FB - Grignoti, grignotons, qui grignote ma maison [pv Odelle]

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un coup, tout était devenu noir... Elle saurait à peine exprimer l'angoisse qui la saisit au coeur et au ventre quand elle se réveilla, dans cette cage obscure, l'odeur du sang lui affleurant les narines, le coeur au bord des lèvres. Cela faisait plusieurs semaines que leur chemin avait croisé celui de la sorcière. Au début, ça avait été comme un rêve, comme un doux mirage. Leurs parents les avaient abandonnés dans une maison déserte des jours durant, et la faim était devenue tout bonnement insupportable. Il y avait eu cette traversée éprouvante des bois. Chaque pas était plus difficile que le précédent, mais ils avaient tenu bon. Et il y avait eu ce parfum agréable et entêtant, effluves sucrées de pain d'épices. Bien sûr, ils n'avaient pas pu résister. Ils avaient frappé à la porte, cette jeune femme leur avait ouvert. Elle semblait sympathique, agréable, compatissante... Elle les avait invités sous son toit, leur avait offert le gîte, et surtout le couvert. Et ils en avaient abusé... encore, encore, encore... quand leurs carrures avaient commencé à forcir, quand un léger embonpoint était venu grossir leurs traits, ils avaient commencé à se douter quelque chose. Alors ils voulurent s'enfuir... et puis... qu'est-ce qui s'était passé, ensuite ?

Daphnée ne s'en souvenait plus. Ce qu'elle savait, en revanche, c'était qu'il faisait noir, qu'elle était allongé sur un sol dur et moite, et que ça sentait le sang. Sa tête était lourde, douloureuse, et elle eut de mal à émerger, à s'échapper de la bulle oppressante et invisible qui semblait l'empêcher de revenir totalement à la raison, à la réalité de la situation. Ce qui parvint à la réveiller plus sûrement que n'importe quoi d'autre, cependant, fut la pensée qu'elle eut soudain pour son frère. Elle ne l'entendait pas ne serait-ce que remuer ou respirer à côté d'elle, et pour ce que ses yeux savaient distinguer dans l'obscurité... il n'était pas là.

-Louis ! l'appela-t-elle, aussi vivement que ne lui permettait sa voix légèrement rauque.

Elle se redressa, saisie d'une angoisse terrible. Elle balaya ce qu'elle savait voir du regard, et ses yeux tombèrent sur une silhouette beaucoup trop familière. La sorcière était là, en face d'elle. Et son cauchemar ne faisait que commencer.

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lus cette femme l'intimait au calme, plus Daphnée sentait l'angoisse la gagner. Elle avait la nausée, son coeur battait à tout rompre, elle frissonnait sans savoir si elle avait froid, juste peur, ou les deux... Elle avait envie de fermer les yeux, de ne plus les rouvrir que pour se retrouver dans le confort de sa chambre, si pauvre était-elle... pour se retrouver en compagnie de son frère, qu'elle tenta encore d'appeler plusieurs fois, ignorant les propos de la sorcière, pour accuser en réponse un silence angoissant et oppressant. Le calme de cette femme qu'elle avait trouvé autrefois si douce et gentil ne faisait qu'accentuer la peur qui lui serrait les entrailles... Elle préfèrerait encore qu'elle l'engueule ou qu'elle l'insulte, peu importe, n'importe quoi qui révèle une cruauté qu'elle discernait sous la surface, et que lui suggérait bien trop cruellement l'absence de son frère... et l'odeur de sang... même si elle n'osait toujours pas y croire.

-Où est mon frère ? Qu'est-ce que vous lui avez fait ? demanda-t-elle d'une voix blanche.

Oh, la réponse, quelque part, elle la connaissait déjà, mais tant qu'elle pouvait avoir ne serait-ce que le fragment d'espoir que Louis soit toujours en vie, même si en piteux état, elle s'y accrocherait de toutes ses forces. Leurs parents les avaient abandonnés, mais ils avaient toujours pu compter l'un sur l'autre. Il l'avait soutenue, et supportée dans tous les sens du terme, elle aurait été perdue sans lui, au sens propre comme au figuré... Si quelque chose devait lui être arrivé, elle ne s'en remettrait pas... Ou elle ne se pensait pas capable de s'en remettre. En le perdant, elle perdrait une partie d'elle-même. Elle l'avait sans doute déjà perdue... Mais au-delà de la pensée qu'il était arrivé à son frère une chose irréversible, au-delà de l'idée de ne jamais le revoir, il y avait l'angoisse des circonstances. Leurs présomptions se révélaient justifiées, mais quelle était la frontière entre la réalité et ce que leurs esprits d'enfants effrayés avaient imaginé ? Et si cette frontière avait été dépassée ? Elle peinait à respirer, comme si un poids gigantesque la compressait tout entière, et elle retenait son souffle sans le vouloir, guettant la réponse de son interlocutrice.

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on frère était dans un monde meilleur, à présent... Daphnée avait beau être naïve, elle savait parfaitement ce que ça signifiait. Ellle ne le savait que trop bien... Et c'était comme si on venait de lui arracher une partie d'elle-même. Oh, elle l'avait deviné, mais entendre cette femme le lui confirmer, sourire aux lèvres, c'était encore autre chose, et c'était douloureux. Jamais plus elle ne reverrait Louis. En frapppant à la porte de cette maison, ils avaient signé leur arrêt de mort à tous les deux... pourquoi elle ne s'était pas méfiée plus tôt ? Elle aurait pu empêcher un tel drame de se produire. MAis non, il était trop tard. Louis était mort, il ne reviendrait plus... Et elle était loin de penser que le monde qu'il ait rejoint puisse être meilleur... même si n'importe quel monde qui ne soit pas ici ou maintenant semblait devoir forcément être meilleur. Les larmes obstruaient son regard tandis qu'elle se sentait partagée entre une rage intense à l'adresse de cette femme ignoble qui lui avait pris sans scrupule ce qui comptait le plus au monde pour elle... et une douleur infinie, celle d'une soeur qui ne reverrait plus jamais son frère.

Jamais elle n'avait vécu quoi que ce soit d'à ce point éprouvant... et elle savait que si elle ne faisait rien, jamais elle ne vivrait quoi que ce soit tout court. Et même s'il était assez tentant de simplement laisser faire, puisqu'elle n'aurait plus rien si elle n'avait pas son frère, elle ne voulait pas le rejoindre, pas de cette façon-là, du moins. Il était hors de question de laisser cette femme gagner, qu'importe la manière. Elle recula autant que l'espace confiné où elle était enfermée le permettait.

-Qu'est-ce que vous avez l'intention de me faire ?

La tuer seulement, elle ne le croyait pas. Pourquoi se serait-elle donné tout ce mal si son intention n'était que de s'en prendre à eux ? Et pourquoi s'en prendre à eux, d'ailleurs ? Pour le simple plaisir de faire couler le sang ? Peut-être. Cette femme était cruelle. C'était clair, c'était évident. Pour le moment, Daphnée essayait surtout de gagner du temps, espérant se trouver une échappatoire. Mais où qu'elle regarde, elle ne voyait aucune issue. Si ce n'est le destin terrible auquel elle semblait vouloir la condamner.

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C

ette femme était diabolique, tout bonnement diabolique. Comment pouvait-elle, osait-elle affirmer en toute sincérité qu'elle n'avait pas l'intention de lui faire du mal alors que les preuves qui attestaient du mal qu'elle avait fait à son frère étaient partout, disséminées autour d'elles. Et dire qu'elle avait cru qu'elle était leur sauveuse, celle qui leur offrait le gîte, le couvert, leur permettrait de vivre dignement, de les aider à se remettre de l'abandon de leurs parents. Elle découvrait son vrai visage, à présent, et elle était terrifiée, comme elle ne l'avait jamais été jusqu'alors. Il était évident qu'elle avait l'intention de lui faire du mal, tout comme son frère avait dû terriblement souffrir avant de pousser son dernier souffle, et cette pensée la torturait, l'affligeait. Et tout prenait un nouveau sens, à présent. Et elle se reprocherait à tout jamais sa naiveté. Elle avait tout gâché, et si elle avait perdu son frère, c'était entièrement de sa faute.

Elle n'avait pas pris soin d'eux, non, loin de là, elle s'était contentée de préparer sa nourriture pour la rendre tout simplement plus comestible. Rien que d'y penser, le coeur lui montait aux lèvres. C'était dégueulasse, c'était horrible, c'était... Avec détachement, elle parlait d'un sacrifice comme d'un service. C'était ignoble, c'était honteux... et quelque part, c'était trop tard... quel intérêt de survivre à cette situation si son frère n'était plus avec elle ? Plus rien ne l'attendait. Même si elle s'échappait, seule dans les bois, à la merci des loups, elle mourrait de toute façon, tout simplement. Et en même temps, elle n'avait pas envie de mourir, surtout pas envie de mourir... et encore moins de la main de cette maudite sorcière... ce serait comme un affront fait à Louis. Non, il fallait qu'elle survive, pour Louis, mais comment faire ?

-Je... je ferai tout ce que vous voudrez, s'il vous plaît, tout sauf ça...

Bon, dans sa tête, les supplications n'étaient pas ce par quoi elle devait passer pour parvenir à ses fins, mais elle avait cédé à l'angoisse, et finalement, rien d'autre ne lui venait à l'esprit. Elle avait peur, vraiment, vraiment peur. Et même si ce n'était pas la solution, elle avait au moins envie de s'accorder un minimum de répit, tout simplement.

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n frisson d’horreur traversa tout le corps de Daphnée quand la sorcière prit son menton entre ses mains. Elle n’avait pas envie que cette femme s’approche d’elle, la touche… Elle retenait sa respiration, comme si elle craignait de sentir dans l’haleine de cette femme horrible et sans scrupule un quelque chose qui lui viendrait de son frère, qu’elle avait dû achever de digérer à cette heure. Elle avait envie de hurler, de se débattre, de riposter… mais elle ne sut rien faire de tout cela. Figée, inutile, la panique lui clouait les pieds au sol, et elle était là, comme une statue de sel, immobile face à l’horreur quand elle vivait peut-être pourtant l’une des seules occasions qu’elle aurait, sinon de venger son frère, du moins de fuir le démon qui lui faisait face, et qui focalisait à présent toute son attention sur elle. Oh, comme elle voudrait que Louis soit là, qu’il serre sa main dans la sienne, qu’il lui communique la force qui lui manquait tant… Elle donnerait tout, en cet instant pour revoir ses parents, même, en dépit du mal qu’ils leur avaient fait. S’ils savaient ce qui était advenu d’eux, est-ce qu’ils ne regretteraient pas de les avoir abandonnés ? Mais elle pensait trop. Elle pensait beaucoup, beaucoup trop.

Elle ne lui ferait rien pour le moment, disait-elle, mais Daphnée devait-elle se sentir rassurée pour autant ? Ce n’était pas le cas… Outre le fait qu’elle n’avait aucune confiance en cette femme et ne croirait pas un seul des mots qui s’échappaient de ses lèvres, elle ne savait pas si ce répit potentiel était une bonne chose. Pouvait-on nommer « répit » ces longues minutes d’angoisse au cours desquelles elle songerait à son frère et au mal qui lui avait été fait, à ces longues heures, voire à ces longs jours où elle se demanderait ce que l’on ferait d’elle, à quel point ça ferait mal. Autant mourir tout de suite, non ? Et en même temps, elle avait peut-être entre ses mains la seule possibilité de s’échapper… Mais s’échapper pour aller où ? Elle voulait vivre, elle le voulait de toutes ses forces, mais elle ne savait plus quoi penser.

-Qu’est-ce que vous en savez ? Vous savez rien de moi… et vous saviez rien de Louis non plus.

Elle n’était pas une gentille fille. Ou peut-être que si, elle l’était, mais elle n’avait aucune intention de le rester. S’il fallait vaincre cette sorcière avec ses propres armes, elle n’hésiterait pas tant il lui avait fait du mal, mais… comment faire. Elle savait que son discours ne servait à rien, son interlocutrice se moquait bien, en vérité de qui elle était, ou de qui avait été son frère…

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aphnée ne savait pas vraiment si elle méritait les compliments que lui adressait son interlocutrice (pour peu qu'on puisse réellement les considérer comme des compliments, ce dont elle doutait également, pour tout dire), mais dans tous les cas, elle n'y croyait pas vraiment. Peut-être qu'elle avait du répondant, mais elle n'en était même pas sûr, elle parlait comme une façon de garder contenance - quand, plus tard, elle se tairait dans le but de ne plus avoir à affronter la réalité. Et pour ce qui était de ne pas se laisser abattre... elle voudrait que ce soit au sens propre autant qu'au figuré.

Mais à la vérité, elle ne savait pas du tout si elle serait capable de ne serait-ce que survivre à la mort de son frère... Elle le sentait, pourtant, qu'elle avait peur de mourir, qu'elle ne voulait pas connaître le même sort... mais elle ne pouvait pas prétendre non plus qu'elle serait capable de s'en sortir dans tous les cas. elle ne savait pas quoi faire ni quoi dire pour s'en sortir, elle voudrait seulement que son interlocutrice ne soit pas si fière et satisfaite d'avoir mangé son frère, elle voudrait que sa mémoire soit respectée, pas salie, détruite, ensevelie sous des litres et des litres de sang.

-Je m'en fiche, répliqua-t-elle quand Odelle lui affirma qu'elle aurait tout intérêt à rester la charmante gamine qu'elle était quand elle les avait accueillis, elle et Louis, sous leur toit. Je vous hais.

Une réplique très gamine, cela va sans dire, mais en même temps, gamine, elle l'était bel et bien... et si elle n'avait pas envie d'attiser la colère de cette femme, elle ne voulait pas non plus se retrouver dans une situation de soumission. Plus qu'elle ne l'était déjà, tout du moins... Il n'empêche, si elle devait bien mourir, elle comptait bien le faire en exprimant à son interlocutrice toute la haine qu'elle lui exprimait, même si elle se doutait bien que ça lui serait égal... elle ne devait pas être le genre de personne à s'émouvoir de l'opinion d'autrui. Non, elle, elle n'avait besoin de l'aval de personne, elle se contentait d'être vicieuse, d'être cruelle, sans rendre de comptes à personne, et ça lui suffisait... quand la situation n'éveillait en Daphnée qu'un constat d'immense souffrance.

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A

sa réflexion certes facile mais incendiaire, Odelle répondit par un simple rire. Et ce rire glaça le sang de Daphnée. Elle le pressentait d'ores et déjà... ce rire la hanterait pour longtemps. Encore que rien n'était moins sûr puisque, à l'heure actuelle, ele était bien loin de penser qu'elle vivrait assez pour se laisser hanter par quelque image ou son que ce soit. Elle était terrifiée, glacée. Le pire était bien sûr d'avoir perdu son frère mais la froide indifférence qu'affichait son interlocutrice face à une situation qui à ses yeux était plus que traumatisante ne devait évidemment qu'ajouter à sa douleur et à ses angoisses.

Qu'elle la haïsse ou non, la sorcière s'en fichait, bien évidemment, elle, elle avait juste envie de se remplir la panse une nouvelle fois et de jouer un peu avec sa nourriture en attendant. Son coeur battait la chamade, et elle n'avait jamais eu à ce point l'envie de faire du mal à quelqu'un. Seulement, elle avait entièrement conscience de son impuissance... Elle était là, elle subissait, et elle ne voyait vraiment pas comment les choses pourraient être pires qu'elle ne l'était déjà.

-Pourquoi pas ? répondit-elle alors quand la sorcière observa qu'elle ne devrait pas dire de telles choses, qu'elle la haïssait... Comme si ce n'était pas évident.. Comme si c'était susceptible de la toucher... Rien de tout cela, c'est certain. Vous pouvez rien me faire de pire de toute façon.

Elle le pensait vraiment. Bien sûr, elle ne savait pas au prix de combien de souffrances son frère avait péri des mains de cette femme odieuse, et elle se doutait que la douleur physique devait être insoutenable. Mais elle considérait malgré tout que subir la pire torture ne serait pas grand-chose après la pensée d'avoir perdu son frère à tout jamais. Malgré tout, elle gardait ce profond désir de vivre, mais survivre à Louis, elle le savait, serait mener un deuil éternel. Elle était prête à l'endosser, parce que son frère le méritait... Quoi qu'il en soit, elle ne voulait pas admettre sa peur de mourir ou d'avoir mal, même si elle devait se voir. Elle voulait être forte, ne serait-ce qu'un peu, en mémoire de Louis... Si seulement elle avait été choisie avant lui... Elle savait exactement ce qu'elle attendrait de lui en cet instant. Mais il fallait qu'elle soit aussi forte.

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rès tôt, on avait enseigné à Daphnée les rudiments du savoir-vivre. Certes, ses parents étaient issus d'un milieu plus que modeste et n'étaient pas entièrement au fait des manières et convenances de la haute, mais ils s'étaient appliqués à leur donner, à elle et Louis, une éducation qui leur permette de se tenir d'une manière relativement convenable en société. C'étaient des petits rien du tout, bien sûr. C'était savoir dire "merci" quand on vous donnait quelque chose ou vous rendait un service, c'était dire "bonjour" au chaland que l'on croisait sur sa route, c'était s'excuser de ses maladresses... mais tout ceci faisait que Daphnée s'était toujours tenue pour une enfant relativement douce et gentille. C'étaient quelques gestes, aussi, comme le fait de ne pas mettre les coudes sur la table, ne pas faire de bruit en mangeant, ne pas se moquer... Oui, Daphnée avait été une gentille jeune fille... et elle commençait à le regretter.

C'était bien, d'inculquer à ses enfants les préceptes les plus élémentaires de la politesse et du civisme, c'était mieux de ne pas les abandonner au premier revers de fortune que l'on rencontrait, non ? Les parents de Daphnée lui manquaient, bien sûr, mais elle les tenait à moitié responsables de ce qui était arrivé à son frère. L'autre moitié incombait à cette femme qui lui reprochait à présent de ne pas avoir été "gentille". Pour ce que la gentillesse lui avait apporté, Daphnée n'était plus certaine de vouloir l'être de nouveau. Si dans ce monde, les méchants gagnaient, peut-être qu'elle devrait apprendre à être méchante, elle aussi ? En l'état, cette pensée était peu crédible, mais en tout cas, Daphnée ne comptait pas donner à la sorcière la satisfaction de jouer les gentilles filles dociles avec elle. Qu'elle se montre douce et aimable maintenant, ne changerait rien au fait qu'elle finirait dans le ventre de cette horrible bonne femme, alors...

-Je m'en fiche. Vous pouvez être une sorcière, une ogresse ou une vieille folle, je m'en fiche.

Elle conclut ces mots en crachant au visage de la sorcière. Et ça, ce n'était pas une attitude de gentille fille. Elle allait provoquer la colère d'une sorcière... et alors ? A ce stade, honnêtement, elle s'en fichait complètement, elle avait envie d'être libre ou de mourir, elle ne voulait juste pas de cet ici et maintenant qui la détruisait.

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a respiration de la petite fille s'était arrêtée une fraction de seconde après avoir osé cracher au visage de son interlocutrice. Sur le moment, forcément, cet élan de courage lui avait paru plutôt satisfaisant... et même nécessaire, en réalité... Mais elle commençait déjà à le regretter... C'était une chose que de se donner un semblant de courage, c'en était une autre que de mettre tout en oeuvre pour passer plus rapidement à la casserole. Malheureusement, ça avait été plus fort qu'elle, elle n'avait tout simplement pas réussi à s'en empêcher. Pas qu'il soit dans sa nature profonde que de cracher au visage des gens pour un oui ou pour ou non, mais elle avait eu besoin d'atteindre son interlocutrice, et ce peu importe la manière. Il fallait qu'elle se défende, qu'elle manifeste sa rage, qu'elle parvienne à défendre la mémoire dévorée de son frère... quelque chose du genre. C'était difficile d'expliquer vraiment ses motivations... elle agissait surtout sous l'emprise de la panique et de l'adrénaline... Et la réaction de la sorcière lui fit froid dans le dos.

Odelle demeura parfaitement impassible, se contentant d'essuyer sa joue comme si de rien n'était. D'accord... Si ce geste l'avait irritée, elle le cachait bien, et à vrai dire, sa réaction était bien plus terrifiante que si elle avait choisi de lui sauter la gorge. Ce qu'il y avait d'autre de terrifiant, également, c'était le sourire qu'elle lui adressait à présent, et qui bien loin de l'adoucir lui faisait présager le pire. Son coeur battait à tout rompre tandis que cette horrible femme reprenait la parole.

Ce qu'elle cherchait ? Si elle le savait exactement. Venger l'honneur de son frère, certainement, et s'en sortir indemne par la même occasion. Autant dire que c'étaient là deux désirs qui promettaient d'être parfaitement incompatibles. En tout cas, ce qui était sûr, c'est qu'elle ne pouvait pas juste... rester là et attendre l'heure du trépas qui lui était promis, c'était impossible... Il y avait tant de pensées et d'émotions qui se bousculaient en elle... ça voulait exploser, et ça ne savait pas s'exprimer... Et elle savait à peine d'où lui venait le courage de prendre la parole quand elle adressa à son interlocutrice une nouvelle réplique qu'elle devait regretter presqu'aussitôt.

-Vous me mangerez pas tout de suite, de toute façon, je suis pas assez grasse et vous avez déjà trop mangé.

Non mais pourquoi elle disait des trucs pareils...

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a sorcière rit à son commentaire. En même temps, la jeune fille ne doutait pas qu'elle devait lui servir de sinistre divertissement depuis le début, en plus de garde-manger. Quoi qu'elle dise ou fasse, Daphnée ne saurait être crédible, en réalité. Parce qu'elle était là, coincée, incapable de faire quoi que ce soit... Tout ce qu'elle avait pour elle, c'étaient quelques mots, des mots qui ne signifiaient rien et qui ne la protégeraient pas du sort cruel qui la destinerait à rejoindre son frère où qu'il soit. Elle voulait partir avec un minimum de dignité. C'était la seule chose dont elle était capable au bout du compte... et c'était finalement beaucoup trop peu. Décidément trop peu. Daphnée était perdue, impuissante... le moindre mot qu'elle prononçait ne servait à rien. Maintenant qu'elle y pensait... elle n'aurait rien dû dire, dès le début. Les mots étaient trompeurs et vicieux. Ils vous cajolaient, ils vous rassuraient, ils parvenaient à vous apaiser pour mieux vous détruire, et quand vous cherchiez à les utiliser, elles n'étaient plus les mêmes armes qui avaient été si efficaces sur vous-même. Non, les mots ne servaient à rien. Elle avait eu tort.

Daphnée résista donc à la tentation de prononcer un mot de plus (et pourtant, elle était particulièrement grande). Elle observa un moment la sorcière, le visage inexpressif, puis s'adossa au mur le plus proche pour glisser au sol où elle s'assit, les bras croisés sur ses genoux. Elle ne voulait pas être mangée toute suite, et elle ne pensait pas que ce serait le cas par ailleurs, mais elle ne voulait pas non plus insister, on ne sait jamais. Elle se disait à présent que sa meilleure chance de s'en sortir, c'était d'attendre que la sorcière s'éloigne... Qu'elle quitte cette pièce, ou qu'elle s'endorme... en somme, qu'elle échappe à son regard, lui laissant le temps et l'occasion de s'enfuir, même si elle n'était pas sûre qu'il soit si simple de s'échapper d'un piège tissé par une sorcière.

Alors elle se tairait, en espérant qu'ainsi, la sorcière ne la jugerait plus suffisamment... divertissante. Elle avait eu tort d'entretenir sa curiosité ou... son attention, du moins. Maintenant, elle voulait se fondre dans ce mur et disparaître une bonne fois pour toutes.

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