Comment vas-tu ma fille ? (Anna)

De tous les jours de la semaine, ses préférés étaient ceux où sa mère venait la voir. Il semblait qu'elle était la seule à encore l'aimer et passer du temps avec elle faisait énormément de bien à Anna dont la solitude commençait à devenir pesante. Oh bien entendu elle avait apporté ce malheur sur elle sans l'aide de personne, mais qui au monde n'avait jamais fait d'erreur ? La princesse était jeune et bien naïve lorsqu'elle avait tout sacrifié pour son rêve. Et depuis, tout avait pris une ampleur épouvantable, comme une boule de neige grossissant encore et encore en roulant dans une pente. Impossible à arrêter.

Comme sa mère venait aujourd'hui, Anna avait soignée sa toilette et sa tenue. Bon de toute façon elle faisait toujours attention à son apparence puisqu'elle ne pouvait pas faire honte à la famille royale, mais ces journées spéciales méritaient un soin spécial. Elle voulait être belle pour celle qui l'avait toujours soutenue et continuait à le faire malgré tout ce qui était arrivé. Quand elle entendit la porte de ses appartements s'ouvrir délicatement, la princesse se leva de devant sa coiffeuse pour observer sa mère. Elle était belle, et il y avait cette lueur dans son regard qui savait si bien l'apaiser. Quand ses bras doux et rassurants se refermèrent autour d'elle, Anna ne résista pas à clore ses yeux quelques secondes, retombant en enfance. A la question de sa mère, elle n'était pas certaine d'avoir une réponse. Comment allait-elle ? Le savait-elle seulement elle-même ? Pas sûr. Se mordillant la lèvre pour contenir ses émotions, elle força un sourire avant de répondre.

« Ca va maman. Tu m'as manqué. »

Et pourtant, Abygaëlle venait souvent au château pour la voir et réciproquement. Très souvent. Peut-être même trop selon certaines personnes dont Anna n'estimait pas l'opinion. Non, ces derniers temps, elle n'allait pas bien. Ely lui avait promis de la tuer la prochaine fois. Gabriel l'aimait encore mois qu'avant, le roi devenait de plus en plis directif... Elle n'avait plus vraiment d'amis. Il lui restait encore la fille du seigneur de Danne : Adelaïde. Mais cette dernière, bien que sincèrement attachée à elle, croyait en fait partager une relation avec Eleonore. Cette amitié, bien qu'agréable, était basée sur un mensonge et n'avait donc rien d'assez stable pour qu'Anna ose s'appuyer dessus.

« Comment vas-tu, toi ? Et papa ? »

Tout en posant cette question, elle invita d'un geste de la main sa mère à s'asseoir avec elle sur le bord du lit. C'était un sujet délicat, de parler de son père. Elle le savait moins content de cette situation.

Anna fit un petit sourire rassuré quand sa mère l'informa qu'elle et son père allaient très bien. Dans le fond, elle n'y croyait qu'à moitié étant donné les circonstances, mais elle appréciait que sa mère fasse le même effort qu'elle pour la préserver. Finalement, chacune avait à cœur de ne pas inquiéter l'autre inutilement. La princesse se doutait que son père n'était pas plus emballé maintenant par les machinations du roi qu'à l'époque, surtout après qu'Ely se soit fait de nouveaux " camarades ". Pensive, elle prit les mains de sa mère dans les siennes, assise face à elle. A vrai dire, elle ne savait pas quoi lui répondre. Son occupation principale, confiée par le roi, elle ne pouvait pas en parler à qui que ce soit. Et en dehors de ça...elle ne faisait pas tant de choses que ça.

« Je crains fort ne pas avoir d'informations croustillantes à te donner...la vie de princesse n'est pas aussi trépidante qu'on le croit. C'est beaucoup de protocole. On me demande de me présenter, d'être jolie et de sourire. Rien de bien sorcier, en soi. » Répondit-elle avec un petit sourire.

Naturellement, elle se doutait de la nouvelle qu'espérait sa mère. Tout le monde l'espérait. Et personne ne pouvait comprendre que cette attente était inutile. Non, elle ne portait pas d'héritier. Elle n'en porterait probablement jamais puisque Gabriel et elle ne se touchaient pas. Donc non, rien de nouveau de ce côté là, même si elle ne pouvait nier l'avoir désiré. Ce bonheur ne lui était pas permis, comme beaucoup d'autres liés à son époux.

« J'ai croisé le baron d'Alberry cette semaine, il m'a demandé de te saluer. Je crois qu'il t'apprécie tu sais. » Dit-elle avec un sourire amusé, histoire de changer de sujet.

Malheureusement, elle n'allait pas pouvoir tourner autour du pot pendant des mois. Bientôt, les gens allaient commencer à penser que la princesse n'était pas capable de porter un enfant. Et si on lui reprochait l'absence d'héritier à la famille royale ? En songeant à cela, Anna s'était mise à se mordiller la lèvre de façon préoccupée, sans vraiment s'en rendre compte. Mine de rien, cette impasse commençait à l'inquiéter. Si déjà l'absence de proximité avec Gabriel la pesait personnellement, l'idée qu'on l'accuse d'être une femme incapable de porter un enfant lui causait davantage de soucis.

Parfois, il était bon de se prendre un petit coup de pied aux fesses psychologique pour aller de l'avant, et clairement c'est ainsi qu'Anna pris l'intervention de sa mère. Et elle avait raison. Peut-être que la princesse passait trop de temps à se plaindre, à hésiter, à regretter le passé. Pourtant elle devrait être heureuse de ce qu'elle avait réussi à obtenir malgré son rang de base. Mais même en étant en haut de l'échelle, Anna devait bien avouer que rien ne ressemblait à ce dont elle avait rêvé. Le pouvoir, la richesse, la popularité, avaient un goût amer et un revers de médaille plutôt violent. Tout avait un prix visiblement et elle l'apprenait de façon compliquée. Un soupire lui échappa et elle fit un petit sourire à cette mère qui l'avait soutenue depuis le départ et qu'elle ne souhaitait pas décevoir.

« Je sais bien maman. Je n'ai pas vraiment de raison de me plaindre et je fais de gros efforts, je t'assure. C'est juste que... Gabriel est toujours aussi amoureux d'Ely. Il ne me touche jamais. Je me suis habituée à ne pas recevoir son amour, mais... j'ai peur que bientôt les gens se mettent à penser que je ne fais pas bien mon devoir...de femme. Tu comprends ? » Confessa-t-elle en mordillant sa lèvre inférieure.

S'il y avait bien une personne qui pourrait comprendre, c'était sa mère. Et sans la juger. Elle aussi était une femme après tout, et elle avait aimé tendrement ses enfants. Sans doute pouvait-elle compatir à l'inquiétude de sa fille qui déplorait de ne pas connaître un jour cette joie. Pourtant, jusqu'ici Anna n'avait jamais vraiment été intéressée par les bébés et la vie de famille, trop égoïste et préoccupée par son propre bonheur pour vouloir le partager avec un autre être-vivant qui dépendrait d'elle. Mais aujourd'hui, elle se rendait compte que l'idée ne lui déplaisait pas. Peut-être que ce bébé, lui, pourrait l'aimer inconditionnellement. Est-ce-que les enfants aimaient tous automatiquement leur mère ? Bonne question. Anna aimait la sienne en tout cas, et sans réelles conditions. Maintenant la vraie question demeurait : comment avoir ce fameux bébé, et être une bonne mère.

« Une princesse qui ne produit pas d'héritier, c'est une mauvaise princesse. Et je doute que le roi et la reine aient l'intention de blâmer leur fils pour cette absence de descendance. » Murmura-t-elle, soucieuse.

Peut-être que sa mère allait penser à une solution qu'elle n'avait pas envisagée elle-même, qui sait ? En parler, en tout cas, lui faisait du bien.

Le contact de la main de sa mère sur la sienne apaisa aussitôt Anna. Bien sûr ses angoisses étaient toujours présentes au fond de son esprit, mais elle sentait un réel soutien dans ce simple geste doux et maternel. Elle écouta donc ses paroles calmement et attentivement et comme d'habitude, sa mère savait comment lui parler. À l'entendre, il serait chose aisée pour la princesse de provoquer le désir de Gabriel, et pourtant elle avait beau essayer, jusqu'ici il n'avait jamais daigné répondre à ses avances. Peut-être s'y prenait-elle mal ? Pourtant elle était persuadée que non. Tout ceci serait plus facile si elle avait un mari capable de faire le premier pas... Enfin, il ne servait à rien de s'apitoyer sur son sort. Après tout, sa mère avait raison, tout amoureux qu'il était d'Eléonore, Gabriel devait très certainement la trouver désirable malgré lui, puisque son corps était bien semblable à celui de son grand amour. Elle était indéniablement son genre de femme. Certes, elle ne pouvait pas obtenir son cœur et c'était bien dommage... mais avait-elle besoin de son cœur pour avoir un héritier ? Pas spécialement, non. Anna prit une grande inspiration et hocha la tête. L'information était arrivée à son cerveau. Maintenant, il allait falloir agir. Agir comment, ça, elle l'ignorait encore, mais sa mère venait de lui redonner des forces. Elle ne devait pas laisser tomber, pas si proche du but. Ce bébé serait le meilleur moyen de s'ancrer dans la famille royale avec plus d'assurance.

« Tu as raison. Après tout, si il trouve Ely attirante, je suis forcément son genre aussi. Jusque là, il a fait son possible pour résister à toutes mes avances, mais j'imagine que je peux encore essayer. »

Et puis sa mère venait de laisser entrevoir un espoir. Elle allait chercher une solution de son côté. Elle allait la soutenir dans son projet et c'était rafraichissant d'avoir quelqu'un dans son camp. Bien sûr, elle n'ignorait pas que sa mère faisait avant tout cela par envie d'avoir des petits-enfants de sang royal, mais le geste demeurait le même. En revanche, Anna avait beau y réfléchir, elle ne voyait pas trop quel genre de solution elle pourrait bien trouver.

« À quel genre de solution penses-tu ? » Demanda-t-elle.

Parce qu'après-tout, personne ne pouvait régler ce problème à part elle-même et elle avait essayé pas mal de choses jusqu'ici. Bien sûr elle n'avait encore rien essayé de réellement entreprenant car elle ne voulait pas faire fuir Gabriel pour de bon, mais en dehors de ça... Il ne restait pas grand chose à tenter. Sa mère aurait-elle une carte bien cachée dans sa manche à laquelle la princesse n'avait pas pensé ? Voilà qui était intéressant.

Pour le coup, la mère d'Anna avait réussi à piquer à vif sa curiosité. Sa réponse demeura évasive, elle ne lui expliqua rien avec précision. Pourtant elle avait l'air de savoir ce qu'elle faisait alors la princesse accepta de lui faire confiance. S'il y avait bien une personne au monde qui méritait sa confiance, c'était sa mère. Elle l'avait toujours soutenue, jamais jugée. L'ambition coulait dans leurs veines et elle se comprenaient dans les grandes lignes. Elle fit un petit sourire de connivence et haussa les épaules, l'air de dire qu'elle n'allait pas insister.

« Voilà qui est fort mystérieux... mais très bien. Je te fais confiance maman. Si tu as une idée en tête pour m'aider, alors j'aimerais beaucoup que tu l'exploite. » Répondit-elle aimablement.

Mine de rien, elle posa une main sur son ventre, désespérément plat. Elle aurait aimé être enceinte depuis longtemps, si seulement son époux n'était pas aussi volontairement distant. Même si elle n'était pas sa sœur, il pourrait faire un effort pour s'occuper de sa femme. Il n'était pas nécessaire d'être amoureux pour faire ce genre de chose, si ? Enfin c'était ce qu'elle avait cru comprendre. Beaucoup d'hommes ne se faisaient pas prier pour faire cela avec des femmes qui n'étaient même pas leurs épouses. Alors pourquoi diable est-ce que Gabriel continuait à lui résister ? Elle n'était pourtant pas laide ni désagréable avec lui.

« J'espère que ton plan fonctionnera. J'en ai assez d'attendre. Ce bébé devrait déjà être en cours depuis un bon moment. Les gens commencent à beaucoup en parler à la cour. Certains s'impatientent. Et à vrai dire, moi aussi. »

Sûrement que sa mère pouvait comprendre son envie d'être mère à son tour. Elle avait connu la joie d'avoir des enfants et même si ça ne devait pas être de tout repos, l'idée plaisait à la princesse et elle peinait à s'en débarrasser. C'était en quelque sorte sa nouvelle obsession. Un enfant de Gabriel... Le parfait mélange de leur beauté à tous les deux, élevé dans le palais sans jamais manquer de rien... Voilà ce qu'elle voulait pour sa descendance. En attendant la solution de sa mère, Anna allait redoubler de charmes et de supplications auprès de Gabriel. Après tout, il allait bien devoir céder à un moment ou à un autre.