On se retrouve comme on s'est quittés [pv Edgar]

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omme un petit air de déjà-vu, un sentiment familier, exaltant et désagréable à la fois. Finalement, la sorcière avait bel et bien livré Nathaniel au roi Edgar, non sans le faire mariner un peu au passage... Ces derniers jours avaient eu la longueur et l'incertitude de l'éternité. La faim, la soif, le froid... ce n'était pas grand-chose, pour lui, Nathaniel avait même été habitué à pire, mais c'était l'appréhension, l'incertitude, qui avaient rendu cette situation ô combien complexe et délicate. Il pensait à ses plans, qui se délitaient, compromis au point peut-être de ne plus être valables. Il pensait à Eleonore, aussi, à qui il avait fait une promesse qu'il avait eu, pour la première fois depuis longtemps, envie de tenir... et il ne savait pas vraiment où il en était.

Mais derrière la crainte et l'appréhension, il y avait tout de même une certaine exaltation. Ce n'était pas ainsi que Nathaniel avait voulu voir les choses se passer exactement, mais au moins, elles avaient lieu, et l'homme était impatient de se retrouver de nouveau face à Edgar. Certes, dans son esprit, leurs retrouvailles ne se déroulaient pas de cette manière, et c'était lui qui avait l'ascendant sur son vieil ennemi (et quel ennemi), mais peu importe, au moins ils se retrouvaient, et Nathaniel n'avait aucune intention de se départir de son éternel sourire ou de se laisser désarmer. Il lui restait quelques armes, d'ailleurs, dont Edgar ne pouvait avoir idée. A commencer par Anthony, qui constituait sa meilleure chance d'évasion. Chaque chose en son temps.

Cela faisait plusieurs heures qu'il restait là, cloisonné dans la cellule obscure où on l'avait enchaîné après l'avoir traîné jusqu'au château où il avait passé toute son enfance et une grande partie de son adolescence. Nathaniel patientait, encore et encore, sifflotant une mélodie sans queue ni tête qui se répercutait en écho contre les murs de pierre. Puis enfin, il arriva. Nathaniel aurait reconnu sa démarche entre mille. La pénombre ne lui permettait pas de le dévisager en détails, mais en tout cas, en dépit des années, des rides accumulées, il savait que c'était lui, sans l'ombre d'un doute.

-J'ai comme une légère impression de déjà-vu, pas toi ? répondit Nathaniel, un de ses éternels sourires aux lèvres, l'air détendu en déit de circonstances qui ne prêtaient absolument pas à l'être.

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athaniel n'abandonna pas son sourire quand son vieil ami/ennemi lui fit remarquer (et à juste titre, cela va sans dire) que si la situation était familière, le fait que ce soit toujours lui qui se retrouve dans la position la moins avantageuse l'était également. Le fugitif (qui avait donc cessé de l'être) ne pouvait malheureusement prétendre le contraire, mais il ne comptait pas se laisser heurter par de tels propos. Au fond, il l'acceptait même avec une certaine philosophie.

C'était sans doute de cette manière, et uniquement de cette manière qu'il pouvait leur être possible d'avoir enfin cette conversation qu'Edgar lui avait refusée à l'époque. Nathaniel l'avait visualisée autrement, il est vrai. Il s'était imaginé le roi au bout de sa dague, contraint de parler dans un torrent de chair lacérée. Mais ce scénario était dans le fond plus crédible.

Le cours de l'Histoire, la vraie, la grande, était en marche, Edgar ne l'arrêterait pas, c'était impossible, quoi qu'il doive arriver ici, et maintenant, et si la liberté de Nathaniel était compromise par la cellule qu'il entravait, Edgar aussi était restreint, sans aucun doute. Si le roi ne l'avait pas encore tué, ce ne pouvait être sans raison. Il voulait savoir, le faire parler. Mais Nathaniel ne dirait mot. C'était le tort du souverain... Que restait-il encore de supplice que le jeune homme (pas si jeune en réalité) ne puisse réellement être capable d'endurer ? Il ne dirait rien, quoi qu'il en soit. Oh, il comptait parler, beaucoup. Mais certainement pas satisfaire les intentions du roi. Pour l'instant, il n'exigeait pas, finalement, il en avait peut-être envie lui aussi, de cette conversation.

Et pour cause, ils ne pouvaient pas oublier être passés de tout à rien, de la complicité totale à l'ignoble trahison. Nathaniel songea aux paroles d'Eleonore, la possibilité que sa haine s'estompe en se retrouvant face à quelqu'un qu'il avait aimé. Force lui était de constater qu'il avait eu raison. Il n'aurait aucun scrupule à le tuer. Il en mourait d'envie.

-Si tu espères que je te retourne le compliment, je crois bien que tu vas être déçu. Le temps ne t'a vraiment fait aucun bien.

Et lui aussi ne parlait pas que du physique de son interlocuteur, en l'occurrence. Même si le caractère qu'il affichait depuis qu'il avait été couronné roi était le caractère qu'il avait toujours possédé, au bout du compte. Il n'avait pas eu son pareil pour le dissimuler, c'est tout.

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n ne soupçonnait pas toujours d'office le talent d'Edgar Basiel pour la repartie, mais Nathaniel était certainement le mieux placé pour savoir qu'il n'en manquait pas. Et Nathaniel en avait bien souvent été la "cible" tout à fait volontaire à l'époque où l'ancien prisonnier avait eu la faiblesse de croire que leurs intérêts se rejoignaient définitivement. La réponse d'Edgar eut le don de faire sourire, ceci dit. Même si au fond, il avait bien évidemment raison.

Il est certain que des deux, celui dont on pouvait constater les progrès, le talent, le succès, ce n'était définitivement pas Nathaniel. Mais ce dernier n'en éprouvait pas l'ombre de la moindre jalousie. L'empire qu'avait créé Edgar n'était absolument pas l'empire que Nathaniel aurait voulu pour Féerie. Quant au reste... Edgar était de relative mauvaise foi... et Nathaniel ne saurait s'empêcher de le lui faire remarquer. Qu'importe qu'il soit en cet instant en position d'infériorité, ce n'était pas réellement la question.

-Tu avais déjà une famille avant tout ça, au cas où tu l'aurais oublié, répliqua Nathaniel d'un ton qui ne se privait pas de sous-entendus qu'il serait parfaitement à même de comprendre pour la peine.

Il parlait de Bertille, bien évidemment, Bertille qu'il avait abandonné à un sort pire que la mort, de Victoria, aussi, qu'il avait abandonné à un sort qui lui avait été fatale. Edgar avait eu une fille, Edgar avait eu un frère. C'était lui qui avait décidé de tirer un trait sur ce passé spécifique. Mais Nathaniel, lui, voyait tout et n'oubliait absolument rien. Et ça, il comptait bien consacrer la moindre seconde de leurs retrouvailles à le lui faire comprendre sans aucune équivoque possible, peu importe le regard qu'il porterait sur lui et sur ses choix... que Nathaniel assumait complètement même aujourd'hui. Ses motivations et même ses sentiments avaient changé, c'est un fait. Mais dut-il refaire un voeu, il ferait exactement le même. Ce qu'il changerait, en revanche, c'était le rôle qu'Anthony jouerait dans toute cette histoire.

-Tu n'as pas la moindre idée de ce que j'ai vraiment choisi. Il planta son regard dans le sien, une lueur de défi au creux des prunelles. Et quand tu l'auras compris, crois bien qu'il sera beaucoup trop tard pour toi.

Oui, il se permettait, même de ce côté des barreaux, de fanfaronner et de s'estimer gagnant. D'accord, objectivement, il savait bien lui-même que ce n'était pas lui qui avait l'avantage sur l'autre. Mais il ne fallait pas compter sur lui pour le reconnaître à voix haute. A Edgar, il refusait tout ce qui pourrait bien le satisfaire : ses angoisses, ses regrets, son amertume, il les transformerait en autre chose, de plus vif, de plus éclatant. Quelque chose qui en vaudrait réellement la peine.

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ucun commentaire sur la famille brisée, négligée, abandonnée qu'il avait laissé derrière lui avant les événement... au fond, Nathaniel ne pouvait prétendre être surpris. Le roi avait agi à ce sujet comme il le faisait dans tous les aspects de sa vie. Il avait déposé un voile sombre sur ce qu'il ne voulait plus voir exister, il avait caché la misère et prétendu finalement qu'elle n'avait jamais existé. A ce stade, y parvenir si bien tenait très certainement de l'exploit.

Et justifiait bien sûr qu'il soit encore sur le trône et si apprécié de ses sujet et de son peuple alors qu'il était un parangon de mensonges et de vicissitudes trop nombreux pour escompter les énumérer. Soit, au moins, cela confortait Nathaniel dans l'idée qu'il s faisait à ce jour de son ennemi. Il s'était trompé autrefois, mais aujourd'hui, il l'avait bien analysé. Et pour la peine, il n'y avait vraiment aucun regret à avoir. Il n'y aurait aucun regret à avoir quand il mettrait ses plans à exécution. S'il réussissait à mettre ses plans à exécution.

Les paroles que prononça Edgar ensuite n'étaient pas simples à encaisser... pour cause, tout ce qu'il affirmait en cet instant était un peu trop vrai, une vérité tranchante comme la lame de la dague qu'il avait confiée à Eleonore... pourvu qu'elle sache s'en servir judicieusement. Oui, même encore aujourd'hui, Edgar était peut-être la personne qui le connaissait, et pis encore le comprenait, le mieux. Il connaissait ses qualités, ses défauts, ses failles... En effet, il n'avait pas tant changé... il avait seulement... évolué dans un sens ou dans l'autre pour certains sujets spécifiques.

-Et qu'est-ce que tu comptes me faire ? répliqua Nathaniel, qui se permettait tout de même de garder le même ton insolent. Mieux valait cela que de supplier ou de reconnaître sa défaite, quand bien même cette situation y ressemblait effectivement beaucoup trop, il pourrait difficilement s'en cacher à l'heure actuelle. Tu ne me tueras pas. Tu as besoin de ce que je sais. Et je ne te dirai rien.

C'était un fait, peu importe les tortures qu'il lui ferait éventuellement subir, il resterait muet comme une carpe, jamais il ne donnerait à Edgar les clés dont il avait besoin. Ce serait ça, la vraie défaite, et il serait incapable de l'accepter, de le supporter.

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athaniel était pris au dépourvu. Il s'était attendu à ce qu'Edgar lui fasse subir d'office la manière forte (ou la lui fasse faire subir, car même s'il devait s'agir de lever la main sur son pire ennemi du moment, il n'était pas convaincu que cela le convainque de se salir les mains. Le roi préfèrerait certainement reléguer cette basse besogne à un sous-fifre et se délecter du spectacle à distance), mais ce ne fut le cas. A la place, il prononça des mots qui eurent d'office le don de provoquer chez Nathaniel une légère angoisse, qu'il dissimula du mieux qu'il put.

Il s'était convaincu d'office qu'il avait été le seul capturé, qu'Eleonore et les autres étaient indemnes. Mais avec la sorcière à leurs trousses, comment pouvait-il être sûr que les autres s'en étaient sortis indemnes ? Les chances étaient faibles... Mais les chances pour qu'Edgar soit en train de bluffer étaient relativement grandes également. Il faisait de son mieux pour garder une contenance de façade, il ne voulait pas se montrer trop affecté par l'éventualité de la capture des autres rebelles (et d'Eleonore, surtout, on ne va pas se le cacher), ni par les conséquences de cette dernière (et là, c'était à Anthony, qu'il pensait). Mais en même temps, si c'était vraiment le cas, alors ses chances de s'en tirer étaient tout de même réduites à moindre compte.

-Eh bien, qu'est-ce que tu attends pour me tuer, dans ce cas ? répliqua-t-il avec hargne, toujours son fin sourire aux lèvres et une lueur de défi dans la voix. Je t'ai manqué au point que tu ne puisses envisager de ne pas avoir une dernière conversation avec moi, c'est ça ?

En vérité, c'était possible. Pas qu'il lui ait manqué, n'exagérons rien, mais qu'il ait voulu avoir cette conversation en, disons, souvenir du bon vieux temps. Par une sorte de nostalgie un peu tordue ou juste pour le plaisir d'avoir le dernier mot, une nécessité beaucoup trop grande chez lui et à laquelle Nathaniel était habitué maintenant. Le prisonnier jouait sa carte préférée : celle de l'indifférence et de la nonchalance. Mais il n'était pas du tout convaincu qu'elle porte ses fruits à l'heure actuelle. Enfin, s'il devait mourir, ceci dit, il préférait tout de même le faire en provoquant qu'en suppliant.

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dgar lui parlait comme si rien n'avait changé, comme si les années n'avaient pas passé, comme s'il n'aurait pas pu changer après près de deux décennies sans se voir... Eh bien, c'était la vérité. Nathaniel avait changé par certains aspects, oui, mais il estimait toujours que pour l'heure, l'homme qui le connaissait le mieux dans tout Féerie était son souverain, plus qu'Eleonore, plus qu'Anthony. Alors oui, c'est vrai qu'il avait été trop impatient, quand bien même il avait bien dû falloir qu'il fasse preuve d'une patience certaine pour supporter la prison pendant presque la moitié de sa vie.

Edgar ajouta qu'il lui réservait une mort lente et douloureuse. Eh bien, quelque part, c'était effectivement vrai... Nathaniel se sentait privilégié de l'entendre, pour la simple et bonne raison que s'il avait voulu lui accorder un traitement indifférent, comme s'il était n'importe lequel de ses prisonniers, il faut le reconnaître.. Même si, de cette manière ou d'une autre, et même si la situation ne plaidait pas en sa faveur, il ne comptait pas mourir, ni ici, ni maintenant, et certainement pas avant Edgar.

-Tu penses vraiment que ça m'intéresse encore ? dit-il avec un fin sourire amusé.

Oui, Edgar le connaissait mieux que personne, mais s'il ne comprenait pas que monter sur le trône ne l'intéressait absolument plus, alors c'était que personne ne le connaissait réellement en réalité. Mais ce n'était pas grave, c'était l'occasion de combler les vides, de réparer, les manques.

-Je ne veux ni de ton trône, ni de ta couronne. Il lui adressa un regard où brillait une lueur de défi. Ce qu'il allait dire ne surprendrait pas le roi, mais ça lui était égal. Je veux ta tête, séparée de ton corps, je veux t'entendre me supplier de te laisser la vie sauve, je veux que tu vois ton précieux royaume partir en lambeaux. C'est ça que je veux.

Et il ferait tout pour l'obtenir. Il était convaincu que c'était toujours possible, même si tout pointait dans la déduction contraire, pour des raisons évidentes. Tant qu'il serait capable de parler, de respirer, de sourire, alors sa vengeance le tirerait vers le haut, le pousserait au-delà des limites de l'acceptable, changerait la donne. Et un jour, le roi Edgar ne serait plus, sa légende réduite à néant.

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i Nathaniel avait bien envie de contredire Edgar pour le seul plaisir de lui donner tort en fin de compte, le fugitif ne devait pas moins reconnaître au roi (qui était bien le roi de quelque chose mais que jamais l'ancien prisonnier de l'île des soupirs ne considérerait comme son roi) qu'il avait raison sur ce point. Nathaniel avait toujours été un rêveur, un ambitieux, et ce trait de caractère mêlé à une imagination fertile lui avait certes souvent rendu service, mais bien plus souvent fait tomber de bien haut, pour tout dire. Il avait rêvé, et il avait été déç, mais en l'occurrence, il refusait d'admettre une défaite tant que la partie n'était pas encore entièrement terminée. Et c'était le cas, elle n'était pas encore terminée. Bon, d'aucuns reconnaîtraient tout de même que cette partie en question était bien engagée et que le résultat semblait sans appel. Mais tant qu'il demeurerait le moindre souffle de vie à Nathaniel pour clamer haut et fort le cntraire, il le ferait, il ne s'en priverait pas, et ce serait au demeurant son grand plaisir, sa grande satisfaction.

Non, à ses yeux, il n'avait pas perdu, et non, il n'admettrait pas sa défaite. Il avait encore de sérieuses cartes en mains, dont Edgar ignorait l'existence. Déjà, il y avait Anthony, et Nathaniel savait que ce dernier l'aiderait à se libérer. Même Gabriel, en dépit de toute son animosité envers lui, serait sûrement capable de cet effort.

-Je suis peut-être un rêveur, mais toi, tu es un imbécile. Continue de croire ta situation acquise, c'est bien. Plus tu tomberas de haut, mieux je me porterai.

Plus dure serait la chute... Et Nathaniel la voulait sévère, dangereuse, douloureuse, il voulait qu'elle réduise ce bon vieux roi à néant, dans un enfer (pour les autres, pas pour lui) de chair broyée et de rêves brisés.

-Tu peux toujours essayer si ça t'amuse. Je ne dirai rien.

Ce n'était pas que Nathaniel était particulièrement pressé de se faire torturer, il ne faudrait pas exagérer non plus. Mais s'il fallait en passer par là, il l'acceptait, c'était le prix à payer pour cette situation. Dans tous les cas, il savait que sa force de volonté ferait tout le travail. Il ne cèderait pas. Quoi qu'il advienne, quoi qu'il doive endurer. Il ne cèderait pas.

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