Le voyage, c’est la part du rêve. (Daphnée)

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aphnée pensait que cela prendrait plus de temps. Ou que cela ne se ferait pas, tout simplement. Elle avait appris à se méfier par-dessus tout des promesses... Elle avait depuis un moment compris qu'elles étaient pour la plupart trompeuses, et qu'il ne fallait rien en attendre. comme elle savait qu'elle ne devait pas faire confiance aveuglément au premier venu. En ce sens, elle semblait avoir rompu à tous ses principes, et dans les grandes largeurs en un temps record en choisissant de croire en cet homme nommé Gorav, et en acceptant sa promesse de la mener de l'autre côté de l'océan. Non pas qu'elle y ait totalement cru non plus, mais elle avait daigné tout du moins en rêver, accepter l'idée que cela puisse réellement être, et cette idée était agréable. Il y avait longtemps que Daphnée n'avait plus rêvé. Quand elle fermait les yeux, ses paupières closes inondaient son esprit de pensées tourmentées et terribles, d'une violence inouïe. Mais récemment, elle avait fermé les yeux et vu des plages de sable fin, la sorcière sur un bûcher, une vie simple où il ne subsisterait plus rien de ses démons. Il y avait eu Eleonore et Anthony à ses côtés. Elle savait pertinemment que c'était beaucoup trop pour être vrai... mais ça avait été agréable, malgré tout. Et à présent, une partie de ce qu'elle n'osait espérer que les yeux fermés était en train de se réaliser : à bord de la barque valdingante qui lui faisait traverser l'océan, elle avançait, immuablement, vers le Royaume du bout de l'océan, ce royaume dont on lui avait tant vanté les mérites avant de lui apprendre que ce n'était qu'un leurre, qu'il n'y avait rien à espérer là-bas, que la beauté ne s'y trouvait pas davantage qu'à Féerie. Peu importe, la jeune fille préférait l'horreur nue que le diable dans un costume avenant.

Même si elle demeurait, comme à son ordinaire, distante et quasi-muette ("quasi", c'était déjà une sacrée chance, en réalité), au fond d'elle, elle mourait d'impatience, et elle éprouvait à l'égard de Gorav une réelle gratitude. Elle avait eu raison de lui faire confiance, elle ne pouvait qu'en être certaine, dorénavant. Même si de telles certitudes ne devraient pas être si simplement acquises. Ses grands yeux globuleux brillaient de curiosité et d'émerveillement quand l'embarcation s'arrêta enfin, et leur permit de mettre pied à terre. Il n'y avait pourtant pas grand-chose à voir pour l'instant, seulement l'étendue jaunâtre du sol qui se confondait avec un ciel si brûlant qu'il semblait à tout moment proche de s'embraser. Elle fit un tour sur elle-même pour regarder plus attentivement les alentours. Il y avait peu à voir mais le dépaysement, déjà, était total. Daphnée en éprouva un soulagement immédiat. Ce ne pourrait pas être différent de chez elle. Et elle adorait ça.

-Il fait très chaud, observa-t-elle simplement d'une toute petite voix qu'elle avait à peine laissé entendre au cours de leur voyage.

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aphnée se contenta d'esquisser un léger sourire quand Gorav lui fit remarquer qu'il l'avait prévenue, quant à la chaleur oppressante qui l'attendrait quand elle mettrait au Royaume du bout de l'océan. Il l'avait prévenu de beaucoup de choses, il faut le dire. Et elle l'avait écouté, elle l'avait sincèrement écouté, et elle avait bu ses paroles. Mais ça ne l'avait pas dissuadé pour autant, et c'était loin de l'avoir découragée. C'était même tout l'inverse, en fait... Et elle était contente d'être aussi, même si la jeune fille devait bien reconnaître qu'elle se laissait aisément accabler par la chaleur, dont elle avait envisagé l'importance, mais sans pouvoir en imaginer l'ampleur. Et pour cause, en même temps... elle n'avait jamais pu expérimenter cette sensation, de toute sa vie. De manière générale, elle avait surtout expérimenté le froid, voire des froids extrêmes quand, en hiver, elle avait supporté sa fine tenue et les pierres glacées, les courants d'air de partout. Même en hiver, il faisait toujours froid au sein de la prison de l'île des soupirs. Quoi qu'il en soit, elle n'avait pas l'intention de se laisser abattre par la chaleur, même si cette dernière était écrasante au possible. Elle ne fit preuve d'aucune mauvaise volonté, par conséquent, quand son interlocuteur lui apprit qu'ils avaient beaucoup de marche à faire. C'était assez évident. Pour le moment, elle ne voyait que du sable, à perte de vue. Du jaune, que du jaune, partout, aucune trace de vie humaine. C'était assez intrigant, d'ailleurs, de se dire qu'il pouvait bel et bien y avoir un condensé de vie humaine quelque part, au-delà de ces étendues sablonneuses. Elle hocha donc la tête, le plus vivement possible, pour lui faire comprendre qu'elle était déterminée, même si le soleil frappait le sommet de son crâne, et que sa gorge était dors et déjà sèche.

-Je suis prête, affirma-t-elle simplement. Elle n'avait pas vraiment le choix de toute façon, selon elle, en tout cas. Il fallait bien qu'elle bouge d'ici, sinon son état n'allait pas s'améliorer. Mieux valait rejoindre la civilisation. Et elle n'avait pas l'intention de retrouver son chemin en sens inverse. Elle était de toute façon bien trop curieuse de découvrir ces terres qu'elle avait tant imaginées, et qu'elle pouvait enfin voir. Où est-ce qu'on va ? demanda-t-elle alors ?

Elle se doutait, bien sûr, du fait qu'ils rejoignaient la civilisation, sans doute la demeure de Gorav, quelque chose de cet acabit. Mais elle voulait en apprendre plus, voulait bien entendre tout ce qu'il pouvait avoir à lui dire sur leur relation, tout simplement parce que ça la passionnait, tout simplement parce qu'elle avait envie de ne rien manquer de ce voyage. Elle se disait que c'était sa chance, que c'était son occasion. Elle ne voulait pas la manquer.

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ffronter la chaleur, un climat, des habitudes, toutes ces choses dont elle n'avait pas l'habitude et qui ne sauraient que complètement la dépayser par rapport à sa vie à Féerie (si on peut vraiment appeler cela une vie), ça n'allait pas être une mince affaire, mais Daphnée avait de la volonté et du courage à revendre. Elle avait choisi, de son propre chef, de se rendre de l'autre côté de l'océan et de découvrir le fameux royaume qui s'y trouvait et où habitait Gorav, elle ne s'en dédirait pas. Ce pouvait sans doute paraître bien difficile à comprendre, mais pour autant, c'était réellement et indiscutablement une chose importante pour elle. Maintenant qu'elle découvrait le désert de sable doré du royaume longtemps imaginé, elle n'en était que d'autant plus convaincu. Elle aurait chaud, elle aurait soif, elle se sentirait fatiguée parfois, c'est une certitude, mais ça ne l'inquiétait pas vraiment. C'était une contrepartie acceptée il y a un moment déjà, dès l'instant où Gorav lui avait promis de l'amener ici. Elle savait ce qu'elle faisait, et même si cela pouvait sembler obscur à d'autre, son guide en premier, elle savait également pourquoi elle le faisait. Et cette raison lui paraissait bien assez importante pour justifier les risques qu'elle décidait de prendre. Dans tous les cas, ce n'était pas comme si elle pouvait encore faire marche arrière à ce stade, même si l'envie avait dû lui en prendre (ce qui n'était pas le cas). Gorav lui apprit donc qu'ils allaient d'abord passer chez lui récupérer quelques affaires avant de visiter un peu. Cela lui allait très bien, d'autant qu'elle était assez curieuse de savoir dans quel genre d'endroit son interlocuteur pourrait bien l'emmener. Tout était nouveau pour elle, tout était à découvrir, et elle ne demandait qu'à le faire à fond et sans retenue.

-C'est comment, chez toi ? demanda-t-elle que la curiosité rendait bien plus bavarde que d'ordinaire (même si la soif aurait sans doute tôt fait de la rappeler à l'économie salvatrice de ses cordes vocales, tout de même). Tu vis seul ?

Il n'aurait peut-être pas envie de répondre à totues ces questions, d'autant plus qu'elle obtiendrait bien vite les réponses quand ils se trouveraient sur les lieux, mais Daphnée aimait visualiser les choses. Même, elle considérait comme important le fait de laisser travailler son imagination, de ne jamais la mettre au repos. Et il y avait une raison bien précise à cela, bien sûr, une raison plus qu'évidente : c'était cette force d'imagination qui lui avait permis de survivre à l'emprisonnement dans sa cellule sur l'île des soupirs, et c'était elle qu'elle avait choisi d'invoquer à n'importe quel moment de sa vie, quand celle-ci s'avérait trop dur.

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écrite ainsi, pas très grande et pas très belle, la demeure de Gorav ne donnait pas forcément envie de la découvrir, mais le portrait qu’il en faisait n’ôtait en rien à Daphnée l’envie de s’y rendre, de voir où un habitant du royaume du bout de l’océan pouvait vivre, où l’homme qui l’avait menée de l’autre côté pouvait bien habiter. Si l’endroit était étroit et délabré, ça lui était bien égal. Elle n’avait pas vraiment eu l’occasion de se montrer très précieuse dans la vie, il faut dire. Il y avait bien une époque où elle avait vécu avec ses parents et son frère dans une maison raisonnablement grande, mais elle avait toutes les peines du monde à s’en souvenir. De Louis, elle ne se rappelait que les derniers instants, sa tête séparée de son corps… Non, sa maison, ces dernières années, son foyer, ça avait été sa cellule de l’île des soupirs, et elle doutait fort que l’on puisse faire plus petit, plus laid et plus inconfortable que cela. Elle ne pensait pas par conséquent qu’elle se laisserait impressionner par ce qu’elle découvrirait sur place. Mais elle se trompait peut-être. Il vivait seul. Au fond, Daphnée s’en était doutée, il avait l’attitude d’un homme seul, sans famille, sans vraiment d’attaches, ce qui expliquait sans doute qu’il puisse ainsi faire l’aller-retour du royaume du bout de l’océan à Féerie sans manquer à personne. Pour autant, Daphnée aurait apprécié de lui découvrir une famille. Il était manifestement attentionné, il ferait un bon patriarche. Elle aurait aimé lui découvrir une femme, des enfants.

Mais ce n’était visiblement pas à l’ordre du jour. Quoi qu’il en soit, il lui assura que chez lui, ce n’était jamais qu’une étape, que ça n’avait pas beaucoup d’importance, qu’ils ne s’y rendraient que pour y chercher un peu d’eau. A cette seule évocations, la jeune fille sentit sa gorge, déjà sèche, s’assécher plus encore. Elle prenait sur elle pour ne pas se plaindre de la chaleur, elle savait bien que ce n’était pas en disant quoi que ce soit que le soleil de plomb allait trouver un nuage derrière lequel se dissimuler. Il n’empêche qu’elle avait d’autant plus hâte de découvrir la demeure de Gorav, si en guise de récompense, elle avait en plus de cela droit à une ration d’eau. La soif était un sentiment qu’elle avait plus d’une fois ressenti sur l’île des soupirs, mais il ne s’agissait pas ici de la même sorte de soif, c’était quelque chose de plus… oppressant. Rapidement, cela vous faisait mal, vous empêcherait presque de réfléchir. La soif avait d’ailleurs enroué la voix de Daphnée quand elle reprit la parole.

-Où irons-nous après ? demanda-t-elle, très curieuse. Si vraiment, la maison de Gorav n’était qu’une étape destinée à s’abreuver et à chercher de l’eau, cela devait bien signifier que leur destination était autre, non ? Ainsi l’entendait-elle, en tout cas, et elle était curieuse d’en découvrir plus… même si elle n’avait pas l’intention de coller aux basques de Gorav tout au long de son séjour non plus.

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e nouvelles terres, un nouveau pays à découvrir, de nouveaux horizons... Autant dire que peu importe l'endroit où Gorav avait l'intention de l'emmener, Daphnée était toute disposée à ouvrir grand les yeux et les oreilles, parce qu'elle voulait tout voir, tout savoir, emplir son cerveau d'images en tout genre et n'en omettre aucune, elle voulait remplir son imaginaire et son esprit de nouvelles images, de belles images qui lui permettraient peut-être d'effacer les ténèbres qui, insidieusement, se faisaient la part belle dans son esprit. Oui, elle avait hâte de découvrir la ville et ses habitants, elle était impatiente d'en apprendre plus sur la population locale, de pouvoir faire enfin la distinction entre ce qui appartenait pour les Féeriens au domaine du fantasme et la réalité. Aussi, elle était impatiente de démythifier certaines légendes et d'en créer de nouvelles. C'était comme se retrouver face à une page vierge qu'il ne tenait à elle de remplir quand la précédente avait été terriblement noircie et raturée de notes terribles auxquelles elle n'avait plus la moindre envie de songer. Là, elle éprouvait un sentiment de liberté qui était très agréable. Certes, elle avait ses attaches, elle ressentait déjà le regret d'avoir abandonné Eleonore et Anthony, mais elle se tournait vers l'avenir et tout ce qu'il pouvait lui apporter, dans ce monde où elle n'était personne pour qui que ce soit, dans ce monde où les sorcières, ou en tout cas sa sorcière, n'existaient pas.

Ses yeux pétillèrent, animés par une impatience sincère quand Gorav lui assura qu'il pourrait lui montrer le palais. Ah, le palais du sultan du royaume du bout de l'océan ! Elle en avait entendu, des histoires à ce sujet. Elle serait peut-être d'autant plus déçue, par conséquent, c'est vrai, mais elle ne pensait pas. Elle avait en tout cas hâte de découvrir ce que ce monde avait de plus beau à montrer à l'oeil, même si elle se contenterait d'observer la façade de la bâtisse sans pouvoir espérer rentrer à l'intérieur, ce qui serait, après tout, on ne peut plus normal en tous les cas. Mais pour l'instant, elle allait déjà découvrir l'endroit où vivait Gorav, et cela déjà lui plaisait beaucoup.

La jeune Féerienne pénétra dans la demeure de Gorav à sa suite et détailla l'endroit du regard depuis ses grands yeux ronds sans en louper une seule miette. C'était un intérieur très modeste, mais qui lui plaisait bien malgré tout, ou qui lui plaisait justement parce qu'il était modeste, elle n'aurait su trop le dire. Quand l'homme lui servit à boire, elle se précipita sur le verre qui lui était tendu et l'avala d'un trait. Sentir l'eau couler le long de sa gorge lui faisait un bien fou. Il est clair qu'il lui faudrait du temps pour supporter la chaleur.

-Moi, je l'aime bien, ta maison, assura-t-elle tout en continuant à regarder tout autour d'elle.

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rès objectivement, on pouvait aisément admettre que la demeure de Gorav n’avait pas grand-chose de particulier, on pouvait reconnaître qu’il n’y avait rien à y visiter, qu’elle en disait long sur le peu de moyens dont pouvait disposer son propriétaire, ce genre de chose… mais Daphnée ne le percevait pas ainsi. Elle voyait cette maison comme un endroit qui était le havre de son propriétaire, un lieu où il se sentait en paix, protégé, un cocon… et puis, ce n’est pas comme si elle avait de nombreux modèles de référence de son côté, ce n’était pas du tout le cas, même. La maison où elle avait vécu avec ses parents et son frère avait été aussi modeste que celle-ci, et elle n’en avait plus que de vagues souvenirs, ensuite, il y avait eu sa cellule de prison, qui n’avait rien à envier à aucun autre lieu de désolation… et depuis, elle squattait des maisons insalubres ou dormait à la belle étoile, alors forcément, cette maison ne pouvait lui sembler que belle et confortable. Elle espérait qu’un jour, elle aussi aurait ce genre d’endroit de repli, ce genre de nid où se recueillir, et elle n’en aurait que faire que ses murs soient décrépits ou quoi que ce soit d’autre. Ce qui compterait, ce serait ce sentiment de sécurité qui lui était vraiment trop peu familier devienne son quotidien. Déjà, elle devait le reconnaître, elle se sentait un peu mieux depuis qu’elle avait traversé l’océan. Certes, elle avait des scrupules, parce qu’Eleonore et Anthony lui manquaient déjà, mais en attendant, elle ne sentait plus planer sur sa vie l’ombre du sorcier, elle n’avait plus le sentiment d’être entravée par des fils que ce marionnettiste de Nathaniel tirerait à sa guise. L’air de rien, c’était comme un bol d’oxygène pur, pour elle. Même si la chaleur ambiante lui donnerait surtout le sentiment d’étouffer. Daphnée sourit doucement à la remarque de Gorav quand ce dernier affirma que si sa maison lui plaisait tant, il n’était pas forcément nécessaire pour elle de découvrir le palais, qu’elle imaginait déjà sublime au possible, étant donné tout ce que son interlocuteur lui en disait. Si, elle avait envie de le voir malgré tout. Parce que, c’était bien simple, elle voulait tout voir.

-Ce serait dommage, quand même, répondit-elle d’un ton égal.

Elle le pensait bel et bien. Elle pourrait se passer de voir tant de beauté, mais elle ne voulait s’épargner aucun détail concernant ce monde qu’elle voulait encore apprivoiser, comprendre pour mieux l’apprécier. Et, qui sait, l’adopter, peut-être ? Va savoir.

-Je veux tout savoir sur ton monde. Et je veux tout voir aussi. Elle esquissa un sourire. Mais il n’empêche que je trouve que tu as de la chance d’avoir cette maison, de la chance d’avoir un toit.

Ce qui était le cas pour bien des raisons, même si Gorav pensait peut-être d’une tout autre manière de son côté. Ce qui serait après tout normal, ils n’avaient pas le même vécu tous les deux.

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aphnée ne saurait dire si elle était exigeante ou non. Peut-être que oui. Elle savait se contenter de peu, parce qu'elle n'avait jamais rien eu, et on l'avait privée du peu quelle possédait, mais en même temps, son expérience de vie singulière l'avait effectivement invitée à savoir ce qu'elle voulait et ce qu'elle ne voulait pas. Elle n'avait pu penser qu'à ça, en même temps, étant donné le fait que toutes ces années de prison n'invitaient quà la réflexion et à rien d'autre. La demoiselle posait sur le monde un regard lucide, ou qu'elle considérait comme lucide en tout cas, et qui ne devait pas forcément correspondre à son âge. La jeune fille, en tout cas, savait se montrer digne et sûre de ses choix, peut-être que ce n'était pas les bons, mais elle était déterminée à les suivre jusqu'au bout quoi qu'il arrive, ce qu'elle venait d'affirmer était l'expression en mots de ce qu'elle pensait véritablement. Et elle ne comptait pas modifier sa manière de penser. De toute manière, dans la vie, il fallait visiblement savoir se montrer un peu exigeant pour obtenir ce que l'on voulait. Seuls les individus exigeants s'en sortaient, semble-t-il, alors même si certains caprices n'avaient rien de supportables, elle comptait bien appartenir à la catégorie des personnes qui s'en sortaient, pas à celle des personnes qui se laissaient marcher sur les pieds. Elle avait suffisamment souffert de l'oppression de l'influence néfaste que les autres pouvaient avoir sur elle, pour ne plus jamais vouloir vivre ça, et c'était pour ça qu'elle avait choisi de prendre sa vie en main dans des proportions si radicales, allez savoir si ça porterait ses fruits ou pas.

Gorav admit qu'il avait de la chance, qu'il daigne le reconnaître fit sourire la jeune fille. Elle se doutait que sa vie ne devait pas être simple tous les jours, que sa vie devait être un combat constant, qu'il devait avoir toutes les difficultés du monde à s'en sortir au quotidien, mais au moins, il savait reconnaître ce qu'il y avait de positif dans sa vie, et Daphnée considérait que c'était une chose très importante, en effet, il fallait de cela pour survivre. Après, il pouvait bien voir la vie comme il le voulait, ça ne la regardait pas vraiment, mais elle avait de l'affection pour lui et elle lui était reconnaissante de son aide, alors elle ne lui souhaitait rien de négatif. Elle hocha la tête quand il lui demanda si elle était prête. Oui, elle était, et en plus d'être prête, elle était impatiente. A force d'entendre parler de palais, elle avait vraiment hâte de voir à quoi il pouvait bien ressembler.

-Je suis prête, confirma-t-elle alors. Prête et impatiente, ajouta-t-elle, qui n'avait pas eu ce sentiment-là depuis bien longtemps.

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aphnée ne se fit clairement pas prier pour suivre Gorav à l’extérieur, impatiente de découvrir ce qu’elle n’avait pas encore vu de ce nouveau monde dont il lui restait tout à apprendre (car concrètement, elle n’avait rien vu pour l’heure si ce n’est des étendues infinies de sable doré comme elle ne pourrait jamais espérer tant en voir à Féerie). Il la mena en ville sans prononcer un mot, et elle put constater de ses propres yeux tout ce dont son interlocuteur avait voulu l’avertir. Elle n’était pas surprise, elle savait qu’elle devait s’attendre à ce genre de spectacle. Elle était plus… fascinée qu’effrayée, en vérité. Elle avait vécu la majeure partie de sa vie sur l’île des soupirs, dont les cages faisaient l’étalage de ce que la misère humaine peut réserver de pire à ses créatures, il en fallait donc beaucoup pour la dégoûter ou la surprendre, mais ici, la misère n’était pas en cage ou confinée dans l’humide obscurité d’une cellule. Ici, la misère prenait le soleil, ici, elle était exposée à la lumière et à la chaleur, les deux éclatantes comme Daphnée savait bien qu’elle n’en verrait jamais de telles dans son pays d’origine. Elle n’était pas ingrate ou indifférente, elle éprouvait une profonde empathie pour tous ces miséreux contraints à la rue, mais elle n’avait pas la prétention d’être capable de les sauver, elle se disait que ce peuple avait la chance de constater ses tares, de les avoir constamment sous les yeux. Un jour ou l’autre, il faudrait bien que le peuple se révolte, ce serait dans l’ordre des choses, non ? Elle en était certaine pour sa part, et pour la peine, elle parvenait à dresser de la misère un portrait empreint de philosophie… mais de candeur aussi, sans aucun doute, car après tout, et même si elle n’en donnait pas toujours l’air, même si on l’avait obligée à grandir bien trop vite, elle restait une enfant quoi qu’il en soit.

Elle ne rompit pas le silence non plus de son côté, elle apprécia, à vrai dire, que Gorav ne soit pas de ces personnes qui considèrent qu’il faille combler le vide à tout prix. De son côté, il était assez évident qu’elle n’était pas de ces personnes qui considéraient qu’il soit nécessaire de parler à tort et à travers. Bien au contraire, moins elle pouvait en dire, mieux elle se portait, et elle choisissait ses interlocuteurs qu’avec pacimonie. Finalement, Gorav ne s’exprima que quand ce fut le bon moment. Quand ils arrivèrent au palais. Daphnée, impressionnée, en admira longuement la riche façade depuis ses grands yeux émerveillés. Cette merveille architecturale valait toutes les légendes qui pouvaient se conter à son sujet. Et pourtant, à Féerie, on était en tort sur tant de sujets !

-C’est magnifique ! observa-t-elle, ravie. On peut rentrer à l’intérieur ?

Elle se doutait déjà de la réponse, bien évidemment. Mais qui ne tente rien n’a rien, après tout. Elle savait bien qu’on ne rentrait pas dans ce genre d’endroits comme dans un moulin. Ainsi en était-il de la cour du roi, également.

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aphnée ne fut pas étonnée d'apprendre que l'accès au palais était refusé aux civils, c'était assez logique, si elle avait appris quelque chose de sa courte vie à Féerie (pour le temps qu'elle n'avait pas passé à Féerie, ce qui raccourcissait encore le temps en question), c'était que les puissants tenaient à leurs conforts et qu'ils n'étaient pas partageurs. Ceci dit, à ce titre, Edgar se montrait plus vicieux que le sultan de ce pays : il donnait tout de même aux Féeriens une illusion de confort, alors que la misère ici était manifeste, elle s'étalait presque jusqu'aux pieds du palais, le contraste était manifeste. C'était presque comme si le sultan s'amusait à narguer son peuple et s'en amusait. Etonnant qu'il n'en ait pas encore payé le prix fort, mais s'il y avait, une fois de plus, une autre chose que sa courte existence lui avait apprise, c'était aussi que le vent pouvait tourner à une vitesse folle et sans qu'on s'y attende. Et elle en était la preuve vivante, elle qui se trouvait là à présent alors qu'elle devrait se trouver confinée dans une cellule humide, perdue dans une île entre deux eaux.

-Un vase ? répéta Daphnée qui ne put s'empêcher de pouffer de rire en apprenant la raison pour laquelle le sultan avait décidé de le renvoyer avant e finalement le reprendre (et seulement parce qu'il avait sauvé la vie de sa fille, c'était dire ! Mais ça, c'était encore une partie de l'histoire dont elle ne savait rien). Elle trouvait ça ridicule... Il a quel âge, votre sultan ? plaisanta-t-elle encore.

Pour elle, ça ressemblait fort à un caprice de gamin, mais au final, c'était peut-être plutôt le caprice d'un homme qui sait qu'il a tout les droits, qu'il peut faire ce qu'il veut sans en essuyer les conséquences. Cela devait immanquablement mener à certains excès. De ce point de vue, la jeune fille pouvait ne pas être complètement surprise, mais quand même, c'était assez surréaliste. Et bon, mieux valait en rire qu'en pleurer, non ? Comme de beaucoup de choses, d'ailleurs, c'était une bonne chose pour se protéger. La vie accordait rarement matière à s'amuser, même quand, au titre de l'enfance, on s'imaginerait protégé des malheurs des adultes.

-Comment on fait pour rentrer en douce ? demanda-t-elle ensuite sans se démonter. Je peux très bien le faire toute seule.

Et comme ça, il ne serait pas incriminé. Mais bon, la meilleure manière d'y parvenir était sans doute d'en passer par lui, donc ce n'était pas gagné... Enfin, en soi, ce n'était pas si grave de ne pas voir l'intérieur du palais, mais maintenant qu'elle était devant, elle était curieuse. Elle aimerait bien devenir une petite souris et y faire un tour.

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aphnée, en entendant cette histoire de vase, n'avait pu s'empêcher de visualiser le sultan de ce monde comme un gamin, pas plus âgé qu'elle mais qui, n'ayant connu ni la misère ni les traumatismes par lesquels elle-même était passée, qui ferait régner sa loi en fonction de ses caprices de préadolescent. Ce qui expliquerait des tas de choses, et notamment l'état de total délabrement de ce royaume... mais non, apparemment, le sultan avait l'âge de l'être, et donc la réponse était à aller chercher ailleurs, que cela leur plaise ou non. Elle le visualisait maintenant comme un homme de l'âge d'Edgar, mais pas avec la même prestance ni le même charisme, un gosse dans un corps d'adulte. L'imaginer ainsi le rendait bien moins impressionnant, et Daphnée se disait que ce n'était pas un mal. Elle avait échappé au joug d'un monstre froid et calculateur, l'idée de se retrouver sous celui d'un clown qui avait oublié de grandir ne lui déplaisait pas, pour la peine, même s'il est bien connu que les enfants sont, par essence, profondément instables.

Elle ne fit aucun commentaire et laissa plutôt à son interlocuteur le soin de rebondir sur les propos qu'elle venait de prononcer. Bien sûr, quand elle affirmait qu'elle pouvait se débrouiller seule, ce ne pouvait qu'être en partie vrai, elle avait tout de même besoin du soutien qu'elle réussissait à avoir, et celui de Gorav lui était précieux. C'était grâce à lui qu'elle se trouvait ici, après tout. Certes, elle n'avait pas l'intention de dépendre constamment de lui, mais elle ne pouvait pas non plus prétendre en être au stade de pouvoir jouer totalement les cavaliers solitaires à cet étape de ce qui se révélait être, bien plus qu'une simple aventure, un véritable voyage initiatique pour elle. N'empêche qu'elle avait bien l'intention d'y fourrer le nez, à l'intérieur de ce palais.

-D'accord, répondit-elle d'un ton égal, bien décidée à ne pas se laisser démonter. Mais si jamais on me repère, que ma langue se dénoue et que je lâche ton nom par le plus grand des hasards, il faudra surtout pas m'en vouloir.

Elle ne pensait pas un seul mot de ce qu'elle disait, bien sûr. Gorav et elle se connaissaient très peu en fin de compte, mais ça n'enlevait rien au fait qu'elle lui était redevable. Et... c'était peut-être naïf de sa part, mais elle lui faisait réellement confiance... alors elle considérait que la confiance devait aller dans les deux sens. Ceci dit, elle aimait bien laisser entendre à son interlocuteur qu'elle était parfaitement capable de s'adapter aux moeurs et usages de ces terres... C'était presque trop facile d'ailleurs... Occuper la cage face à celle de Nathaniel tant d'années n'y était sans doute pas pour rien.

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ien sûr, Daphnée n'avait pas réellement l'intention de dénoncer Gorav à qui que ce soit. Même s'ils ne se connaissaient que peu, finalement, elle avait choisi de lui faire confiance, au point même d'avoir de vraies conversations avec lui, ce qui n'était pas si courant en ce qui la concernait. Il l'avait aidée à quitter Féerie, il lui avait permis d'aborder de front une nouvelle vie. Pour cette raison, elle ne pouvait bien évidemment que se montrer conciliante. De toute façon, elle n'était pas du genre à faire des coups bas, ce n'était pas réellement dans ses habitudes, elle laissait ça aux personnes plus vicieuses... comme Nathaniel, par exemple. Ceci dit, elle était ravie de voir son interlocuteur prendre sa remarque non pas au sérieux, mais la considérer malgré tout. Elle aimait beaucoup l'image qu'il avait d'elle, même si elle ne savait pas si elle était appropriée ou non. C'est vrai qu'elle avait dû très tôt apprendre à s'arranger par ses propres moyens. Elle n'avait, tout simplement, pas eu le choix, mais ce n'était pas forcément un adjectif qu'elle s'attribuerait à elle-même. Elle avait souvent été dépendante des autres. Ce n'était pas par ses propres moyens, par exemple, qu'elle s'en était sortie, tout ce temps, dans la forêt, ou qu'elle était parvenue à s'échapper de la prison de l'île des soupirs. D'accord, elle pensait pouvoir se débrouiller par ses propres moyens, pour cette fois, il n'empêche que sans son interlocuteur, elle ne serait pas là, ici et maintenant. Il lui restait encore un long chemin à faire, c'était plutôt évident en fin de compte.

-Je ne m'en suis pas toujours si bien sortie, non, répondit-elle avec un léger sourire.

Elle ne disait pas cela pour partir outre mesure à la pêche aux compliments, mas tout simplement parce que c'était la vérité. Si elle avait été plus débrouillarde, elle aurait été capable, dès le début, de guider son frère à travers la forêt, de le protéger, de l'empêcher de commettre la pire erreur de son existence, elle l'aurait tenue à l'écart de la maison de la sorcière, elle aurait fait ce qu'il fallait... Elle aurait évité la prison ou aurait su s'en échapper. Non, vraiment, elle n'était pas aussi autonome et douée qu'elle le voudrait, mais elle s'améliorait, et elle apprenait de ses erreurs, et avec un peu de chance, cette fois, tout irait bien. Avec un peu de chance, cette fois, personne ne souffrirait.

-Mais je n'ai plus l'intention de me faire prendre.

Et pour cause, elle en avait bien assez souffert la première fois pour ne pas vouloir réitérer l'expérience. Ben au contraire, même, et elle s'en passerait très, très bien. Elle ne pouvait pas négliger le soutien qu'on lui apportait, et elle considérait Gorav comme un allié.

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C'

est sûr, avoir tout risqué, abandonné le peu qu'elle avait et fait tout ce chemin pour se faire prendre maintenant serait plus que dommage, ce serait ironique et stupide. Malheureusement, rien ne lui garantissait que ça n'arriverait pas à un moment ou à un. Le monde dans son ensemble, Féerie et royaume du bout de l'océan réunis, était dangereux, et elle n'allait poas prétendre ne pas le savoir, ne pas en avoir conscience. Alors un moment d'imprudence sûrement pourrait avoir raison d'elle. Elle comptait bien faire preuve de toute la prudence nécessaire, et elle estimait ne pas manquer de jugeote, loin de là. Mais parfois, la prudence et la jugeote ne suffisaient pas malgré tout, et il fallait qu'elle accepte cette éventualité, si éprouvante pouvait-elle être. Mais elle était venue ici en ayant conscience des risques et en les estimant moins nombreux qu'en revenant à Féerie. Oui, les gens d'ici n'aimaient pas les gens comme elle, c'était un fait, et elle avait eu de la chance de tomber d'entrée de jeu sur la bonne personne, qui l'avait prise sous son aile et lui avait permis de s'en sortir. Même si les méthodes de Clifford étaient contestables, elle savait bien qu'elle s'en tirait à bon compte. Avec d'autres, ça ne se serait clairement pas passé de cette façon, vraiment pas. Des fois, la chance avait son rôle à jouer dans l'affaire. Même si Daphnée avait souvent su jouer plus de malchance que de chance.

-Merci, répondit-elle dans un léger sourire quand Gorav affirma qu'il lui apporterait son aide.

Bien sûr, elle comptait appliquer son conseil à la lettre et ne pas chercher à se faire attraper, mais même en étant prudente, ça ne suffisait pas toujours, bien évidemment. En tout cas, elle appréciait quand même le soutien de son interlocuteur. Elle cherchait à se débrouiller par ses propres moyens autant que faire se peut, et elle tenait à son indépendance. Elle ne pouvait pas se permettre de dépendre des autres, au risque de tomber sur un nouveau Nathaniel, ça elle l'avait bien compris, mais dans un monde inconnu et hostile, elle ne pouvait clairement pas tourner le dos aux quelques mains tendues dans sa direction.

-Pourquoi tu cherches à m'aider ?

Oui, d'ailleurs, pourquoi ? Elle n'avait pu s'empêcher de se poser la question. Elle appréciait vraiment l'aide qu'il lui apportait, sans lui, elle n'aurait pas pu retrouver l'océan et se retrouver ici, et ils se connaissaient à peine, pourtant, quand il lui avait fait la promesse de la conduire de l'autre côté. Elle sentait qu'elle pouvait lui faire confiance, ce n'était pas pour rien qu'elle acceptait de lui parler et lui avait demandé de l'emmener avec elle pour commencer. MAis oui, rien n'obligeait Gorav à l'aider. Alors quoi ?

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