Les oiseaux qu'on met en cage peuvent-ils encore voler ? [pv Anthony :33]

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oujours en vie mais très mal en point, voilà comment l'on pourrait en quelques mots résumer la situation de Nathaniel. Nathaniel qui ne pouvait nier être quelque peu habitué aux situations de la sorte. Il avait finalement passé presque plus de temps derrière les barreaux qu'à l'air libre au cours de son existence plus longue qu'il n'y paraissait en fin de compte. Malgré tout, il devait reconnaître qu'il ne vivait pas du tout son enfermement dans les geôles du château de Féerie comme il avait vécu son emprisonnement au sein de l'île des soupirs. Peut-être était-ce dû au fait qu'ici, les gardiens restaient hors de portée de ses bras, ou bien parce qu'il n'avait de vis-à-vis avec aucune autre cellule... ou parce qu'on le torturait quotidiennement sous le regard satisfait d'un Edgar qui ne bronchait pas.

Même s'il avait été satisfait dans un premier temps de leurs retrouvailles (parce qu'il avait trop espéré les retrouvailles en question, peu importe les circonstances dans lesquelles elles devaient se dérouler au bout du compte), il devait bien admettre à présent qu'elles lui laissaient un goût légèrement amer. Sa seule satisfaction était qu'il était encore en vie... mais pour combien de temps exactement ? Il savait que ce très cher roi ne voulait pas prendre le risque qu'il s'évade une nouvelle fois, il savait qu'il fallait en finir. Mais il ne pouvait pas en finir tant que Nathaniel ne lui aurait rien dit de l'emplacement des rebelles et de la nature de ses plans. Nathaniel ne parlerait pas. Pas seulement pour protéger les rebelles (et en vérité, il ne se souciait que de protéger Eleonore - et dans une certaine mesure Anthony), mais parce qu'il ne pouvait se permettre de mourir que lorsqu'Edgar serait mort. Et pour l'heure, son vieil ennemi était en bien trop bonne forme.

Alors son quotidien était à nouveau fait d'obscurité, d'humidité, de faim, de froid, et d'une patience érodée par les circonstances. Il était plus simple de prendre son mal en patience la première fois... Edgar n'était pas là, à quelques mètres, pour venir prendre un malin plaisir à le narguer dès qu'il en avait l'occasion. Malgré tout, certaines habitudes ne se perdaient pas. Notamment celle de combler le silence à tout prix.

Nathaniel sifflotait, tout en examinant très attentivement sa cellule. A force, il en connaissait tous les détails, la moindre aspérité sur les pierres gris-noir, la moindre fissure, la moindre fragilité du mur. Rien, néanmoins, qui ne puisse participer à son évasion. Pour sortir de là, il aurait besoin d'un soutien extérieur, et il le savait pertinemment. Et à ce sujet... des bruits de pas se répercutèrent en écho contre les murs de pierre. Nathaniel se tut. Il reconnaissait cette démarche. Anthony avait enfin pu échapper à la vigilance d'Edgar afin de le retrouver.

-Tu en as mis du temps.

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vrai dire, Nathaniel n'en voulait pas le moins du monde à son vieil ami de n'avoir pu se pointer auparavant devant sa cellule. C'est sûr, il aurait préféré qu'Anthony parvienne à le retrouver avant, tant qu'à faire, mais il ne lui reprocherait certainement pas d'avoir été prudent, surtout dans ces circonstances. Au contraire, il était même primordial, à l'heure actuelle, qu'ils se montrent au-delà de vigilants. Nathaniel avait été enfermé, c'était déjà bien assez grave, il ne manquerait plus qu'Anthony soit démasqué dans la foulée. Non, Nathaniel ne reprochait rien du tout à Anthony, mais il appréciait quand même qu'il soit là, finalement. Il avait fait aussi vite qu'il avait pu, là-dessus, Nathaniel le croyait sans mal, et s'en contentait bien, d'autant plus que l'homme lui avait apporté de quoi manger. Il éprouva en cet instant un sincère élan de gratitude pour son ami. Cette situation ne pouvait que prouver que leur situation avait bien changé. Jamais Anthony ne serait comporté de la sorte après son premier emprisonnement. Ce n'est pas qu'Anthony ne se serait pas soucié de lui pour autant, loin de là. C'était seulement qu'il n'aurait pas cherché à l'afficher, encore moins si cela devait le mettre en porte-à-faux par rapport à Edgar.

-Je n'ai jamais été mieux, répondit Nathaniel avec un sourire avant d'avaler une première bouchée de nourriture.

Il ne cherchait pas forcément à se montrer convaincant, il estimait que la situation parlait d'elle-même au bout du compte. Il avait retrouvé Edgar, certes, mais il se retrouvait à présent à sa merci, il retrouver la contiguité d'une cellule après avoir goûté à la liberté, il avait subi d'innombrables tortures, il craignait pour ses projets et son avenir. Evidemment qu'il avait déjà été mieux, mais ce n'était pas en se lamentant sur son sort qu'ils iraient où que ce soit. Il fallait qu'ils se concentrent sur ce sur quoi ils avaient prise avant toute chose. Alors même si la situation était critique, il était vivant, et pour le moment, il était encore capable de manger et de parler, quelque part, c'était un relatif progrès.

-Tu as des nouvelles du groupe ? demanda-t-il aussitôt.

Il se doutait que leur temps de conversation était contrôlé, aussi fallait-il faire vite et bien. Et il était donc important de s'assurer que la situation demeure sous contrôle, et donc que le groupe s'en sorte à sa manière. Instinctivement, Nathaniel comptait sur Eleonore et Anthony pour reprendre les rennes, et il était convaincu qu'ils avaient abouti à la même conclusion. Et il avait d'autant plus d'intérêt à poser cette question que, justement, Nathaniel voulait s'assurer en priorité qu'Eleonore allait bien. Quelque chose avait changé, immuable, entre eux, une motivation supplémentaire à sa survie.

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e sourire de Nathaniel se fit satisfait quand Anthony affirma qu'il avait revu le groupe, et qu'il se débrouillait très bien. Bon, une bonne chose de faite. D'où il se trouvait, il ne pouvait pour le moment rien faire, et pour obtenir vengeance, il était important que les rebelles ne commettent pas le moindre impair. Et oui, il était aussi soulagé d'entendre qu'Eleonore se portait bien. Certes, Anthony n'avait pas parlé d'elle directement, mais forcément, s'il lui était arrivé quelque chose, il l'aurait su directement. Il n'intima pas Anthony à la prudence ni ne lui donna de recommandations particulières, il savait ce qu'il faisait, il n'en doutait pas une seule seconde. Et donc, il laissait cette situation particulière reposer entre ses mains, pour le moment tout du moins.

-A ton avis ? répliqua Nathaniel, qui se sentirait presque offusqué par la question de son interlocuteur, quand ce dernier lui demanda s'il avait parlé.

Certes, la question se posait, et Anthony avait sans doute besoin d'être rassuré, mais tout de même, il avait envie de croire que son vieil ami le connaissait mieux que cela. Certes, il n'avait rien contre la délation quand elle était à son avantage, mais apprendre son plan à son pire ennemi, ce serait réduire à néant tous ses efforts, mûris de longue date. Il n'en était évidemment pas question. De toute manière, il ne gagnerait rien à parler. Certes, la douleur était à certains moments plus qu'insupportable, et Edgar s'y connaissait en matière de torture, et oui, parler mettrait peut-être fin à son supplice, mais c'était peu probable. S'il devait parler, Edgar le tuerait sans doute, ou poursuivrait de le torturer juste pour le plaisir malsain de l'avoir à sa merci.

-Je ne parlerai pas, ajouta-t-il alors simplement.

Combien de temps est-ce que ça durerait ? Difficile à dire. Nathaniel espérait bien trouver une échappatoire rapidement et ne pas rester enfermé là trop longtemps. Même si rien n'était moins sûr. Anthony lui-même ne pouvait pas prendre le risque de le faire libérer. Oui, il avait des alliés au sein même du château, mais recourir à leur aide lui causerait plus de problèmes qu'il n'apporterait de solution.

-Edgar t'a parlé de moi ? demanda-t-il ensuite d'un ton décontracté, qui lui permettait ne serait-ce qu'un peu d'occulter une douleur bien présente et indéfectible.

Quoi qu'il en soit, il était curieux. Son retour avait dû engrenger des questionnements, ou du moins une conversation, non ? Et dans ce cas, Nathaniel avait envie de savoir ce qui avait bien pu s'être dit exactement. Ce n'était définitivement pas la priorité, certes, mais de toute manière, ils ne pouvaient pas faire grand-chose de plus à l'heure actuelle, clairement pas. Au moins, grâce à Anthony, Nathaniel avait l'estomac plein, et c'était déjà beaucoup.

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athaniel se sentirait presque vexé par la réponse d'Anthony, à dire vrai, car il avait pour le moins espéré que son retour marquerait tant l'esprit d'Edgar qu'il serait bien incapable de parler d'autre chose. Il avait espéré que le roi se laisse décontenancer, tout simplement... mais s'il l'était, il saurait bien évidemment le cacher, même auprès d'Anthony, qui était plus à même de voir clair dans son jeu, justement parce qu'il était capable de voir clair dans son jeu. En fin de compte, c'était peut-être pour cette raison que le serviteur du roi avait été laissé de côté par son supérieur, pour la seule raison qu'il était trop capable de lire entre les lignes. Ou bien c'était autre chose, son retour l'avait peut-être rendu plus défiant, et à juste titre, à l'adresse de l'homme qui était resté à son côté tout ce temps.

Au moins, il n'avait pas caché sa joie quand il était parvenu à lui mettre la main dessus (même si Nathaniel estimait qu'il n'avait pas beaucoup de mérite à ce sujet, en fin de compte, c'était la sorcière qui avait fait tout le boulot, et lui s'était laissé servir sur un plateau d'argent, tout simplement). C'était une maigre consolation, mais il allait s'en contenter. Ce serait peut-être incompréhensible pour certains, mais il avait besoin de compter, de compter pour son ennemi, plus que tous les autres comptaient, qu'il soit obnubilé par lui comme l'inverse avait également été vrai pendant de trop nombreuses années, comme c'était toujours le cas. Malgré tout, ce n'était pas ainsi qu'ils devaient raisonner pour le moment. Et raisonner, il fallait qu'ils le fassent, c'était de la plus grande importance, et ils en avaient conscience tous les deux. La situation était proche de catastrophique, mais Nathaniel refusait de la considérer comme dramatique.

-C'est ton occasion, répondit doucement Nathaniel après avoir laissé passer un léger temps de réflexion, il en fallait un minimu m dans ces circonstances. Et oui, il lui arrivait parfois de réfléchir et de ne pas juste agir à l'instinct. S'il te demande de me torturer, fais-le, sois odieux avec moi, sois cruel envers moi, ça te protègera. Il afficha un nouveau sourire de sa panoplie. Je sais que tu en meurs d'envie.

Certes, il semblait inévitable qu'Anthony soit découvert, à un moment ou à un autre, mais ce n'était définitivement pas le moment, surtout pas. Pas alors que lui-même soit appréhendé. Il en fallait au moins un des deux pour être en liberté, et en l'occurrence, Anthony pouvait en effet se dédouaner de tout soupçon en se comportant en ennemi... Il fallait ce qu'il fallait, parfois, souvent, pour parvenir à ses fins, n'en déplaise aux plus sceptiques.

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athaniel se doutait que la perspective de le torturer, de lui faire du mal, serait profondément difficile pour Anthony, pas parce qu'il tiendrait à le préserver plus que n'importe qui d'autre en ce bas monde, loin de là, mais parce qu'il n'était tout simplement pas de nature cruelle. Il était un homme fondamentalement bon, c'est un fait, c'est d'ailleurs l'une des choses que Nathaniel appréciait chez lui, qui le plaçait au-dessus des autres : au-dessus de lui, au-dessus d'Edgar, au-dessus de tous... et ce même caractère faisait qu'il ne s'en rendait même pas compte. Même s'il admettait malgré tout que c'était tout sauf son genre.

Il ne lui apprenait rien à ce sujet. Mais que ce soit son genre ou pas, ça n'y changeait rien, l'homme savait que sn titre et son rang étaient compromis, tout se jouerait là. Si Anthony parvenait à la jouer finement, alors ils parviendraient peut-être à se sauver mutuellement, du moins peut-être assez longtemps pour que ce ne soit plus un problème. Parce que d'ici là, ils auraient abattu Edgar et fait s'effondrer son empire.

-Tu n'as qu'à penser que j'ai fait subir bien pire à Dorian, dit-il d'un ton volontairement détaché, ça devrait t'aider.

Sans conteste, s'il était bien un cas de figure qui justifiait la colère et l'emportement d'Anthony, c'était le sort injuste qu'avait subi Dorian. Nathaniel s'en était excusé à mi-mot, jamais complètement, et il continuait de considérer qu'Edgar était plus responsable que lui de ce qui était arrivé à l'ancien roi de Féerie, mais il fallait tout de même voir la vérité en face. Et si cela pouvait exciter la motivation du serviteur et conditionner son comportement, alors tant mieux. Anthony méritait bien plusqu'Edgar de se défouler sur lui. Si vraiment il devait subir les pires tortures, il préférait que ce soit de la part d'Anthony que de la part d'Edgar ou pire d'un de ses exécutants. Ils ne le méritaient absolument pas, définitivement pas.

-Ce serait si simple, maintenant, de me faire libérer et de tuer Edgar dans son sommeil, observa-t-il ensuite dans son soupir, passant du coq à l'âne sans aucune forme de scrupule, pas la moindre.

Mais ce n'était pas ainsi que les choses se passeraient, car Nathaniel n'avait pas la moindre intention d'opter pour la solution de facilité. Non, surtout pas. Ce qu'il souhaitait, lui, c'était un final en apothéose, magnifique, grandiose. sa grande épopée méritait mieux qu'un bête régicide dans le confort de la suite royale. Non, la fin que Nathaniel réservait à Edgar devait être beaucoup plus spectaculaire. Mais il en était loin encore. Et c'était assez frustrant, il est vrai.

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athaniel se contenta d'afficher l'un de ses éternels sourires quand son interlocuteur observa que ça ne lui plairait pas d'agir comme il le suggérait. Si Anthony avait pu imaginer ne serait-ce qu'une seule seconde que ce pouvait bel et bien être son idée, il se serait senti vexé, en effet. Car ce n'était pas dans ses manières de procédés. Nathaniel était de nature inconsciente, c'est vrai, et il était capable de trahir en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, en revanche, il n'était pas un lâche, et même, il aurait sans doute dû l'être bien davantage au cours de sa vie, cela lui aurait sauvé plus d'une fois la mise.

Nathaniel n'avait pas l'intention de laisser les choses se terminer ainsi. Oui, ce serait satisfaisant de tuer Edgar dans l'instant, et le roi ne méritait pas mieux, et même s'il devait en payer les conséquences ensuite, ça lui serait égal, puisque son ennemiserait mort. Mais il ne voulait pas que l'on glorifie ce très cher roi après sa mort et que l'on conspue l'horrible criminel qui avait osé s'en prendre à lui. Avant tout et surtout, il devait faire tomber les masques, et il avait la ferme intention d'y consacrer toute son énergie, de ne pas ménager le moindre de ses efforts. Pour cela, bien sûr, il fallait qu'il s'en sorte, et à bien y regarder, les éléments à leur disposition ne jouaient pas en sa faveur. Mais Nathaniel ne perdait pas espoir. Il avait foi dans ses projets, dans sa vengeance, comme quand on l'avait enfermé sur l'île des soupirs. Et il avait fini par en sortir, contre toute attente... il apprécierait seulement que cela ne lui prenne pas dix-neuf ans de sa vie, cette fois.

-J'en suis certain, répondit Nathaniel avec une assurance qu'il ne devrait sans doute pas afficher, mais qu'importe. Est-ce qu'il était sincère, est-ce qu'il était totalement honnête ? Rien ne le garantissait, mais son discours restait le même, et ne varierait pas. J'ai survécu à bien pire. Ce qui en soi était vrai... dans l'idéal, ça ne voulait pas dire qu'il ne pourrait pas être capable de supporter pire, mais dans tous les cas, il se sentait prêt à tout subir, du moment qu'il obtenait gain de cause. Il faut juste que je tienne encore un tout petit peu. Et toi aussi. Tu es aux commandes, à présent.

Pour le coup, il se devait de compter sur lui, et de compter sur Eleonore. Dans le cas contraire, sans soutien extérieur, ses projets n'aboutiraient pas. Edgar l'avait capturé trop tard, c'était leur chance. La machine était d'ores et déjà enclenchée... et rien ne l'arrêterait dorénavant... Il fallait juste espérer qu'ils sauraient prendre l'avantage.

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athaniel savait qu'Anthony avait entièrement conscience de ses responsabilités, de ce qu'il devait faire, du rôle qu'il devait tenir, et l'ancien prisonnier (ou nouveau prisonnier, question de perspective) était convaincu qu'il le ferait à la perfection. C'était un rôle qu'il ne devrait pas tenir, encore moins aussi longtemps, mais la situation était ce qu'elle était, et puisqu'il en était ainsi, Nathaniel appréciait, au fond, que son ami se retrouve à prendre les rênes de la situation. Anthony avait la trempe d'un roi, mais il ne s'en rendait pas compte, peut-être parce qu'il ne s'en rendait pas compte.

En attendant, il tiendrait le temps qu'il faudrait, c'était à eux de faire en sorte que cela ne dure pas trop longtemps, même si l'homme n'avait pas vraiment ce genre de cartes en mains. Sa libération, si elle était possible, dépendrait surtout du reste des rebelles, en réalité, ne lui en déplaise... C'était assez frustrant, mais c'était une situation qu'il acceptait. En attendant, cela lui permettait quelques petits tête-à-tête avec Edgar... Bon, ils étaient musclés et particulièrement désagréables, certes... Mais il les avait attendus depuis beaucoup trop longtemps pour envisager de s'en plaindre non plus. Et en parlant d'Edgar...

-Je sais, répondit Nathaniel, je le connais bien, je sais comment il fonctionne, répondit Nathaniel.

L'homme pouvait sembler particulièrement inconséquent, mais il savait à quoi il s'exposait, il savait que son ancien ami ne reculerait devant aucune méthode, qu'elle soit violente ou vicieuse, pour le faire parler, mais peu importe les circonstances, Nathaniel n'avait pas la moindre intention de parler ou de passer aux aveux. Il était prêt à endurer toutes les tortures, qu'elles soient physiques ou psychologiques, pas tant par loyauté envers ceux qu'elle pourrait éventuellement trahir que par fidélité envers ses projets de longue date. C'était un duel. Il y avait d'autres acteurs pour y participer, mais à la fin, ça se jouait entre Edgar et lui, et jamais, ô grand jamais, Nathaniel ne laisserait le roi gagner, c'était absolument hors dequestion.

-Il n'a aucune arme contre moi, ajouta-t-il, sûr de lui. Tout ce qu'il pouvait me prendre, il l'a fait il y a bien longtemps.

Et Nathaniel le pensait, sans admettre réellement qu'il lui restait tout de même quelques faiblesses que le roi pourrait tout à fait choisir d'exploiter. C'est vrai, quand il avait été enfermé sur l'île des soupirs, il n'avait plus rien. Il avait perdu Latika, ses perspectives de gloire et de pouvoir, ses meilleurs amis... Mais cela lui avait permis de repartir de rien. Et quand on n'avait rien à perdre, on avait tout à gagner. Oui... Sauf qu'entre-temps, il avait rencontré Eleonore, il avait retrouvé Anthony. Alors si, il lui restait quelque chose à perdre.

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athaniel ne pouvait certainement pas se permettre de se montrer si confiant alors que, de toute évidence, son ennemi avait pris un avantage majeur sur lui. Mais se désespérer de cette situation n'allait définitivement pas l'aider à s'en dépêtrer. Mieux valait se focaliser sur les avantages qu'il gardait à l'heure actuelle plutôt que de s'inquiéter terriblement de ce sur quoi il n'avait qu'un minimum de contrôle. Tout n'était pas perdu, le simple fait qu'Anthony soit là, présent pour le soutenir, en disait long sur la question, sur ce qu'il pouvait encore accomplir, et sur ce qui était susceptible de lui survivre si le moindre malheur devait lui arriver. Cependant, il n'était peut-être pas assez honnête, que ce soit envers son interlocuteur ou envers lui-même. Et si quelqu'un était capable de le percer un jour, mieux que n'importe qui, ce n'était pas Edgar, c'était définitivement Anthony, et il le lui prouva très clairement en posant une question qui savait appuyer pile où il fallait.

Et Eleonore ? Un nouveau sourire se déposa sur ses lèvres. Est-ce qu'il savait vraiment répondre à cette question ? En fait, il n'en était pas si sûre, parce que Eleonore avait bouleversé malgré elle et malgré lui les règles de son propre jeu. Certes, il continuait de vouloir la victoire, à tout prix, mais certaines variables avaient changé. Que ce soit sa relation avec Eleonore, qui n'était plus du tout la même à présent, ou même sa relation avec Anthony, qui ne ressemblait pas du tout à celle qu'ils avaient il y a une vingtaine d'années. Parce qu'Anthony n'était plus le même, ou ne l'était plus aux yeux de l'ancien prisonnier de l'île des soupirs, du moins. Il l'avait sans doute sous-estimé à l'époque, ce n'était plus le cas aujourd'hui. Et il comptait. Et oui, Edgar avait des armes contre lui... mais Nathaniel lui-même ne savait pas à quel point il serait capable de le laisser les exploiter à son désavantage s'il en avait l'occasion.

-Si Edgar met la main sur Eleonore, il n'aura plus besoin de me cuisiner, répondit Nathaniel, détournant la question à sa guise. Ce n'était pas forcément flatteur envers Eleonore, mais il était tout de même convaincu que le roi estimerait pouvoir plus facilement extorquer des informations à la jeune femme qu'à lui. Et elle connaît les risques.

Ce qui laissait donc suggérer qu'il serait prêt à la sacrifier pour son objectif. Est-ce que c'était vrai... C'était bien possible. Il n'en avait aucune envie, mais si aucun autre choix ne lui était donné, alors il prendrait la décision la plus égoïste.

Au bout du compte, ce qui compterait toujours et seulement, c'était la chute définitive d'Edgar.

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athaniel sentit que la réponse qu’il venait de lui donner n’était pas à son goût, et il pensait comprendre pourquoi. Sans doute s’imaginait-il que l’affection, ou ce quelque chose qui y ressemblait, qu’il avait pour Eleonore le ferait se comporter différemment avec elle. Il recherchait sans doute chez lui une preuve d’humanité que Nathaniel lui refusait à chaque fois qu’il l’effleurerait presque. Et c’était à dessein, bien sûr. Sa stratégie pouvait paraître particulièrement absurde. Ne serait-il pas plus simple de prétendre tenir à Eleonore, à Anthony, faire mine de ne pas être égoïste pour s’attirer la confiance d’Anthony ? Peut-être bien. Mais il ne le cherchait pas. Anthony était intelligent, suffisamment intelligent pour ne plus jamais lui faire confiance. Partiellement, peut-être, par un accès de faiblesse, mais jamais totalement.

Nathaniel, lui, cultivait son persona, construisait son mythe, et ce mythe devait demeurer insaisissable. Même à ceux qui le connaissaient le mieux, il dissimulerait le fond de sa pensée, cacherait ses intentions et ses désirs. Et au fond, lui-même avait-il bien connaissance de ce qu’il voulait ? Lui-même savait-il réellement ce qu’il attendait, ce qu’il recherchait ? Il était bien possible que non en réalité… là encore, c’était de son mythe que dépendait la réponse à cette question. La déception d’Anthony était de bon aloi, et Nathaniel ne l’adoucirait pas. Il estimait que c’était mieux ainsi. Même s’il mentait, du moins en partie… il ne savait pas lui-même ce qu’il serait capable de sacrifier ou non pour Eleonore. Il ne lui avait pas menti quand il lui avait dit, un jour, qu’elle chamboulait tout. Elle avait redistribué les cartes, elle avait modifié les règles d’un jeu auquel elle ne savait pourtant même pas qu’elle jouait.

-Peut-être, admit donc Nathaniel. Peut-être aussi que tout ce que j’ai bâti s’effondrera comme un château de cartes si je ne suis pas là. Peut-être qu’il y a des aspects de mon plan que vous ignorez, et qui pourraient vous être fatals. Il haussa les épaules. Mais peut-être pas. Tu peux décider de ne pas me libérer, Anthony, je ne t’en voudrais pas. On est déjà passé par là, tous les deux, après tout. Il tira un fin sourire de sa panoplie. C’était bas, il en avait bien conscience, mais il n’éprouvait pas pour autant de scrupule à adopter cet angle d’attaque particulier. Mais n’oublie pas combien tu l’as regretté la première fois.

Anthony apportait une humanité nécessaire à une situation qui en manquait cruellement, à un conflit qui en était positivement dénué. Si l’humanité qu’il insufflait à la rébellion lui était indispensable, la vindicte de Nathaniel était peut-être un élément dont ils ne pouvaient en revanche pas se dispenser non plus. Ils étaient complémentaire, chose que Nathaniel avait su même à l’époque, raison pour laquelle il avait voulu inclure Anthony dans leurs projets à l’époque, quand bien même il était évident que le trône qu’Edgar et Nathaniel voulaient tant ne représentait, en revanche, pas grand-chose pour lui… si ce n’est la place où siégeait Dorian jusque-là. Et ça aussi, ça avait pesé dans la balance.

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athaniel adressa à Anthony un des nombreux sourires de sa panoplie quand ce dernier lui assura qu'il aviserait en temps voulu. Pour le prisonnier, c'était une petite victoire, même si c'était peut-être présumer un peu trop des circonstances et de la loyauté d'Anthony, qui ne lui était absolument pas due vu la situation, alors qu'il aurait de très, très bonnes raisons de décider de le laisser moisir ici. Ceci dit, si Anthony avait vraiment dû décider de l'abandonner pour commencer, ils n'en seraient pas là. Ils étaient allés trop loin, à l'évidence, pour que ça s'arrête là.

Non, c'était absolument impossible. Il était évident qu'il allait l'aider, parce qu'il s'en sentait l'obligation morale, s'il devait prendre la décision de ne pas le sortir de là, ce ne serait pas complètement dépendant de sa volonté, il faudrait, peut-être, l'imputer à tout autre chose, notamment à des éléments extérieurs, suffisamment nombreux tout de même pour que tout ne puisse pas se dérouler selon ses plans. Pour peu qu'il ait le moindre plan, d'ailleurs, car à l'évidence, il n'avait absolument pas planifié de se retrouver là, à nouveau enfermé, de nouveau en cage, à la merci d'Edgar, qui ne lui ferait certainement aucun cadeau (c'était de bonne guerre).

-Ne t'en fais pas pour moi, répondit Nathaniel qui pensait reconnaître dans la voix de son interlocuteur quelque chose qui ressemblait à s'y méprendre à de l'inquiétude, de l'inquiétude quant à ce que le roi pourrait décider de lui faire subir.

Et pour ce qui était de le torturer, Edgar rivaliserait certainement d'imagination pour le faire souffrir au-delà de ce qui est nécessaire. Lui non plus ne se réjouissait pas spécialement d'être ainsi soumis à la bonne volonté d'Edgar, toute cette situation avait des plus que déplaisants airs de déjà-vu, mais puisqu'il s'en était déjà tiré une première fois, il voulait croire qu'il y parviendrait une seconde fois, même s'il comptait sur le fait de ne pas avoir à pourrir vingt années ici, cette fois... la jeunesse éternelle avait tout de même ses limites.

-Depuis le temps que j'attendais de le revoir, crois-moi, je guette la moindre occasion de pouvoir lui parler, affirma Nathaniel, toujours avec le sourire, même s'il mentait en partie.

Parler avec Edgar oui, le provoquer, avec plaisir, mais le résultat devait être invariablement le même pour lui, et ce n'était pas forcément le résultat le plus plaisant que l'on puisse concevoir, il fallait tout de même le dire.

-Et puis, chaque fois que je lui offre l'inverse de ce qu'il attend de moi, c'est lui que je torture. Son sourire s'agrandit. L'un dans l'autre, on peut dire que c'est un échange de bons procédés.

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