers elle, en plus d'être agréable et galant, et elle devait bien reconnaître que ce n'était pas pour lui déplaire. En même temps, c'était tout naturel que d'apprécier être ainsi complimenté, mais dans le cas de Joseph, c'était d'autant plus plaisant que Jocaste osait croire qu'il pensait chacun des mots qu'il prononçait. Ce qui devrait l'inviter à mettre des distance entre eux... mais l'encourageait plutôt à faire l'inverse, en réalité, pas pour s'amuser à un de ces jeux dangereux qui briserait le coeur de son époux, mais parce qu'elle était tout simplement incapable de se passer d'un ami à ce point agréable, qui l'avait aidée et soutenue durant toutes ces années de deuil, présent et attentif, à l'écoute de la moindre de ses pensées, et du moindre de ses besoins.

-A la bonne heure, en ce cas, répondit-elle avec un grand sourire, ravie de pouvoir passer un peu de temps avec un ami qui saurait écouter ses confidences, la conseiller et avec qui, tout simplement, elle pourrait parler de tout et de rien, avec le grand plaisir d'avoir trouvé une oreille attentive, et également ravie de pouvoir se repaître de la moindre confidence ou anecdote que Joseph choisirait de lui accorder.

Elle se dirigea donc d'un pas léger mais décidé vers les jardins du château, propices aux longues promenades et aux conversations. Où elle appréciait de se balader durant son temps libre, quand elle pouvait en avoir l'occasion.

-Alors, quelles sont les nouveautés ? Qu'as-tu à me raconter ? Je veux tout savoir !

Et c'était le cas, ce n'étaient pas des mots qu'elle prononçait pour la forme. Avec Aurore, Joseph était la personne dont elle se sentait la plus proche (exception faite de Geoffroy, cela va sans dire, mais il avait toujours été et serait toujours une exception, quoi qu'il advienne, et même s'il avait dû ne pas revenir), et elle était donc toujours soucieuse de son état, et de ce qui pouvait accaparer ses pensées, ou animer son existence. Comme elle ne s'était jamais privé de tout lui apprendre dans les moindres détails de sa propre existence. Une complicité qu'elle n'avait pas l'intention de voir s'éteindre, même à présent que son époux était de retour.

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u fond, la réponse de Joseph ne surprenait pas réellement Jocaste. Bien au contraire, même. Ils se connaissaient depuis longtemps, après tout. Et quand bien même Jocaste osait penser que son interlocuteur ne lui cachait jamais rien, elle savait pertinemment qu'il n'était pas quelqu'un d'expansif, bien au contraire... Et il se contentait toujours d'aller à l'essentiel. Il ne se livrait pas forcément beaucoup. Et puisque les nouvelles qu'il pouvait avoir à partager avec elle étaient des nouvelles dont elle-même avait déjà pu avoir vent, il était assez logique, en effet, qu'il n'ait pas davantage à lui dire. Ce n'était pas bien grave.

La servante de la reine ne s'ennuyait jamais auprès de Joseph, et elle était convaincue qu'ils trouveraient forcément un sujet de conversation, quel qu'il soit. Sur la vie au château en général, c'était l'évidence qu'elle était forcément au courant de tout ce qu'il savait. Sur sa vie à lui, elle ne pouvait pas en avoir la certitude... mais elle décidait de l'écoutere, de le croire sur parole. Jocaste comprenait, et s'il n'avait rien à dire, elle-même saurait combler les vides, même si ce ne serait pas forcément pour plaire à son interlocuteur.

-Eh bien, j'imagine que je vais devoir alimenter notre conversation par mes propres moyens, en ce cas, plaisanta-t-elle avec un fin sourire. Même si je doute d'avoir la moindre nouvelle inédite à t'adresser. Mais il y a tant de choses, en revanche, dont j'ai envie de parler. Elle marqua une légère pause. Tu dois savoir que Geoffroy est de retour.

Elle ne doutait pas un seul instant du fait qu'il l'était, en réalité. La nouvelle avait fait le tour du château, et elle ne connaissait personne, dans son entourage, qui ne soit au courant de ce grand retour qui avait évidemment de quoi intriguer et surprendre compte tenu des circonstances de ce dernier, et du temps qu'avait duré l'isolement du mari de Jocaste. Bien sûr, parler de Geoffroy en présence de Joseph n'était sans doute pas la meilleure des choses à faire, mais Jocaste n'allait pas occulter le sujet, et puisqu'elle se doutait qu'il serait abordé à un moment ou à un autre... autant le faire tout de suite. Ce n'était pas comme s'il devait s'agir d'un sujet tabou dans tous les cas. Après tout, Jocaste et Joseph s'étaient toujours tout dit.

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ocaste ne réalisa pas (ou s'efforça de ne pas le réaliser, car il était plus simple pour elle de faire comme si de rien n'était que d'admettre certaines choses et donc d'avoir une conversation qui la mettrait en porte-à-faux vis-à-vis d'un ami qu'elle n'avait absolument pas envie de perdre) que son interlocuteur s'était rembruni à l'évocation de son époux disparu. Jocaste pouvait se doutait que ce n'était pas forcément le sujet le plus plaisant à aborder pour son interlouteur, mais s'il fallait parler d'elle et de ce qui animait sa vie dernièrement, ce n'était pas réellement comme s'ils pouvaient passer à côté du sujet. Et Jocaste n'en avait pas envie, d'ailleurs.

La servante de la reine avait tu le nom de son époux pour en souffrir le moins possible, à présent qu'il lui était revenu à nouveau, elle n'avait aucune envie d'éluder le sujet... Bien sûr, le temps passant, ses bonnes vieilles habitudes retrouvées, elle penserait forcément différemment, mais elle en était loin pour l'heure. Alors pour en parler, elle en parlait, et elle était soulagée d'entendre Joseph se montrer attentif à ce sujet de conversation. Joseph était son ami, son confident, si elle ne pouvait pas parler de tout cela avec lui, alors avec qui ? Tout cela manquerait très singulièrement de saveur. Il résumait très bien la situation. Oui, elle était heureuse. Et pour ce qui était d'être soulagée... La situation allait encore bien au-delà du soulagement... Elle n'y croyait plus, elle avait porté le deuil de son mari pendant près de deux décennies. Son retour était inespéré. Ce n'était pas juste du soulagement, qu'elle éprouvait, mais la sensation d'avoir retrouvé son oxygène, comme si elle avait vécu en apnée tout ce temps. Tout se découvrait à elle sous un nouveau jour, et c'était un véritable bonheur. Elle hocha la tête avec le sourire.

-C'est exactement ça. J'ai encore du mal à croire que c'est vraiment réel, tu sais. Elle afficha un sourire. C'est comme si rien n'avait changé, comme si nos sentiments étaient restés les mêmes, depuis tout ce temps. Et pourtant, tout est différent, il y a tous ces projets que nous ne pourrons plus réaliser, toutes les questions que je me pose sur sa vie de l'autre côté de l'océan...

Bref, Geoffroy était un sujet de conversation pour le moins intarissable à ses yeux.

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ocaste afficha un sourire sincère quand Joseph affirma qu'il était content pour elle. Elle avait, de tout coeur, envie de croire que c'était sincère. Oui, elle songeait parfois que l'intérêt que lui portait son ami n'était pas totalement innocent et en jouait quelque peu, mais dans tous les cas, elle avait envie de croire qu'il tenait à son bonheur quoi qu'il puisse advenir, et même s'il devait mettre le sien en sourdine, peut-être. C'était sans doute abusé, comme manière de penser, et elle le savait forcément, mais elle n'y pouvait rien. C'était un fait, elle était heureuse, très heureuse avec Geoffroy, et était sur un petit nuage depuis qu'elle l'avait retrouvé, et elle voulait le bonheur de son ami. Alors s'il réussissait déjà à se réjouir de son bonheur à elle, pour elle, c'était une sorte de victoire en soi.

Mais Joseph nuança bien vite son propos. Et en réalité, Jocaste ne pouvait pas le lui reprocher. Oui, elle vivait un rêve éveillé depuis qu'elle avait retrouvé son époux... Elle l'avait cru perdu pour toujours mais elle avait toujours, malgré tout, espéré secrètement qu'il lui revienne, ce qui lui avait interdit de se rapprocher de quiconque (y compris de Joseph, dans le cas contraire, qui sait ce qui se serait passé). Elle avait porté le deuil pendant près de vingt ans, oui, pour elle, c'était une chance, une libération. Mais à l'échelle du royaume, elle avait tout de même entièrement conscience de ce que ça signifiait. Et encore maintenant, malgré les circonstances, elle tenait à ce que la Couronne ne soit jamais compromise.

Oui, la destruction de la barrière n'était pas une bonne chose. Geoffroy n'y était pour rien, bien sûr, il était pour ainsi dire un symptome de cette situation, pas sa cause, et quelque part, elle avait envie de penser que son retour avait au moins le mérite d'avoir mis au courant Edgar, qui ne l'aurait peut-être été sinon qu'au moment d'une attaque du territoire ennemi (si celle-ci devait avoir lieu... mais comment ne pas penser que ça se reproduirait ?).

-Je sais, répondit-elle, son sourire s'effaçant légèrement. Tu me trouves cruelle ? Injuste d'oser me réjouir ?

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une des grandes qualités que Jocaste reconnaissait à Joseph (et il y en avait de nombreuses autres), c'était sa franchise à toute épreuve (même si, pourtant, il ne lui disait pas tout). Il n'hésitait jamais à exprimer ce qu'il pensait, il n'essayait pas de la brosser dans le sens du poil afin de lui être plus agréable. Souvent, ils tombaient d'accord, car leurs manières de penser étaient loin d'être différentes, mais à quelques reprises, il leur était arrivé de ne pas tomber d'accord, et Jocaste avait apprécié ces conversations autant que les autres, parce que ces conflits d'opinions ouvrait la porte à des débats parfois animés mais en tout cas toujours respectueux, et l'avis de Joseph valait toujours la peine d'être entendu quoi qu'il en soit.

Cette fois, c'était plus difficile d'entendre ce qu'il avait à dire, parce que ça la concernait très personnellement. Mais en même temps, peut-être justement parce que c'était plus difficile, il était nécessaire qu'elle tienne compte de son opinion, qu'elle accepte d'observer la situation dans son intégralité. Mieux valait qu'on exprime ses réserves auprès d'elle tout de suite que plus tard, quand elle se serait laissée prendre à elle ne savait pas quel piège. Ceci dit, même maintenant, et en dépit de tout ce qu'elle savait, elle ne réussissait définitivement pas à se défiier de Geoffroy...

Malgré tout, Jocaste ne pensait pas que Joseph soit insensible à son bonheur, elle avait surtout peur de passer pour naïve, ou allez savoir quoi d'autre, peut-être parce que c'était ce qu'elle était, dans le fond. Il avait raison d'être inquiet... il voyait la situation dans son ensemble, ne favorisait pas seulement un unique aspect de la situation en question. Le fait qu'en effet, Geoffroy et Joseph ne sont pas les meilleurs amis du monde pour commence, lui aidait sans doute à garder l'esprit un peu plus clair.

-C'est normal, répondit Jocaste. Elle ne pouvait pas lui reprocher de s'inquiéter pour l'avenir du royaume... Elle ne pouvait que se reprocher, à elle, de se réjouir qu'il ait été mis en péril puisque ça lui avait permis de retrouver l'homme qu'elle aimait. Je m'inquiète aussi, tu sais, même si je n'en donne pas forcément l'air.

Elle ne voulait pas du tout passer pour une insensible... ou une idiote finie.

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n réponse, il lui adressa un "Je l'espère" qui n'aurait pas eu plus déplaisant effet en réalité que si il lui avait tout bonnement affirmé qu'il ne la croyait pas. Jocaste n'aimait vraiment pas ce que son ami était en train de sous-entendre. Jusqu'ici, ils avaient toujours su tomber d'accord, sur à peu près tous les sujets... et s'il devait y avoir un point de désaccord entre eux, ils avaient toujours su intelligemment en débattre et parvenir à un consensus digne d'intérêt. Ce n'était pas pour rien s'il était devenu l'une des personnes qui comptait le plus pour elle.

Elle avait toujours eu le sentiment qu'il était capable de la comprendre, qu'il savait quel genre de personne elle était. Mais là, dans son regard, elle se voyait tout à coup comme une personne stupide, naïve, idiote, tout ce qu'elle osait affirmer haut et fort ne pas être, et le pire n'était pas seulement d'envisager de décevoir Joseph en cet instant. Le pire était qu'elle craignait, d'une manière ou d'une autre, de devoir lui donner raison. En temps normal, même si elle n'aimait pas avoir tort, donner raison à Joseph ne la dérangeait pas, car elle estimait assez sa rigueur et son intelligence pour cela. Mais là... l'affaire lui tenait définitivement bien trop à coeur. Impossible pour elle, par conséquent, d'y réagir judicieusement.

-J'ai toujours été loyale et fidèle, répondit-elle d'un ton affecté, envers la Couronne, envers mon époux, envers ceux que j'estime être mes amis. Je n'ai jamais dérogé à mes principes, je sais quelles sont mes priorités. Quoi qu'il advienne, je privilégierai toujours mon rôle envers la reine, le retour de Geoffroy ne change rien à cela. Elle marqua une légère pause. Je pensais que tu me connaissais assez pour le savoir.

Mais elle n'avait pas non plus à lui reprocher sa propre attitude à elle. Si la remarque de Joseph la blessait, c'était peut-être qu'elle y décelait un fond de vérité. Elle ne pouvait pas prétendre être objectif, après tout, alors qu'elle était, au fond, incapable de voir en son mari un autre que celui dont elle était tombée amoureuse, ce même si elle savait que sa vie de l'autre côté de l'océan était tout sauf glorieuse. Malheureusement, elle avait sa fierté, et il lui était difficile de passer outre cette dernière.

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ocaste s'en voulait, quelque part, d'avoir montré sans fard qu'elle s'était sentie vexée par les propos de son amie... mais s'il était bien quelqu'un qu'elle ne pouvait tromper, c'était Joseph, à force de se fréquenter, il la connaissait par coeur, même si elle avait été capable de mieux dissimuler le fond de sa pensée, il l'aurait forcément percée à jour. Et en l'occurrence, on ne pouvait pas réellement dire qu'elle ait fait beaucoup d'efforts non plus. Joseph était de ses rares personnes auprès desquelles elle s'était toujours montrée complètement honnête et plus accessible. Alors il était normal, oui, qu'il ait compris qu'elle se soit sentie vexée, et il était très probable qu'elle ait cherché à le lui faire comprendre aussi. Cela ne changeait pas grand-chose au sentiment qui l'envahissait en cet instant. Ses conversations avec Joseph avaient toujours été agréables, plaisantes, parce qu'ils se tenaient mutuellement en grande estime. Maintenant, elle ne savait plus ce qu'il en était.

Joseph, quoi qu'il en soit, s'excusait, et Jocaste appréciait vraiment, tout comme elle appréciait qu'il ne remette pas complètement en question non plus sa fidélité envers la Couronne. Au fond, elle n'avait aucun mal à croire que ses intentions étaient bel et bien nobles, et que tout ce qu'il avait voulu, c'était la protéger et rien d'autre. Il avait toujours cherché à veiller sur elle. Jocaste n'estimait pas en avoir besoin, cela ne l'empêchait pas d'apprécier l'attention pour autant. Dans la situation inverse, est-ce que elle aussi n'aurait pas mis tout en oeuvre pour raisonner son ami, pour être certaine qu'il ne se laissait pas abuser par ses sentiments ? Si, très probablement.

-Je sais, admit-elle dans un léger soupir, sans rejeter les mains qui serraient les siennes... entretenant comme trop souvent l'ambiguité. J'entends tes avertissements, lui assura-t-elle alors d'un ton un peu moins piqué au vif. Je les entends et je les comprends. Mais je sais ce que je fais. Et j'ai besoin que tu me fasses confiance.

Sa vie était en train de prendre un tournant qu'elle n'avait pas présumé, elle savait que, pour la peine, beaucoup de choses allaient forcément changer. Mais elle ne voulait surtout pas que leur amitié, elle, change. Elle avait besoin de pouvoir compter sur Joseph quoi qu'il arrive.

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ocaste esquissa un léger sourire en l'entendant lui assurer qu'il lui faisait confiance. Elle aimerait le croire sur parole et ne pas remettre en question en parole une seule seconde, mais elle en était incapable, pas après ce qu'il lui avait dit... Elle avait le sentiment que quelque chose, un fondamental même de leur amitié, s'était fragilisé à l'instant où elle avait choisi de parler de Geoffroy, et cette impression, fût-elle totalement le fruit de son imagination, lui était impossible à mettre de côté. Malgré tout, elle comptait bien, dans les temps à venir, prouver à Joseph que ses choix n'étaient pas mauvais, et qu'elle n'était pas une pure tête de linotte qui ne pensait qu'avec son coeur et avait relégué la réflexion et la raison au passage...

Au fond d'elle, elle caressait même l'espoir que son époux et lui finissent par s'entendre, que l'estime qu'elle comptait tant retrouver en son époux, l'homme finisse lui aussi par la ressentir. C'était trop en demander à coup sûr, mais Jocaste savait souvent se donner les moyens de ses ambitions. Pour avoir déjà perdu quelqu'un qu'elle aimait profondément par le passé, elle ne comptait pas laisser cette situation se reproduire, surtout à présent que cette personne, contre toute attente, lui était revenue. Comme elle n'avait jamais renoncé à ses sentiments pour son mari, elle ne renoncerait jamais non plus à son affection pour Joseph. C'était dit, c'était certain, c'était acté, et elle ne reviendrait certainement pas là-dessus. Même si, en cet instant, elle avait la désagréable sensation que tout n'avait pas été dit... et que tout ne pouvait pas être dit, car ils seraient incapables de s'entendre à l'heure actuelle.

-J'ai toute confiance en toi, moi aussi, ajouta-t-elle après un moment.

Des paroles qu'elle pouvait prononcer sans rougir, car elle en pensait chaque mot. Si elle devait confier jusqu'à sa propre fille à Joseph, elle le ferait sans hésiter, car elle savait qu'il en prendrait le plus grand soin. Même maintenant, après un tel échange, elle n'en doutait pas, car loin de l'accuser, elle était convaincue qu'il cherchait surtout à la protéger avant toute chose.

-Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans toi toutes ces années. Sa compagnie avait été un baume à son coeur déserté, et elle n'avait pas l'intention néanmoins de lui accorder moins d'importance à présent que ce coeur s'autorisait à battre à nouveau. Ce que je ferais sans toi aujourd'hui.

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ocaste considéra Joseph avec un certain étonnement quand il affirma qu'il n'était pas si indispensable. Elle devait reconnaître être surprise. Est-ce qu'il le pensait réellement ? Ou jouait-il les faux modestes ? Si la première proposition était la bonne, elle devait bien admettre qu'elle ne comprenait pas. Joseph n'avait jamais manqué de confiance en lui, en tout cas à ses yeux, et elle ne pensait pas lui avoir un jour donné l'occasion de penser qu'il ne représentait rien d'indispensable à ses yeux, au contraire... Est-ce qu'il disait cela par rapport au retour de Geoffroy ?

Elle espérait que non, mais elle ne savait se l'expliquer autrement... Il est vrai que depuis le retour de son époux, elle lui avait consacré beaucoup de temps, du temps qu'elle consacrait parfois à Joseph. Peut-être se disait-il que le soutien que lui apportait son mari retirait la valeur du soutien que Joseph lui apportait depuis des années ? A ses yeux, ce n'était pourtant pas le cas du tout. Les deux étaient totalement disociables, elle n'avait pas envie de perdre Joseph sous prétexte qu'elle avait retrouvé Geoffroy. Et elle ne voyait aucune raison de choisir entre les deux, puisqu'ils incarnaient pour elle deux formes d'affection et d'attention différentes.

-Bien sûr que si, tu l'es, répondit-elle directement. Elle ne savait pas si elle le menait en bateau ou non et s'il avait vraiment besoin d'être rassuré. Mais dans tous les cas, elle ne pouvait pas lui laisser dire une chose pareille. Je te dois énormément. Je ne t'en remercie peut-être pas suffisamment, mais je le pense réellement.

C'était une certitude. Sans le soutien indéfectible de Joseph et sa présence constante, elle aurait certainement perdu pieds après le départ qu'elle avait cru définitif de son époux. Elle avait su garder la tête froide, et c'était forcément grâce à lui. Et maintenant, oui, Geoffroy était de retour, mais ça n'ôtait rien à la valeur de l'amitié qu'elle portait à son interlocuteur. Comme elle ne se verrait plus vivre autrement qu'au service de la reine, aujourd'hui, elle n'envisagerait pas que Joseph ne fasse plus partie de sa vie. Elle ressentirait forcément un manque, un vide, si cela devait arriver, et elle n'avait certainement pas envie que cela se produise.

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ocaste ne devrait peut-être pas en douter, mais elle se sentait tout de même rassurée d'entendre son interlocuteur avoir conscience du fait qu'il lui était vraiment précieux. Leur amitié avait une immense importance pour elle, elle n'aurait vraiment pas supporté que leur relation pâtisse du retour de Geoffroy (même si c'était certainement inévitable, en réalité). Elle avait un peu le sentiment de tout faire de travers, à vrai dire, et elle n'avait pas envie d'accuser le jugement ou la déception de Joseph. Elle pouvait passer à côté de l'opinion de beaucoup, mais pas de celle de Joseph. Quand il était question de lui, la situation était forcément différente, toujours différente.

Elle sourit doucement quand il affirma qu'elle rendait ses journées plus heureuses. C'étaient des mots qu'elle appréciait très sincèrement d'entendre, parce que c'était réciproque. Elle avait toujours guetté les moments qu'ils pouvaient passer en compagnie l'un de l'autre, parce qu'elle savait qu'avec lui, elle pouvait être elle-même, elle pouvait lui parler de tout, sans exagérer, sans donner délivrer d'elle la meilleure facette d'elle-même. Juste elle dans toute son entièreté. Peut-être qu'elle n'avait pas besoin de le remercier de tout cela, parce que c'était un fondamental de toute amitié digne de ce nom. Mais elle ne pouvait s'empêcher de le remercier malgré tout, parce qu'elle avait le sentiment que ce peu de non-dits avait engendré de malentendus entre eux.

-Alors ne remets plus jamais en doute l'importance que tu as pour moi, dans ce cas, dit-elle d'un ton très sincère.

Car c'était une chose que d'assurer que leur amitié coulait de source, et que Joseph ne remettait donc pas en question son importance, c'en était une autre que d'assurer qu'il pouvait ne pas être indispensable à sa vie. Il était indispensable. Si du jour au lendemain, il devait décider de couper les ponts, retour de Geoffroy ou pas, elle se sentirait parfaitement démunie, et elle aurait le sentiment qu'il lui manquerait quelque chose.

Elle retenait la leçon, elle laisserait Geoffroy en dehors de leurs conversations les prochaines fois, même si ce serait compliqué. A présent qu'il était de retour, il allait forcément appartenir à de très nombreux aspects de sa vie, c'était comme ça, c'était ainsi.

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ocaste s'en voudrait terriblement si le retour de Geoffroy dans sa vie devait naturellement en éjecter Joseph. Elle n'avait pas conçu de vivre sans son mari, elle serait bien incapable de concevoir de vivre sans l'homme qu'elle considérait comme son ami le plus précieux. Elle ne saurait nier ou oublier les moments les plus précieux qu'ils avaient partagés. Elle savait bien qu'elle lui devait d'avoir tenu bon ces dernières années. Il avait toujours été là pour l'encourager, pour l'aider, pour la soutenir, le lien qui s'était créé entre eux lui était tout simplement indispensable. Alors elle se sentait soulagée qu'ils trouvent un terrain d'entente, que leurs divergences d'opinion ne les éloignent pas. Elle avait besoin de leur amitié, tout simplement.

-Tu ne m'as pas blessée, répondit-elle dans un fin sourire.

Ce n'était peut-être pas totalement vrai. Oui, Jocaste avait été blessée, heurtée dans son orgueil, surtout, mais elle savait faire abstraction, à présent. Elle le devait, même, car il était inutile de blesser Joseph à son tour en affirmant que son comportement lui avait fait du mal. D'autant plus qu'il n'avait péché que par accès de sincérité, et elle savait bien qu'elle avait besoin de lui pour se remettre les idées en place. Pour penser... autrement, disons. C'était une nécessité réelle... Et à l'heure où sa vie était bouleversée par le retour de son mari, elle avait d'autant plus besoin de la présence de son précieux ami à ses côtés.

-Au mieux, tu m'as un peu bousculée, et j'en avais besoin.

Elle en avait besoin, oui, tout comme elle avait besoin de Joseph. Elle s'en doutait, cette situation pourrait poser problème, pas seulement parce que son ami se questionnait, en toute légitimité, sur les circonstances - et les conséquences surtout - du retour de son époux, mais parce que son amitié pourrait bien susciter la colère et la jalousie de Geoffroy. .Elle n'avait aucune envie d'y penser, elle n'avait aucune intention de faire quelque choix que ce soit. Elle était satisfaite de la situation en l'état. Même si elle n'était pas totalement parfaite non plus. Elle se rapprochait de la perfection par certains aspects, plus que ça l'avait jamais été. Alors Jocaste n'en voudrait jamais à Joseph, au contraire, elle éprouvait envers lui une certaine gratitude pour son honnêteté.

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