La vie est emplie de tant de fantôme qu'il est difficile de les distinguer. (Bertille <3)

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iquiel. Elle avait le sentiment que le village n'avait pas changé depuis toutes ces années, comme s'il avait été figé dans le temps... C'était sans doute un peu le cas en effet. Tout était propre, millimétré mais identique... C'était comme si rien ne s'était passé, comme si toutes les souffrances accumulées n'avaient jamais existé. Cette pensée était angoissante, mais moins tout de même que l'indiscible sentiment qu'éprouvait la jeune femme à chaque pas qu'elle faisait en évoluant dans les rues du village : l'impression angoissante et démentielle d'être suivie, que tous les regards convergeaient dans sa direction. Pourtant, si elle reconnaissait sans mal les lieux et pensait qu'elle serait encore capable de s'y repérer les yeux fermés, aucun de ces visages ne lui étaient familiers... Et c'était tant mieux.

C'était sa hantise, elle ne pouvait pas le nier, même s'il fallait qu'elle se confronte aux fantômes de son passé si elle voulait ne serait-ce qu'espérer aller de l'avant, sauver Nathaniel et surtout, surtout, retrouver Victoria. Victoria... Elle devait avoir près de treize ans, à présent. Pour chaque enfant qui croisait sa route, elle ne pouvait s'empêcher de le dévisager. Elle avait envie de penser qu'elle la reconnaîtrait au premier coup d'oeil, sans l'ombre d'une hésitation... mais comment être sûre ? Elle se sentait perdue... Elle éprouvait un mélange d'impatience et de stress à se retrouver ici. Elle le savait bien, cette initiative, elle aurait dû la prendre depuis longtemps. Elle ne devait surtout pas faire marche arrière, c'était hors de question. Même si en vérité, elle n'avait pas la moindre idée d'où ces errances la mèneraient précisément. Elle évoluait dans l'inconnu, dans la brume, dans l'incertitude.

Et finalement, elle ressentit cette impression vive, puissante, celle qu'on la fixait. Bien sûr, paranoïaque comme elle l'était, ce pouvait n'être rien du tout. Malgré tout, elle leva les yeux, et son regard en croisa un autre, familier. La jeune femme sentit son coeur manquer un battement. Même si plus de dix annnées avaient passé, même s'il avait changé, elle l'aurait reconnu entre mille. C'était Anthony.

Bertille hésita, hésita terriblement. Elle pouvait encore tourner les talons et prendre la fuite. Anthony lui donnait le sentiment de l'avoir reconnue, mais après tout, il pourrait peut-être croire s'être trompé au bout du compte. En même temps, Anthony était peut-être le mieux placé pour l'aider... comme il était peut-être le mieux placé pour la couler. Finalement, elle prit sa décision et s'avança vers lui.

-Bonjour Anthony, articula-t-elle doucement en soutenant un regard qu'elle n'avait pas croisé depuis une éternité. Tu te souviens de moi ?

Elle avait envie de penser que oui, et qu'il la reconnaissait, maintenant, elle ignorait quelles en seraient les conséquences.

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e pire affront qu'Anthony aurait pu lui faire aurait été de ne pas la reconnaître, ou bien de prétendre qu'il ne la reconnaissait pas, elle aurait été bien incapable de l'accepter... mais l'homme fit preuve d'honnêteté, et sa réponse lui procura un sentiment étrange. Pas juste le fait qu'il lui dise savoir qui elle était, mais sa voix... Elle pensait l'avoir oubliée pour de bon, cette voix, et pourtant, elle avait cette familiarité rassurante qui lui rappelait tout ce qu'il avait représenté pour elle, quand il avait fini par devenir la seule personne sur laquelle elle pouvait espérer compter. Et puis, il y avait ce nom, ce simple nom avec lequel on ne l'avait plus appelée depuis des années... tant d'années... Bertille. En la nommant ainsi, elle avait le sentiment de se réapproprier pour de bon son identité, et c'était... agréable...

Même si cette situation ne l'était pas complètement, elle. Bertille ne savait que penser de ses retrouvailles avec Anthony. Elle lui avait gardé beaucoup de rancune de ne plus être venue la voir, quand bien même elle se doutait qu'il ne devait pas y être pour grand-chose. Et en même temps, elle n'oubliait pas les risques qu'il avait pris pour elle, juste pour s'assurer qu'elle survivrait à sa tour qui touchait le ciel, à ses mrs de pierre et de solitude. Elle était heureuse de le revoir... heureuse et en même temps, elle se sentait envahie de ce sentiment doux-amer.

Elle ne savait absolument pas quoi faire. Et Anthony, que pensait-il en cet instant ? Elle aurait voulu être capable de lire ses pensées, de s'en faire une idée concrète, mais il semblait pour l'heure trop destabilité. Difficile de le bâmer, vu les circonstances. Elle devait bien être la dernière personne dont il se soit attendu à creuser la route... Pas si tard. Et pas vivante, surtout. Il le lui apprit, il pensait qu'elle était morte. Elle n'en était pas étonnée... Que pourrait-il conclure d'autre de la situation ? Qu'elle ait réussi à s'échapper tenait du miracle. Mais elle était bel et bien là, en chair meurtrie et en os.

-Je crois que je l'ai été, plus ou moins..., reconnut-elle.

Elle n'était pas vraiment morte, non, mais elle avait le sentiment que Bertille l'avait été... Sans sa fille, elle était l'ombre d'elle-même, et une fois qu'elle s'était échappée, elle avait catégriquement refusé d'être elle-même tout court. Plus maintenant. Maintenant, avec tout ce qu'elle savait, elle ne pouvait tout simplement plus se cacher.

-Pourquoi tu m'as laissée... ?

Elle avait un milliard de questions à poser, sur Victoria, sur Nathaniel, mais ce fut pourtant la première qui sut franchir la barrière de ses lèvres. Pourquoi l'avait-il abandonnée ?

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u fond, Bertille pouvait accepter d'admettre que son interlocuteur n'avait rien voulu de ce qui lui était arrivé, elle pouvait reconnaître qu'il avait certainement été pris au piège, lui aussi, à sa manière, pas d'une tour imprenable mais d'un étau de conscience, presqu'autant dangereux. Mais même en admettant cela, elle ne réussissait pas à ne pas lui en vouloir. Anthony avait été le sursaut d'espoir dans une situation autrement désespérée. Grâce à lui, elle avait cru qu'elle s'en sortirait, grâce à lui, elle pensait que son avenir n'était déjà pas tout tracé.

Mais il avait cessé de venir, et ses espoirs s'étaient évaporés en même temps que lui. Ses raisons étaient bonnes, peut-être, les risques étaient trop grands, sans doute, et elle n'avait pas été en droit de lui demander de se sacrifier pour elle sous le prétexte que son sort était plus important. Elle s'était retrouvée seule, si seule... et elle était si jeune à l'époque. Certes, cela lui avait appris à ne compter que sur elle-même, et clairement, ça lui avait forgé le caractère. Mais elle aurait préféré qu'il n'en soit rien. Il était revenu, elle aimait savoir qu'au moins, il était revenu... Mais peu importe l'heure à laquelle il avait décidé de le faire, ça avait forcément été trop tard. Elle avait décidé de s'échapper, par tous les moyens possibles. Elle avait voulu retrouver Victoria... le sort ne l'avait pas exaucée. Elle en voulait à Anthony, elle lui en voulait terriblement. Mais dans le fond, elle n'avait pas envie de le rejeter non plus. Parce qu'elle manquait cruellement d'alliés, et elle réussissait à croire qu'Anthony en était encore un.

-Et Victoria, tu as fait quelque chose pour essayer de la protéger ? demanda-t-elle en connaissant d'avance la réponse.

Elle savait, du moins, ce qui était arrivé à sa fille, à la chair de sa chair. Elle le savait depuis sa rencontre avec Eleonore, et forcément, maintenant qu'elle savait, elle se demandait quelle avait été l'implication d'Anthony dans tout cela. Si implication il y avait... Elle songeait qu'il avait fermé les yeux, qu'il avait laissé faire. Ce n'était peut-être pas son rôle que d'intervenir, c'est vrai, mais elle aurait voulu qu'il le fasse, malgré tout. Parce que, s'il était intervenu, qui sait, sa fille serait peut-être encore en vie.

-Tu étais au courant de ce qu'il avait l'intention de lui faire ? enchaîna-t-elle afin de se montrer déjà plus explicite.

Elle ne devait pas tourner autour du pot, alors il était préférable que, d'emblée, elle lui dise ce qu'il en était, à savoir qu'elle était au courant que sa fille était morte. Elle qu'elle avait espéré retrouver en revenant à Piquiel. Et malheureusement.

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a réponse d'Anthony ne savait pas convenir à Bertille, pour la simple et bonne raison qu'elle estimait que le serviteur du roi ne pouvait pas être à mille lieues de s'imaginer ce qui pourrait bien se passer alors qu'il savait pertinemment comment était son roi. Il pouvait imaginer ce qu'il ferait, parce qu'on parlait d'un homme capable d'envoyer son meilleur ami derrière les barreaux, de trahir son prédecesseur, de réduire un autre de ses meilleurs amis au rang de sous-fifre.

Il pouvait imaginer ce qu'il ferait, parce qu'on parlait d'un père qui était capable de tourmenter sa fille, physiquement et mentalement, avant de l'envoyer mourir dans une tour afin de ne pas avoir à subir sa descendance. Si un homme entre tous était capable de faire preuve de cruauté, au point de faire assassiner une enfant pour préserver son empire, c'était bien lui. Elle avait le sentiment qu'Anthony se réfugiait derrière de fausses excuses, parce qu'il avait laissé faire et avait fermé les yeux plutôt que d'accepter de voir une inacceptable réalité en face. Alors peut-être qu'il était sincère, à présent, en disant qu'il voulait faire quelque chose, mais elle avait tout de même le sentiment, présentement, que ça ne servirait à rien, et surtout qu'il était vraiment beaucoup trop tard.

-Tu ne pensais pas qu'il en était capable ou tu ça t'arrangeait de le croire, plutôt ? répliqua-t-elle avec amertume. Si une personne, dans tout Féerie, sait pertinemment de quoi il est capable, c'est toi. Tu savais très bien qu'il était capable de le faire...

Elle avait les poings si serrés qu'elle sentait ses ongles s'enfoncer dans les paumes de sa main. Elle tentait du mieux qu'elle le pouvait de canaliser sa rage. Elle savait très bien que si elle devait exploser, ça ne les mènerait nulle part, mais il était vraiment difficile pour elle que de faire comme si de rien n'était, elle avait beaucoup trop souffert, et même si Anthony devait le devner, elle voulait être sûre qu'elle avait conscience de la situation dans toute son ampleur.

-Mais peut-être que tu peux faire quelque chose, dit-elle après un moment de réflexion. Il lui proposait son aide, au fond, elle savait qu'elle serait vraiment idiote de la refuser, qu'elle ne devrait surtout pas refuser, oui. Il fallait, bien au contraire, qu'elle se serve de tous les atouts qu'elle pourrait éventuellement trouver dans sa manche. Tu sais où est Nathaniel ? demanda-t-elle.

Elle supposait que oui, il était enfermé au château, et Anthony devait le savoir. Et là encore, s'il le savait, cela signifiait qu'il le laissait derrière les barreaux une fois de plus sans réagir. Mais s'il voulait vraiment l'aider, eh bien... il pouvait l'aider à libérer Nathaniel.

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ertille n'y allait clairement pas avec le dos de la cuillère, auprès d'Anthony, mais elle ne comptait pas s'en excuser. S'il devait s'en sentir vexé, ça lui était égal. Au fond, elle pouvait comprendre que l'on s'écrase face à l'influence et à l'autorité d'Edgar, elle-même l'avait fait pendant beaucoup trop longtemps (on lui rétorquerait sans doute qu'elle n'était qu'une gamine pour sa part, mais ça n'empêchait pas Bertille de se sentir coupable tout autant... encore maintenant, il lui arrivait de se demander si ce qu'elle avait vécu n'était pas au moins en partie de sa faute). Mais elle ne pouvait pas pour autant accepter l'indolence qu'elle prêtait au serviteur du roi. Edgar avait fait tuer sa fille, Edgar avait emprisonné Nathaniel. Edgar l'avait violée. Rien de tout ceci n'était pardonnable, et il devait payer. Bien sûr, Bertille n'avait pas besoin de s'associer l'aide d'Anthony pour poursuivre selon ses ambitions, mais une part d'elle espérait qu'il l'aiderait tout de même... car oui, elle avait tout de même besoin de lui. Il avait ses entrées au château, certainement pas elle... Elle savait qu'il avait déjà cherché à se rebeller contre le système, à son échelle, à sa manière. Il le lui avait prouvé en venant la retrouver dans sa tour afin de lui apporter de quoi boire et manger... jusqu'au jour où il n'était plus venu.

Anthony lui confirma que Nathaniel était bien enfermé dans une cellule des geôles du château. Il était passé d'une prison à l'autre, l'histoire de sa vie, semble-t-il... un drame sans doute pour quelqu'un comme lui qui, aux yeux de Bertille, était sans doute l'homme qui aspirait le plus à être libre au monde. Dans son souvenir, en tout cas. La jeune femme voulut demander d'office davantage de précisions à son interlocuteur, mais ce dernier la prit de court en ajoutant quelques mots. Des mots auxquels elle ne s'était absolument pas attendus. Il allait le faire sortir. Est-ce qu'il le pensait vraiment ? Est-ce qu'il essayait seulement de détourner l'attention ? Elle n'en savait rien mais ferait ce qu'il faudrait pour en découvrir plus.

-Comment tu comptes t'y prendre ? Si tu dois l'aider à s'échapper, je veux aider moi aussi, ajouta-t-elle avec détermination. C'est pour ça que je suis revenue.

Elle ne pouvait plus rien pour Victoria, elle l'avait bien compris. Sa fille était morte, plus jamais elle ne la serrerait dans ses bras, ne lui donnerait l'occasion de la reconnaître, de la connaître, tout simplement, mais elle ne pouvait pas se résigner à abandonner Nathaniel comme elle avait le sentiment d'avoir abandonné sa fille. Même si lui non plus ne la reconnaîtrait sans doute pas en la voyant.

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ertille avait du mal à se satisfaire de la réponse d'Anthony. Bien sûr, elle savait pertinemment qu'elle ne pouvait pas débarquer comme une fleur après toutes ces années et prétendre savoir ce qui était le mieux pour Nathaniel et pour les rebelles, mais ça ne l'empêchait pas de se sentir frustré. Anthony savait certainement ce qu'il faisait, et elle se doutait qu'il valait mieux attendre le moment propice. Mais dans l'attente, il y avait l'impuissance et la frustration : et s'ils attendaient trop longtemps ? Cela faisait plus de vingt ans que Bertille n'avait pas revu Nathaniel, elle ne le supporterait pas si elle devait ne plus le revoir alors qu'ils en avaient de nouveau l'occasion. Elle avait déjà perdu Victoria, elle n'avait pas envie de le perdre lui. Malgré tout, débattre avec le serviteur du roi ne servirait à rien, elle en avait bien conscience. Anthony se devait d'être prudent pour ne pas attirer l'attention d'Edgar, c'était complètement normal, après tout, et Nathaniel avait survécu à pire, techniquement, mais quand même... Elle devait agir sur un front ou sur un autre, peu importe comment.

Et Anthony avait l'air de comprendre ce besoin impérieux d'agir, c'était du moins ce que laissaient suggérer ses propos suivants, puisque l'homme lui suggéra une autre manière d'intervenir de son côté. Il fallait mettre les rebelles à l'abri... d'accord, ce semblait nécessaire, mais Bertille se sentait tout à coup démunie face à cette directive. Elle ne les connaissait pas, elle n'avait rencontré qu'Eleonore, qui semblait mener les opérations en l'absence de Nathaniel, et c'était tout, ce n'était pas assez. Et avait-elle les moyens de les mettre à l'abri, tous autant qu'ils étaient ? Elle n'était rien, elle n'était personne. Techniquement. Elle était l'intruse, celle qui arrivait après une première bataille, pendant une seconde bataille, et qui ne devrait pas avoir voix au chapitre.

-J'ignore comment faire ça, reconnut-elle, avec l'envie de se gifler mentalement. Volontaire, elle voulait aider le monde entier, et face à une directive plus précise, elle se retrouvait comme deux ronds de flanc, à ne plus savoir précisément quoi dire et quoi faire. Je peux retrouver les rebelles, mais je n'ai nulle part où les mettre à l'abri... et je doute fort qu'ils m'écoutent.

Elle n'était personne, et c'était tant mieux comme ça. Elle se sentait comme... un personnage d'arrière-plan dans sa propre histoire, pourtant, elle tenait à agir, à intervenir, à faire entendre sa voix, à se battre. Elle devait libérer et aider Nathaniel, elle devait aider à combattre Edgar, elle devait venger Victoria, elle devait se venger elle-même... Il y avait cette volonté farouche en elle que venait contrarier... tout le reste.

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Tenir les rebelles éloignés du château autant que possible. Là encore, Bertille n’était pas certaine de posséder un tel pouvoir, mais elle ferait néanmoins tout son possible pour obéir à cette requête. Elle n’avait pas besoin de précisions particulières pour en comprendre l’impérieuse nécessité. Il lui semblait au-delà de logique d’entendre son interlocuteur formuler un tel souhait. Les mener droit au château dans l’espoir qu’ils parviennent à sauver Nathaniel, c’était les conduire très sûrement au casse-pipe. Bertille était bien placée pour savoir combien son père était mauvais, vicieux. Il n’y avait qu’une seule manière de tirer Nathaniel de ce mauvais pas, et c’était de feinter. Aucune autre possibilité ne saurait convenir. Anthony parla plus spécifiquement d’Eleonore, et Bertille n’était pas forcément surprise. Elle avait bien compris que le sort du prisonnier d’Edgar lui importait peut-être plus qu’à tous les autres, et dans l’énergie du désespoir, peut-être serait-elle en effet capable de se satisfaire d’un geste dangereux et désespéré, qui leur porterait préjudice à tous. Elle reste sur ses gardes et sur sa réserve concernant cette jeune femme, mais elle a bien compris qu’elle devrait tenir un rôle de choix dans toute cette histoire. Ce serait donc elle qu’il faudrait raisonner avant tout. En serait-elle capable, va savoir. Elle n’aurait pas le choix.

Les avertissements d’Anthony suffisaient à convaincre très largement Bertille de la nécessité d’obéir et de faire tout ce qui était en son pouvoir et au-delà pour tenir Eleonore à l’écart de toute décision hâtive. Bertille ne savait pas s’il serait si grave qu’Edgar mette la main sur elle, mais en revanche, elle ne tolèrerait pas que son frère en souffre. Pauvre Gabriel… Bertille mourrait d’envie de le voir, de lui parler. Ils auraient tant à se dire, ici et maintenant. Nécessité de rattraper le temps perdu, mais pas seulement. Chaque chose en son temps. En attendant, Bertille était tentée d’assaillir Anthony de questions, sur Gabriel notamment. Sur Gabriel surtout. Ce n’était pas l’urgence néanmoins, et elle le savait bien. Il fallait qu’elle agisse, qu’elle agisse à tout prix. C’était ça, qui importait. Même si la précipitation n’était pas bonne conseillère, la latence ne vaudrait pas beaucoup mieux non plus. Vaudrait sans doute même beaucoup moins. Il allait falloir être efficace, et stratégique, et bien des choses à la fois, en vérité. Elle n’était pas sûre d’avoir toutes ces qualités, mais elle connaissait l’enjeu, et c’est ce qui comptait.

-Je ferai ce qu’il faut, confirma Bertille avec au creux de la voix une telle détermination qu’il était bien impossible de douter de la sincérité de son discours. Même si faire de son mieux pour faire ce qu’il fallait n’était pas toujours suffisant. Et même, bien souvent, ne l’était pas assez. Qu’est-ce que tu penses de cette fille, Eleonore ? demanda Bertille sans cacher sa curiosité.

Elle restait relativement incertaine à son sujet. Elle était surtout perturbée de constater combien leurs histoires se croisaient de façon presque absurde : Gabriel, Victoria, Nathaniel… Et elles au milieu de tout ça. Elle restait une variable inconnue dans tout ce qu’elle découvrait des nouvelles circonstances qu’étaient celles de son existence.

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ertille ne pouvait qu'être curieuse quand il était question d'Eleonore Odien. Elle ressentait, intimement, assurément, que même si elle en savait trop peu sur cette jeune femme, et même si leurs chemins n'auraient sans doute jamais dû se croiser, leurs sorts étaient intimement liés, un peu comme si elles étaient les deux facettes d'une même pièce. C'était un constat particulièrement étrange, mais en même temps absolument évident. Au-delà d'évident, même. Et pour cette raison, il semblait important à la jeune femme d'en apprendre le plus possible sur celle qui, par certains aspects, semblait lui avoir volé beaucoup des moments qu'elle estimait lui appartenir : ces moments avec Victoria, ces moments avec Gabriel, ces moments avec Nathaniel. Tout ce dont elle-même n'avait pas eu le loisir de profiter, ou bien définitivement pas assez quoi qu'il en soit.

Et donc, elle attendait d'Anthony qu'il lui en dise le plus possible, sans savoir non plus exactement, pour autant, les informations qu'elle attendait réellement de sa part, simplement consciente qu'elle en avait besoin, de son côté, pour aller de l'avant, si aller de l'avant était chose possible. Quelque part oui, c'était ce qu'elle faisait, mais toute cette situation, quelque part, la propulsait en arrière, en la ramenant irrémédiablement, irrévocablement, à son passé, un passé qu'elle avait cru pouvoir oublier, ou transcender... Sans succès. Elle ne réussirait rien tant qu'elle n'aurait pas obtenu sa vengeance, tant qu'elle n'aurait pas parlé à Gabriel, tant qu'elle n'aurait pas revu Nathaniel, c'était aussi simple que cela.

Anthony lui confia qu'Eleonore était difficile à cerner, et Bertille n'était pas franchement surprise de l'entendre. Elle-même, au cours de sa conversation avec elle, n'avait pas vraiment su sur quel pied danser avec elle, et c'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle demandait l'avis de son interlocuteur, car elle-même serait bien en peine, en réalité, de déterminer ce qu'il en était, et à quel point ou non la jeune femme était fiable ou non, et ce qu'était réellement son état d'esprit. Une jeune femme qui semblait fragile, impressionnable, mais qui avait finalement beaucoup évolué, sans doute parce qu'elle n'avait pas eu le choix, tout simplement. Malgré tout, elle restait naïve, influençable, peut-être, ce qui était dangereux dans leur situation. Comme tout le monde, elle ne méritait pas ce qu'elle avait vécu, en revanche, elle pourrait emprunter des chemins regrettables.

-Qu'est-ce que tu entends par là ? demanda Bertille, curieuse. Quel genre de chemins ?

Elle pensait en avoir un petite idée, mais elle avait besoin qu'Anthony l'exprime clairement néanmoins. Elle saurait, en tout cas, qu'il serait préférable pour elle de demeurer sur ses gardes la prochaine fois qu'elle verrait la jeune femme.

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ertille avait tout à apprendre de cette Eleonore, et elle avait bien compris qu'elle ne pouvait certainement pas passer à côté de toute indication qu'Anthony pourrait bien lui donner à son sujet. Le monde avait continué d'évoluer sans elle, tandis qu'elle demeurait à l'écart, à l'écart de tout, à l'écart du monde, ruminant ses envies de vengeance... Non, son besoin de vengeance était absolu, mais il s'était jusqu'ici épargné toute considération extérieure... ça ne pouvait plus être le cas à présent, et il fallait qu'elle la joue fine, c'est surtout.

Elle ne savait pas exactement comment se positionner alors qu'elle avait bien conscience d'incarner un pion sur le grand échiquier que menait Nathaniel d'un côté, et Edgar de l'autre. Elle acceptait de n'être qu'un pion tant qu'elle parvenait à tirer son épingle du jeu. Mais pour cela, elle voulait tout de même maîtriser les règles du jeu, et surtout connaître son rôle, pour le tenir à la perfection. Elle avait aussi besoin de bien identifier les autres pions et leur nature... Qu'il s'agisse d'Eleonore... mais aussi d'Anthony, en réalité, car s'il se positionnait en opposition envers Edgar, ses griefs envers Nathaniel ne pouvaient qu'alarmer, bien évidemment.

-Tu sais bien qu'on ne peut pas faire la guerre à Edgar sans se salir les mains. L'on doit utiliser les mêmes méthodes que lui si l'on veut parvenir à nos fins, dit-elle catégorique, pour commencer, quand Anthony lui fit comprendre que Nathaniel était prêt à absolument tout, et à toutes les manipulations, pour parvenir à ses fins.

Ce n'était pas une chose qui la surprenait, de sa part. Elle savait, bien sûr, que Nathaniel n'était pas un enfant de chœur, mais elle l'acceptait, parce qu'elle pensait suffisamment bien le connaître pour savoir quel homme il était au fond. Elle avait vu sa douceur, sa patience, sa générosité envers elle. Elle s'était montrée d'une patience d'ange avec elle, et ce n'était certainement pas une chose qu'elle pourrait oublier. Pour cette raison, elle manquait d'objectivité, et avait peut-être un peu trop tendance à tout lui pardonner. Et à trouver une justification à chacune de ses actions, même quand elle ne le devrait pas.

-Pourquoi l'influence de Nathaniel serait forcément négative ? Tu l'as dit toi-même, elle a beaucoup évolué depuis que tu la connais, et donc depuis qu'elle connaît Nathaniel. Elle s'est endurcie, probablement. Comme toi. Comme moi. Est-ce que c'est un mal ? Nous ne pouvons pas nous permettre de nous montrer sensibles... Ce serait notre perte. Elle poussa un soupir. Mais si cela peut te rassurer, je pourrais parler à Eleonore et m'assurer qu'elle ne dérive pas... plus que nécessaire.

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