La vaste nuit allume toutes les étoiles | Jocaste & Joseph

A

vec le plus de lenteur et de délicatesse possible, Jocaste s'extirpa du lit conjugal. Elle ne voulait surtout pas réveiller Geoffroy qui, à son côté, dormait du sommeil du juste. Il n'avait pas à subir ses insomnies. Son souffle calme et régulier lui laissa entendre qu'elle ne l'avait pas réveillé, à son grand soulagement. Elle l'observa un instant avec tendresse. Même si son époux était de retour à Féerie depuis plusieurs semaines déjà, c'était toujours pour elle comme un rêve éveillé que de le trouver près d'elle. Et elle avait toujours peur qu'il ne lui échappe, d'une façon ou d'une autre.

Et c'était cette peur qui la maintenait éveillée quand elle devrait pourtant succomber aux bras de Morphée. Elle avait toujours eu le sommeil léger, surtout après la mort présumée de son époux, ça s'était un peu arrangé à son retour, mais pas complètement. Depuis qu'ils étaient partis se coucher, elle n'avait fait que cogiter, cogiter. Sous ses paupières clauses, un million d'images déplaisantes. Elle avait peur de la suite. La tension ambiante laissait présager le pire.

Un guerre, peut-être, une guerre sans doute, un drame qu'elle n'était pas prête à affronter. Geoffroy ne demandait qu'à réintégrer la garde royale, mais s'il le faisait, elle avait peur qu'il soit condamné, et pour de bon, cette fois. Elle ne voulait pas donner corps à ses angoisses en les partageant, alors elle les gardait bien souvent pour elle, mais ce n'était pas toujours simple à vivre... et en l'occurrence... ce ne l'était pas du tout. Elle se sentait perdue, et malgré l'épuisement, elle s'était résignée, un bol d'air frais lui ferait le plus grand bien.

Alors elle se revêtit bien vite de la première tenue qui lui tomba sous la main et referma la chambre de ses appartements avec discrétion. Elle se rendit dans la cour, et découvrit qu'un autre était encore debout. Elle sourit en reconnaissant Joseph, sa présence lui ferait évidemment du bien, comme ça avait toujours été le cas.

-Je suis une grande fille, répondit Jocaste d'un ton amusé, je n'ai pas besoin de couvre-feu. Elle se positionna à côté de lui et leva les yeux vers la voûte étoilée. Le ciel était magnifique. Je n'arrivais pas à trouver le sommeil. Je ne pensais pas rencontrer qui que ce soit, mais je suis heureuse que tu sois là.

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L

a question de Joseph désarçonna quelque peu Jocaste. Ce "pourquoi" concernait-il les raisons qui l'empêchaient de succomber aux bras de Morphée ? Ou bien les raisons qui la pousseraient à être heureuse de l'avoir à ses côtés ? Elle n'en savait trop rien, mais elle penchait pour la seconde option, malheureusement... Parce que dernièrement, elle le sentait, Joseph ne se comportait plus de la même manière, avec elle. Il avait toujours une bonne excuse, bien sûr, et elle comprenait que la fatigue et la tension ambiante jouent sur son caractère, tout comme elle admettait qu'elle-même était moins présente pour lui qu'avant depuis le retour de Geoffroy, mais malgré tout, ça lui faisait du mal.

Leurs conversations d'avant, chaleureuses, profondes, intéressantes, intimes, lui manquaient. Pendant des années, ils avaient partagé leurs réflexions et leurs pensées sans retenue (à une exception près, mais d'importance), et à présent... elle avait le sentiment que leur amitié se délitait doucement, et ça lui serrait le coeur. Geoffroy ne remplaçait pas Joseph, à ses yeux, ils avaient tous deux une place précise et unique dans son coeur, et ces places n'étaient pas interchangeables. Elle avait peur de perdre l'amitié de Joseph, et ne savait malheureusement plus quoi faire pour la reconquérir. Peut-être aussi se posait-elle trop de questions... Mais avec tous ces bouleversements, il lui était impossible d'observer la situation avec la distance nécessaire, ou avec ce qu'il lui faudrait d'objectivité pour réussir à véritablement agir d'une manière qui saurait convenir à tout le monde.

-Quand je ferme les yeux... je n'arrive qu'à réfléchir. Et j'angoisse presqu'aussitôt, répondit-elle pour commencer, préférant faire mine dans un premier temps d'attribuer ce "pourquoi ?" à son incapacité totale à trouver le sommeil dont elle aurait tant besoin. Et je suis heureuse que tu sois là parce que j'aime chacune de nos conversations. Et qu'elles me manquent, ces derniers temps, reconnut-elle avec la plus grande sincérité.

Elle savait qu'il pourrait bien lui rétorquer qu'elle était à blâmer pour cela, parce qu'elle lui donnait moins de son temps qu'avant, mais elle essayait réellement de se partager. Forcément, le retour de Geoffroy représentait un grand changement dans sa vie, et elle ne pouvait prétendre que ce ne soit pas le cas, mais ce n'est pas pour autant qu'elle voulait négliger tout le reste, bien loin de là.

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D

es décoctions de plante, oui, c'était une idée... mais ce n'était pas le genre de "stratagèmes" auxquels elle voulait consentir. Certes, ce n'était pas grand chose en soi, mais en succombant à quelque artifice supposé calmer ses insomnies, elle aurait le sentiment d'anesthésier son sentiment de culpabilité, et elle se sentait la nécessité de le ressentir, à vrai dire. Parce qu'elle ne voulait pas s'oublier dans ce qui la rendait heureuse, au point d'en oublier tout ce qui devait l'inquiéter. Alors elle passerait outre les plantes et autres tisanes. Dans tous les cas, et pour cette nuit du moins, elle n'était pas malheureuse de n'avoir su succomber au sommeil puisque cela lui donnait l'occasion de passer plus de temps avec son ami. Depuis le retour de Geoffroy, elle avait le net sentiment qu'ils s'éloignaient, tous deux, et c'était un constat auquel elle ne pouvait consentir sans aussitôt le déplorer.

Pour ce qui était d'affirmer qu'elle n'avait pas vraiment de raisons de s'angoisser... elle n'était pas certaine qu'il y croie lui-même. Car tout le monde, dernièrement, peut-être pas dans tout Féerie mais tout du moins dans ses hautes sphères, était sujet à une angoisse qui se disait à peine mais en devenait presque palpable. Elle avait eu le sentiment que Joseph lui-même lui en voulait de ne pas avoir conscience des réalités actuelles (encore qu'elle se faisait peut-être des idées, travaillée qu'elle était par sa propre culpabilité), alors il savait forcément, à plus forte raison qu'il faisait partie de la garde royale, et était donc le mieux placé pour savoir plus précisément ce qui se tramait dans l'ombre, certaines choses qu'elle ignorait pour sa part mais ressentait malgré tout, presque malgré elle.

-Oui, nous en avons une maintenant, mais reconnais que c'est devenu plus rare... Et je sais bien que j'en suis responsable, que je te consacre moins de temps qu'avant. Elle marqua une pause. Pour être honnête, c'est la culpabilité qui me gâche le sommeil. Je suis heureuse sans vouloir l'être, j'ai peur pour ceux que j'aime, je sens une ombre dans tous les regards, et je sais que ce qui fait mon bonheur pourrait bien faire notre malheur à tous.

Elle marqua une pause, elle avait dit ça presque d'un trait, sans reprendre sa respiration. Joseph était l'homme auquel elle s'était toujours confié durant toutes ces années... Alors ça lui venait naturellement.

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S'

armer de patience, faire confiance à leur roi. Bien sûr, elle savait que c'était la chose à faire, et d'ailleurs, c'était ce qu'elle répétait aux autres de faire, non sans une certaine hypocrisie, puisqu'elle-même était bien incapable d'aborder la situation complètement sereinement. Elle voudrait tant être capable d'apaiser son esprit... La confiance en son roi, elle ne lui manquait pas. Elle ne remettait en question aucun des décisions d'Edgar, elle était absolument convaincue de leur bien-fondé, certaine qu'aucun autre monarque ne serait de taille à affronter la menace invisible qui s'appesantissait autour d'eux. Non, cela, définitivement, elle ne le remettait pas en question. Mais l'attente n'en était pas moins éprouvante.

Ce pouvait sembler contradictoire quand on connaissait l'histoire de Jocaste. S'il y avait bien quelqu'un qui semblait capable de prendre son mal en patience envers et contre tout, c'était bien elle, qui avait attendu le retour de son mari disparu pendant près de deux décennies... Encore que ce n'était pas vraiment ce qui s'était passé. Elle n'avait pas attendu Geoffroy, puisqu'elle s'était imaginé qu'il n'y avait rien, personne à attendre. Mais quoi qu'il en soit, ces belles résolutions avaient beau être justes, et elle avait beau se les marterler à elle-même, elle n'en était pas moins inquiète. Elle redoutait la guerre qui se préparait peut-être, elle avait peur de revivre ce qui s'était passé à l'époque, elle voulait croire qu'ils étaient de taille, mais même ainsi, cela ne suiffisait pas toujours.

La peur était, quoi qu'il en soit, un sentiment tout à fait irrationnel. Jocaste ne le contrôlait pas le moins du monde, elle le subissait, c'est tout, et ce n'était définitivement pas agréable, force lui était de le reconnaître. Et elle espérait que son ami réussissait à comprendre ce sentiment. Il semblait si sûr, si imperturpable... Elle se sentait certes un peu plus rassurée à son côté, mais elle se sentait trop faible également. Elle avait la détestable impression de ne savoir tenir son rôle auprès de personne, ni auprès de son époux, ni auprès de son roi, ni auprès de son meilleur ami.

-Tu n'as pas peur, toi ? demanda-t-elle doucement. Cette situation ne t'inquiète pas ? Même un peu ?

Si guerre il y avait, Joseph, en tant que garde royal, serait sans doute en première ligne. Cela devait bien le travailler un peu.

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A

u fond, cela rassurait Jocaste que d'entendre Joseph lui confier ses inquiétudes. Pas qu'elle veuille qu'il éprouve des sentiments à ce point négatifs, mais elle se sentait ainsi un peu moins seule, et tout comme elle ne voulait pas hésiter à confier ses angoisses à Joseph, elle tenait à ce que ce dernier lui aussi fasse preuve de transparence concernant celles qu'il pourrait lui-même éventuellement ressentir. C'était ce qu'il faisait.

Il avait peur pour l'avenir du royaume, elle aussi. Elle avait peur pour ses souverains, surtout. Edgar et Aurore Basiel étaient ce qui étaient arrivés de mieux à Féerie, de longue date, et la dernière chose que Jocaste puisse vouloir, c'est que l'équilibre et l'harmonie que le roi avait réussi à instaurer s'effondrent sous le prétexte d'une guerre que d'autres auraient provoqué. Il avait peur d'une nouvelle guerre, elle aussi. La nouvelle génération ne pouvait pas comprendre, bien évidemment, mais ceux qui comme elle et Joseph avaient connu la première guerre, même si dans le cas de la servante de la reine, elle ne l'avait observée que de loin, ne pouvaient que s'angoisser des répercussions si l'histoire venait à se répéter.

La guerre l'avait privée de son mari pendant près de deux décennies. Comment ne pas craindre que la chose se reproduise ? Et elle se reproduirait forcément, c'était obligé. Si une nouvelle guerre éclatait, Jocaste était presque certaine que Geoffroy n'en reviendrait pas vivant, et cette pensée l'horrifiait plus qu'il n'est possible de l'exprimer. Tout comme l'horrifiait la pensée de perdre un jour Joseph, lui qui était devenu, au fil des années, son meilleur ami en plus d'être son confident.

Malgré tout, Joseph était sûr de lui, radical. C'était dans son caractère, dans ses habitudes. S'il devait se battre, alors il se battrait. S'il devait mourir, alors il mourrait. Cette dernière remarque fit naître un frisson dans l'échine de Jocaste. Elle n'avait pas envie d'envisager cette possibilité, malheureusement, elle était tout sauf fataliste. Si Joseph était envoyé au combat, peu importe que ce soit de ce côté ou de l'autre de l'océan, son retour indemne ne pourrait être qu'incertain, même s'il avait déjà prouvé par le passé être un vaillant guerrier, cela ne suffisait pas toujours.

-Mais tu me laisserais moi, observa doucement Joseph quand ce dernier observa que sa chance dans son malheur serait de ne laisser ni veuve ni orphelin. Certes c'était vrai, mais Jocaste n'avait pas envie d'envisager ce que cela serait de perdre Joseph pour de bon. Je ne veux pas te perdre.

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ocaste savait qu'elle n'avait pas le pouvoir de convaincre Joseph de se mettre à l'abri, de ne pas prendre les armes et de ne pas se battre pour sa patrie. D'ailleurs, elle ne se voyait pas le pousser à une chose pareille. Elle savait le déshonneur qui en résulterait pour Joseph. Si tous les hommes de Féerie se devraient d'être mobilisés si une nouvelle guerre devrait être éclaté, et Joseph était suffisamment obstiné, loyal et courageux pour savoir où était sa place. Et sa place n'était bien sûr pas avec elle mais sur le front. Elle pourrait en dire autant de Geoffroy, d'ailleurs, même si cette pensée lui faisait du mal. C'était leurs terres qu'il fallait protéger, les générations futures qu'il fallait préserver. Ses intérêts personnels, en comparaison, n'avaient bien évidemment qu'une moindre importance.

Elle ne pouvait pas lui reprocher quoi que ce soit, mais elle ne voulait pas se retenir pour autant de dire ce qu'elle pensait. A plus forte raison qu'elle savait mieux que personne que certains propos se devaient d'être tenus quand l'occasion leur était donnée, justement, de l'être. Et ces occasions étaient parfois réduites à néant plus vite et plus brutalement qu'on ne le soupçonnait.

Elle ne savait pas quelle réponse elle attendait de la part de Joseph. Quelque chose de rassurant, peut-être. Mais en même temps, elle lui en aurait très certainement voulu s'il s'était contenté de lui adresser des paroles creuses, qu'il n'aurait pas pensé, dans le seul but de la réconforter. D'autant que ça ne l'aurait pas réconfortée pour autant, en réalité. Elle lui en aurait même voulu, sans doute, d'essayer de la brosser dans le sens du poil alors que les faits étaient ce qu'il y a de plus évidents, et ne plaidaient pas franchement en la faveur de l'ordre établi, elle le savait bien.

-Pour le moment..., répéta-t-elle simplement, sans y mettre réellement d'intention, juste un léger filet d'angoisse qu'elle allait devoir apprendre à résorber.

Les personnes auxquelles elle tenait le plus avaient trop souvent tendance à disparaître. Certes, elles lui revenaient parfois, mais y compter était, de toute évidence, était quelque chose de particulièrement utopique.

-Tu dois en avoir assez, de mes sensibleries, une fois de plus. Mais je n'arrive pas à être détachée comme tu l'es constamment. Et... parfois, je voudrais que tu le sois moins.

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u fond, Joseph n'avait pas réellement à s'excuser de son apparent détachement. Il était sans doute nécessaire d'en être capable quand on voulait être n bon soldat. Mais ce n'était pas un bon soldat que voulait Jocaste, c'était le meilleur ami, le confident, cet homme qui l'avait aidé à de si nombreuses occasions. Pas qu'il ait été plus démonstratif, alors, mais quelque chose avait changé malgré tout. Elle ne mettait pas entièrement le doigt dessus, mais elle le savait, et elle comprenait, bien sûr, que c'était lié au retour de Geoffroy.

S'ils passaient moins de temps ensemble, c'était aussi parce que Jocaste passait plus de temps avec son époux. L'équilibre était difficile à trouver, et au bout du compte, Jocaste avait le sentiment que ni Joseph, ni elle, n'y trouvaient leur compte, ce qui l'attristait franchement... Elle avait trop besoin de lui, en tout cas, pour laisser cette situation en l'état. Que Joseph s'excuse, par conséquent, c'était un premier pas plutôt rassurant, engageant, même s'il n'avait pas vraiment de raisons de le faire autrement que pour la rassurer ne serait-ce qu'un peu.

-Je crois que oui... c'est sans doute égoïste, c'est tant mieux si tout ceci ne te fait pas peur. Mais je veux que tu t'inquiètes pour ta vie, ou encore de ne plus me revoir, car je me dis que si rien de tout ceci ne t'alarme, alors je vais véritablement te perdre.

Pourtant, être capable d'observer la situation en face sans trembler ne signifiait pas forcément que Joseph était indifférent ou encore fataliste, Mais Jocaste n'arguerait pas que ça façon de considérer les choses était véritablement rationnelle... Elle se contentait de dire posément à Joseph ce qu'elle pensait parce qu'elle ne voulait rien lui cacher. Et si c'était là une réflexion égoïste, ce n'en était pas moins sa réaction.

Oui, elle voulait qu'il se montre inquiet, parce qu'elle voulait savoir qu'il se sentait concerné, et qu'il avait conscience de tout ce qu'il avait à perdre. Mais là encore, elle se savait sans doute bien trop sensible. Insupportablement sensible aux yeux de Joseph, sans doute, qui avait mieux à faire que de gérer encore et encore ses réflexions... Mais déjà qu'ils se parlaient trop peu, quand ils le faisaient, il fallait que ce soit franchement.

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ême s'il était sans doute préférable pour Joseph qu'il affronte une nouvelle guerre sans la moindre peur, afin de ne pas se laisser dominer ou paralyser par elle, Jocaste aimait tout de même mieux l'entendre lui assurer que non, il n'avait pas envie de mourir, et que oui, il appréhendait la perspective d'une nouvelle guerre. Les gardes royaux étaient entraînés à regarder la Mort dans le blanc des yeux, c'était un fait, et c'était ce qu'il fallait, mais pour échapper au destin le plus fatal, il fallait tout de même le redouter, ne serait-ce qu'un peu.

C'était en tout cas ce que Jocaste pensait, et si à d'autres, Joseph pourrait bien affirmer autant qu'il le voulait que tout ceci ne lui ferait ni chaud ni froid, elle ne voulait surtout pas qu'il se comporte de la même manière avec elle. Elle voulait croire, peut-être à tort mais sincèrement, qu'elle n'était pas n'importe qui pour lui, et qu'elle méritait par conséquent son honnêteté. Et dans les circonstances récentes, avec cette ambiance si particulière qui régnait au château en plus de tout ce que sous-tendait forcément le retour de Geoffroy et donc la destruction de la barrière, elle estimait nécessaire qu'ils se disent ce genre de choses tant qu'ils en avaient l'occasion.

Car s'ils n'évoquaient la guerre que comme une sorte d'éventualité lointaine, ils ne pouvaient pas entièrement négliger ou faire abstraction du fait que la guerre, à ce stade, semblait presque inévitable. C'étaient des mots qui étaient prononcés de plus en plus, et dans tous les milieux, et surtout, c'étaient des mots à côté desquels ils ne pouvaient tout simplement pas passer. Cela prendrait peut-être des mois, voire même des années... ou bien seulement quelques semaines, mais c'en était fini de cette période de paix et d'harmonie qu'avait connue Féerie depuis l'accession au trône d'Edgar.

S'ils voulaient conserver cette paix et cette harmonie, il allait à présent falloir se battre, même si cela signifiait qu'il lui faudrait voir s'éloigner d'elle les deux hommes qui comptaient le plus à ses yeux, avec cette crainte terrible et tenace de ne plus jamais le revoir, que son expérience personnelle n'avait pas complètement confirmé mais tout de même largement justifié.

-Eh bien déconditionne-toi. Juste un tout petit peu. Pour moi. Elle esquissa un fin sourire. Je sais que je suis très alarmiste. Mais j'ai l'impression de voir un ancien scénario se répéter, et j'ai peur, j'ai vraiment peur...

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ocaste n'envisagea pas d'arrêter le geste de Joseph quand il serra ses mains dans les siennes, elle n'y voyait aucune forme de malice, ou se satisfaisait très bien de le prétendre en tout cas. Ce geste l'apaisait, la rassurait. Elle avait besoin de savoir que son ami comprenait ses craintes et sa douleur, et surtout qu'il était capable de les entendre et de l'écouter, elle. Bien sûr, en ayant retrouvé son mari, elle avait également retrouvé l'homme à qui elle avait toujours tout dit, celui à qui elle n'avait jamais rien caché, mais cela ne voulait pas dire pour autant qu'elle voulait renoncer à celui qui avait été son confident toutes ces années, il n'en était pas question. Encore moins maintenant. D'autant que ses craintes les concernait autant lui que Geoffroy.

-Non, ce n'est pas certain, admit Jocaste quand Joseph tenta de temporiser en lui faisant remarque que son époux ne ferait pas forcément partie des troupes si une nouvelle guerre devait advenir, ce qui n'était pas sûr non plus.

Rien n'était certain, à l'heure actuelle, et Jocaste détestait cet état d'entre-deux, qui la rendait particulièrement nerveuse. Elle préférait que les choses soient établies, que les choses soient dites. Elles ne seraient pas forcément plus agréables à entendre, mais au moins, Jocaste cesserait de se poser des questions, elle aurait ses réponses, qu'elles lui plaisent ou pas. Bon, pour elle, il ne faisait aucun doute que la guerre était à leur porte, et que cette certitude allait au-delà de la simple supputation. Même si Joseph cherchait à la ménager, il devait le savoir tout autant qu'elle, et ne pas avoir réellement de doutes à ce sujet, quant à l'implication de Geoffroy.

-Mais je sais qu'il est plus probable qu'une guerre éclate que l'inverse, il n'est pas nécessaire d'être grand politicien pour le déduire. Et je sais que Geoffroy voudra en être, parce qu'il veut retrouver ses anciennes fonctions et parce qu'il se sent redevable envers le roi. Peut-être qu'Edgar ne le voudra pas dans ses troupes, mais j'en doute : même s'il devait conserver des soupçons à son encontre, il le voudrait dans ce combat, soit pour le renseigner sur l'ennemi, soit pour s'en servir comme d'un moyen de pressions. Et quand bien même Geoffroy ne repartirait pas pour l'autre côté de l'océan, je sais que toi oui, et que je te perdrai peut-être...

Bref, ses inquiétudes étaient loin d'être levées encore, loin s'en faut.

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-A

utrefois, je ne me suis pas suffisamment inquiété de ce qui n'était pas encore certain, je ne commettrais pas cette erreur une seconde fois. Toi-même, tu es mieux placé que moi pour savoir que la guerre se joue bien avant que les premiers coups de feu retentissent. Si je me contente de porter des oeillères, je finirais certainement par le regretter, je préfère mon inquiétude à la naïveté, même si elle me rend sans doute de mauvaise compagnie, répondit Jocaste sans savoir s'en empêcher.

Elle savait que Joseph voulait, avant tout et surtout, la protéger et la rassurer, et elle appréciait très sincèrement sa considération, mais elle n'était pas capable de répondre favorablement à ses conseils pour autant. Cette situation la rongeait de l'intérieur, oui, mais elle préférait savoir tout prendre en perspective, quitte à ce que cela lui fasse du mal, plutôt que de décider de jouer les ignorantes. Ce n'était pas forcément une bonne chose non plus, bien sûr, de céder à la crainte, mais elle n'allait en aucun cas se contenter... d'attendre de voir. Ce serait mal la connaître que de l'imaginer, et Joseph la connaissait bien assez, par ailleurs, pour le savoir.

-L'hédonisme ne paie jamais. Je ne veux pas d'instants fugaces de bonheur qu'on m'arrachera aussitôt mon attention détournée, c'est hors de question. Elle lui adressa un fin sourire, mais qui en disait long sur sa détermination et le fond de sa pensée. Tu ne sauras pas me convaincre de porter des oeillères ou de simplement vivre le cours de ma vie comme si de rien n'était, et au fond je suis convaincue que tu le sais déjà, puisque tu me connais bien assez pour le savoir, n'est-ce pas ? Je n'ai pas besoin ni envie d'être protégée ou placée dans un cocon d'ignorance. Je préfère les faits bruts, même quand ils font mal.

Ce n'étaient pas toujours là le genre de pensées qu'elle exprimait publiquement, car elle avait conscience qu'ils pouvaient avoir mauvaise presse et que, en tant que camériste de la reine, ce n'était pas exactement ce que l'on attendait d'elle, mais cela ne l'empêchait pas de le penser, et elle voulait se montrer d'une totale transparence à son adresse.

-Ceci dit j'aime t'entendre dire que tu seras toujours avec moi. Fais-en une promesse et assure-toi de la tenir, d'accord ?

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J

ocaste hocha la tête, elle n'était pas certaine d'avoir véritablement convaincu son interlocuteur. Le fait qu'il ne réponde que par quelques mots à un discours qu'elle a pris le temps de développer lui donnerait plutôt le sentiment qu'il l'avait entendue, mais qu'il n'avait pas l'intention de la comprendre.

Dans tous les cas, elle était allée au bout de ses arguments, elle ne se voyait pas ajouter quoi que ce soit d'autre de son côté. Pour ce qui était d'elle, elle estimait que l'essentiel, c'était tout de même que son interlocuteur reste à ses côtés dans tous les cas et ne l'abandonne pas. Être délaissé par les personnes qui comptaient pour elle était une émotion déjà ressentie, et qu'elle n'avait plus la moindre envie d'endurer.

Donc il n'insisterait plus, soit... Elle n'était pas certaine d'être satisfaite de cette réponse. Elle aurait préféré qu'il soit plus convaincu que taiseux de son côté. Elle aurait préféré, en effet, qu'il soit plus certain et plus sûr d'elle. Car c'était aussi de cela qu'il était question : de la confiance qu'il daignait placer en elle. Mais tout comme Joseph décidait de ne plus insister, Joseph décidait de faire le même choix pour sa part.

-Ce n'est pas une promesse, ça, observa Jocaste avec un sourire en coin alors que Joseph lui promettait qu'il allait faire tout son possible.

Jocaste savait que c'était déjà beaucoup, et qu'accepter les concessions de son interlocuteur, c'était déjà une bonne chose, mais Jocaste avait tendance à tout vouloir, surtout de la part d'une amie qui comptait à ce point pour elle. Cependant, elle comprenait très bien, effectivement. Pour sa part, elle acceptait de s'en contenter, et elle comprenait bien que la conversation n'irait pas plus loin, ou en tout cas qu'elle n'irait pas plus loin pour ce soir.

-Je ne vais pas accaparer ton temps plus longtemps, je crois qu'il est temps pour moi d'aller me coucher. Elle tourna le regard vers Joseph et lui adresser un fin sourire. Je te remercie de m'avoir prêté une oreille attentive, c'est toujours un plaisir de pouvoir te parler, reprit-elle en lui adressant un sourire.

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