Il faut toujours avoir un coup d'avance (Nathaniel <3)

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es choses avaient très nettement progressé. Certes, cela ne s'observait pas directement, ce qui avait sans doute le don d'agacer plusieurs des rebelles, qui n'avaient jamais qu'une vue partielle de la situation. Et pour cause, ils n'en avaient qu'une vue partielle ! Le fugitif se gardait la vue d'ensemble rien que pour lui, et même ceux qui étaient les plus au courant (Eleonore et Anthony, en somme) ne pouvaient pas pourtant se dresser un aperçu complet de ce qui se mettait en place dans l'esprit sans nul doute dérangé de Nathaniel. Ce n'était pas plus mal, en un sens, même quand Nathaniel avait le sentiment de ne leur montrer que le plus raisonnable, ils s'alarmaient déjà, qu'est-ce que cela serait quand toutes les pièces du puzzle finiraient par s'assembler ! Il verrait le moment venu. En attendant, chaque jour qui passait, chaque nouvelle pierre apportée à l'édifice, étaient autant de marches qui l'élevaient jusqu'au trône qu'il cherchait à conquérir et qui le rapprochait de sa confrontation avec Edgar. Enfin ! Il aimait agir dans l'ombre, c'est un fait, mais il devait tout de même reconnaître regretter de devoir agir en "silence" (tout relatif) et dans l'ombre en attendant son ultime face à face avec son vieil ami.

En attendant, il se contenterait seulement d'un autre vieil ami. À qui il avait donné rendez-vous dans ce qui était, bien évidemment, l'un des lieux les moins sûrs de tout Féerie quand on était un évadé de prison activement recherché par la garde royale... D'un autre côté, c'était bien parce que c'était un endroit évident qu'on ne l'imaginerait pas prendre le risque inconsidéré de se trouver là... Dans tous les cas, il était plus simple de se retrouver ici que dans la forêt, et Nathaniel avait eu à faire à Piquiel. Il avait profiter du passage express qu'il venait d'y faire pour se faire quelques réserves plus que bienvenues et nécessaires. D'autant qu'il s'apprêtait de nouveau de se rendre de l'autre côté de l'océan. Ses allers-retours sur cette autre terre étaient de plus en plus nombreux, ce n'était en soi pas très vigilent, car il allait finir par être repéré, mais si ses escapades à travers océan pouvaient décider d'autres de faire de même, pourquoi pas, après tout, le chaos qui en résulterait faisait partie de ses plans. Il n'avait pas le choix, quoi qu'il en soit, il fallait que les choses progressent, et s'il n'allait pas consulter régulièrement l'autre côté de l'océan, l'affaire ne risquait pas de progresser. Ce fut parfaitement nonchalant, sa besace remplie de victuailles dérobées au hasard des portes ouvertes et forcées, qu'il arriva - en retard - au lieu de rendez-vous qu'il avait fixé avec Anthony. Son pas traînant et son éternel sourire témoignaient pour lui de son absence totale de scrupules à l'idée d'avoir ainsi fait attendre le serviteur du roi, qui entra bien vite dans le vif du sujet, visiblement pressé. Raison de plus pour Nathaniel de prendre tout son temps, à commencer par la manière dont il ne fit qu'évoquer l'état des troupes sans donner plus de détails.

-Tout se passe pour le mieux. On progresse. Il ne dit rien de plus, de toute façon trop curieux de savoir quelles nouvelles pouvait bien apporter son interlocuteur. Quelles sont ces nouvelles importantes ?

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ul besoin de préciser à qui le "il" dont parlait Anthony faisait référence, c'était lui, encore et toujours lui, Edgar. Le vieil ami, l'ennemi à abattre. Et Nathaniel n'avait d'intérêt pour ces confidences, d'ailleurs, que parce qu'Anthony était mieux placé que personne pour obtenir du roi de Féerie des confidences à son propre sujet. Et autant dire que c'était là une perspective qui était tout sauf pour lui déplaire. Qu'Edgar se confie à son serviteur, sans réaliser que chacune des informations qu'il lui accordait lui était immédiatement répété, c'était une pensée particulièrement satisfaisante. Même si le fugitif, au-delà du fait de se délecter de ce que le roi pouvait se faire abuser de tous côtés, voulait tout de même savoir quels étaient ses plans à l'avenir. Avoir l'opportunité d'anticiper les coups de son adversaire pour mieux pouvoir avancer ses propres pions, voilà en quoi consistait tout cela. Et oui, une fois de plus, tout cela s'analysait dans l'esprit du fugitif comme un jeu, tout n'était jamais qu'un jeu, mais un jeu dont il fallait impérativement ressortir vainqueur s'il devait en valoir bel et bien la peine.

Le roi avait donc un plan à l'esprit, et un plan qui ne manquait pas d'ingéniosité. Nathaniel devait bien le reconnaître à Edgar, au-delà de tout le ressentiment qu'il pouvait lui inspirait. Il n'avait jamais oublié d'être intelligent et stratège. Il ne s'était pas hissé sur le trône par le fait du hasard ou de la chance, après tout. Et l'on pouvait même dire qu'il avait gagné la partie précédente, car le passage de Nathaniel par la case "prison" avait tout de même duré un long moment. Trop long. La revanche n'en vaudrait que plus la peine. Il comptait atteindre Eleonore, qu'il devait considérer (peut-être à juste titre, quoi que l'ancien prisonnier était d'avis qu'il ne fallait pas la sous-estimer) comme plus facilement accessible et manipulable, en laissant courir la rumeur qu'Anna voulait retrouver sa soeur. Appel auquel Eleonore pourrait bien ne pas résister, effectivement, si elle ne flairait pas le piège. Dorénavant averti, le projet semblait tué dans l'oeuf... Mais. Il y avait souvent un "mais" avec Nathaniel, et le sourire qu'il affichait dorénavant (encore un) n'engageait à rien de bon. Ils pouvaient se contenter de tenir compte de cette information et de tenir Eleonore à l'écart... ou bien ils pouvaient en tirer profit, d'une manière ou d'une autre... Qui se demande encore quelle option était celle que le fugitif préférait ?

-Il n'a pas changé. se contenta-t-il de répliquer très légèrement, ne paraissant en rien alarmé par ce qu'il venait d'apprendre. Si Anna tient tant à revoir sa soeur, qui sommes-nous pour empêcher ces retrouvailles ? décréta-t-il du même ton innocent, en fourrant les mains dans ses poches.

Il allait devoir aviser des détails, bien sûr, mais ils avaient peut-être là une opportunité d'atteindre Edgar en amont de la guerre qui se profilait loin de sa connaissance... et c'était là le genre d'opportunité à côté duquel Nathaniel ne savait, par essence et sur le principe, pas passer.

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emander à Nathaniel ce qu'il pouvait bien avoir en tête, c'était consentir à s'aventurer dans les méandres d'un esprit complètement dérangé, comme on ne devrait pas en faire. Il n'y avait rien de bon à véritablement chercher à sonder les pensées du fugitif, surtout quand ces dernières étaient promesses de ces plans qui pouvaient aisément mal tourner, et dont la finalité échappait bien souvent à qui n'était pas Nathaniel. Cette fois ne faisait pas exception. Il est certain que, s'il émettait l'hypothèse de faire mine de tomber dans le piège tendu par Edgar, il se pourrait fort bien qu'Eleonore soit par la même mise en danger... Et pourtant, c'est ce que Nathaniel envisageait. Alors même que s'il était quelqu'un qu'il cherchait à protéger parmi tous les rebelles (à part Anthony, pour tout dire) c'était bien Eleonore, qu'il n'avait pas la moindre envie de voir finir entre les mains du roi. Alors quel était le but de tout cela ? D'avancer ces pions, seulement pour abattre ceux de son adversaire. Son pion, Eleonore, celui d'Edgar, Anna. Tout s'effritait autour du roi sans même qu'il s'en rende compte. Il n'avait plus la loyauté d'Anthony, il n'avait plus non plus celle d'Emma, et - Nathaniel y comptait, tout du moins - il n'aurait bientôt plus que celle de son épouse... et d'Anna... (en plus de celle de tout un peuple dont l'évadé de prison escomptait bien modifier l'opinion) et c'était déjà beaucoup trop.

-Et toi, qu'as-tu à l'esprit ? lui demanda-t-il, amusé de retourner la question à son interlocuteur, un jeu de plus pour lui, tout en plantant son regard dans le sien. Que me crois-tu capable de faire ? Il esquissa un nouveau sourire, se plaisant à anticiper la réponse, il ne pensait pas qu'Anthony sache lui trouver la moindre limite. Après ce qui s'était passé avec Daphnée, on avait toutes les raisons du monde d'en douter, il fallait bien le dire. Je me disais seulement, ajouta-t-il du ton le plus innocent du monde, qu'il pourrait être... intéressant de piéger Edgar alors qu'il penserait nous piéger. Toi qui fréquente régulièrement Anna... tu as peut-être pu déterminer quels étaient ses points faibles ?

C'était une question honnête. Il avait bien quelque chose à l'esprit, mais il devait bien s'aviser de quelques informations auparavant. Il ne prenait pas toujours cette peine. Bien souvent, il se contentait seulement de faire preuve du plus manifeste détachement, se moquant pertinemment des dommages collatéraux. Là non. Parce que l'enjeu était plus important, sans doute. Parce qu'Eleonore était impliquée ? C'était peut-être plus certain encore. Ou peut-être, comme toujours, quand il était question de Nathaniel et de son cheminement de pensée, qu'il valait mieux, tout simplement, ne pas poser de questions, et réagir dans la mesure de ses capacités.

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etit à petit, Nathaniel s'appliquait à dérober au roi la confiance de tout son entourage, il avait rangé Anthony de son côté, il apprivoisait petit à petit Gabriel, avec l'aide d'Eleonore, et à présent, il était temps de s'intéresser à Anna. Anna, que Nathaniel n'avait croisée qu'une fois, par hasard, et qui lui avait laissé une impression pour le moins... mitigée... Et pour cause, Nathaniel ne pouvait que la comparer à Eleonore, et il n'était pas difficile de savoir où allait sa préférence.Le fugitif avait bien vite compris que Anna serait certainement la plus difficile à détourner du chemin qu'Edgar avait tracé pour elle, mais elle ne serait pas inutile pour autant. Anthony ne mit pas longtemps à déterminer le plus grand point faible d'Anna, entre autres, car il apparaissait qu'elle en avait plus d'un. Ce point faible avait un nom et un visage familiers. Gabriel. Parfait. Excellent, même, car c'était un atout qu'il avait déjà plus ou moins dans sa manche. Il n'était pas surpris d'apprendre les sentiments d'Anna vis à vis du prince, il l'était davantage de découvrir tous les secrets qu'Anthony semblait connaître à son sujet, sans pour autant les éclairer.

-Si je comprends bien, toi aussi, tu sais ces choses qui ne doivent pas être révélées.

C'était l'avantage, Edgar avait beau traiter Anthony comme un moins que rien, il lui faisait confiance et le tenait au courant de ses desseins les plus obscurs et inavouables. Si Edgar avait un moyen de pression sur Anna, c'était donc également le cas d'Anthony. Nathaniel voyait un plan de plus en plus précis se profiler dans son esprit, il n'était pas certain, seulement, d'avoir le temps de le mettre en place avant que le roi n'avance ses propres pions. Nathaniel était curieux. Anthony disposait visiblement d'informations qu'il ne possédait pas. Pour autant, il ne l'interrogea pas sur la question, pas encore, du moins, pas par égard envers les éventuelles promesses que son ami avait pu faire à son roi mais pour donner à Anthony le sentiment d'avoir le plus de cartes en main. Afin d'engager chez lui plus de confiance. Même s'il comptait bien avoir le fin mot de cette histoire plus tard.

-Je vais avoir besoin que tu parles à Gabriel de ma part, Anthony. Il t'apprécie, non ?

Il savait que oui, cela faisait un moment qu'il songeait à jouer plus spécifiquement de cette connivence, mais jusque là, il n'avait pas voulu faire prendre ce risque à Anthony. Seulement, maintenant, il était temps d'accélerer le mouvement. Ce resterait des risques contrôlés, malgré tout. Nathaniel voyait très exactement de quelle manière le serviteur du roi pourrait s'y prendre pour, sans être associé aux rebelles pour autant, et sans que Gabriel ne puisse deviner la relation entre Nathaniel et Anthony. Il finirait inévitablement par la découvrir, certes. Mais il était encore trop tôt pour cela.

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isiblement, Anthony n'était pas décidé (pas encore, tout du moins) à lui révéler les secrets qu'il détenait au sujet d'Anna. Mais Nathaniel laissait passer, il serait toujours temps de s'y pencher plus tard, après tout. Et il comptait bien le faire au moment venu. Si cette situation pouvait vraiment leur permettre de contrer les plans d'Edgar, Anthony l'en aurait informé. Ils avaient leurs contentieux, l'un et l'autre, c'est certain, et Nathaniel savait que son ancien ami ne l'aidait pas toujours de gaité de coeur, mais ils avaient un intérêt commun, qui était de nuire à l'actuel roi de Féerie, alors si ces sombres secrets avaient pu leur servir dans l'immédiat, il s'en serait servi, c'est une certitude. Ils pouvaient faire sans pour le moment. Sans problème, même, car le fugitif avait une autre idée derrière la tête, qui ferait très bien l'affaire en compensation en attendant, de toutes les manières. Il fallait transmettre un message à Gabriel, pour le moment, c'était la priorité, et Anthony était le mieux placé pour cela. Certes, cela exigeait qu'il mette quelque peu à mal sa couverture, mais le prince était trop amoureux et trop influençable pour lui causer souci. La priorité restait la même, personne ne devait savoir que Nathaniel et Anthony étaient à nouveau en contact, mais pour le reste, il était à présent temps de prendre des risques.

-Rien de plus que ce que tu viens de me dire. Je veux que tu lui répètes ta conversation avec Edgar. Il est en droit de savoir, après tout, tu ne crois pas ?

Et le fin sourire qui s'esquissait (pour changer) sur ses lèvres en disait long sur ce qu'il avait derrière la tête. Le doute s'était dors et déjà immiscé dans l'esprit de Gabriel, c'était la première étape, maintenant, il était grand temps de ranger pour de bon le jeune Basiel de leur côté. Son opinion de fugitif ne valait pas grand chose, mais celles d'Eleonore et d'Anthony, elles , pèseraient forcément dans la balance. Bien sûr, le serviteur du roi devrait minutieusement sélectionner les informations qu'il délivrerait à son interlocuteur, mais Nathaniel ne se faisait pas de soucis à ce sujet. Après tout, l'homme y avait tout intérêt.

-Bien sûr, mon nom n'aura pas à intervenir dans la conversation. Il marqua une pause. Si tout se passe comme je le présume, c'est lui qui te parlera de moi le premier, et d'Eleonore, bien sûr. Tu l'as dit, il est la plus grande faiblesse d'Anna. Il est temps de le ranger pour de bon de notre côté.

Et songer voler une bonne fois pour toutes à Edgar sa progéniture comblait l'évadé de prison de satisfaction, c'est sûr et certain. Bientôt, Edgar serait entièrement isolé, sans plus personne dans son entourage à qui pouvoir se fier. Et alors, la victoire serait comme à ramasser avec la plus entière des aisances, même si Nathaniel n'appréciait pas que les choses soient trop simples, raison pour laquelle il avait rallié rien moins qu'un peuple à son action.

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our Nathaniel, Gabriel était un précieux élément duquel il ne fallait pas se passer. Il ne l'avait longtemps pas intégré à ses plans (parce qu'il avait ignoré son existence, tout simplement), mais il le considérait désormais parfaitement indispensable à ces derniers. Et il n'avait pas l'intention de s'épargner un élément sur lequel il pouvait avoir tout pouvoir, puisqu'il avait à ses côtés celle pour qui battait son coeur, d'autant que, au fil de leurs rencontres, l'évidence se faisait jour. Le prince n'avait plus confiance en son père, il doutait de plus en plus, et c'était parfait ainsi. Le fils se retournant contre le père. Que demander de mieux ? Qu'il ne soit pas le seul à approuver ces plans, bien sûr. Mais il était des variables qu'il fallait encore prendre en considération, et il en avait manifestement une sous les yeux. Visiblement, Anthony s'était pris d'affection pour le jeune prince. Ce qui pourrait bien freiner ses projets.. Quoique le fugitif préférait considérer que cela allait, bien au contraire, les accélerer. Comme toujours, il refusait qu'une situation ne tourne pas en sa faveur. Et donc, il faisait au mieux pour renverser la donne autant que possible. Ce fut d'un ton délicat et amical, sans doute trop pour être entièrement sincère, même s'il en donnait l'air, que Nathaniel s'adressa alors à son "vieil ami".

-Tu tiens beaucoup à lui, pas vrai ? Il marqua une pause, poussa un léger soupir. Nous n'avons pas la nécessité de le mêler à tout cela. Mais dans le fond, Nathaniel n'avait pas la moindre envie ou intention d'éjecter Gabriel de ses plans. Il était une aubaine, ne pas en profiter, ce serait une hérésie. Il planta son regard dans celui de son interlocuteur. Je te laisse le choix. Si tu le décides, j'accepte de le maintenir à l'écart, mais... Oui, évidemment, il y avait un "mais", qu'attendre d'autre de la part de Nathaniel ? Avec lui, la médaille avait toujours son revers. Un jour ou l'autre, que tu le veuilles ou non, il sera concerné. En fait, il était très certainement trop tard pour Gabriel, les doutes avaient déjà germé dans son esprit. Rien ne saurait les enlever. Et aux yeux de Nathaniel, c'était évidemment tant mieux. Pensez-vous, il n'éprouvait pas l'ombre d'un scrupule. À ce moment-là, dans quel camp préfèreras-tu qu'il se trouve ?

Évidemment, c'était un argumentaire parfaitement déloyal, mais cela était parfaitement égal à l'ancien prisonnier de l'île des soupirs. Ce n'était pas comme s'il faisait de la parole un jeu, une arme rhétorique à part entière. Avec Anthony comme avec n'importe qui d'autre, il ne pouvait céder à une parole simple et sans ambages. Au fond, mentait-il seulement ? Pas qu'il sache. Le prince Gabriel était aux premières loges, trop concerné pour que l'on puisse prétendre le maintenir à l'écart de tout ce qui allait bouleverser Féerie dans les temps
prochain. Par sa simple naissance, il était évidemment impliqué. Et le moment venu, Anthony ne voudrait peut-être pas qu'il rencontre le même sort que ce père dont il ne comptait pas seulement arracher la couronne.

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ui, bien sûr que Nathaniel savait où allait la préférence d'Anthony, et il en jouait, évidemment. Non, il ne lui laissait pas le choix, il lui laissait l'illusion d'un choix dans lequel il ne pouvait pas croire. Certes, s'il lui disait ne pas vouloir mêler Gabriel à tout cela, Nathaniel serait contraint de s'exécuter, mais il ne le ferait pas, parce qu'il savait pertinemment que le prince était quoi qu'il en soit au cœur de toutes ces histoires, il l'aurait été contre son gré, mais il voulait, en plus, prendre part à tout cela (c'était ce qui faisait une partie de son intérêt d'ailleurs). Et bien sûr, Anthony le voulait de leur côté, pas de celui du roi, qui devait de toutes les manières perdre le combat. Parce qu'il fallait que les choses changent. Même si ce changement radical n'était peut-être pas une solution digne de ce nom, mais ça, il ne laissait personne en juger, puisqu'il n'était pas décidé à délivrer ses plans à qui que ce soit. Anthony était peut-être celui qui en savait le plus (parce qu'il était aussi le mieux placé pour en savoir davantage, le mieux placé pour connaître Nathaniel, au moins un peu, c'était lui - et Edgar, en fait), et malgré tout, cela ne suffisait pas toujours, et Nathaniel ne se privait pas de le faire tourner en bourrique, comme maintenant. Alors, finalement, il accepta, ce qui fit s'afficher un sourire satisfait sur le visage de Nathaniel, bien sûr (enfin, son sourire s'était élargi, somme toute). Il parlerait à Gabriel. Mais ne voulait pas qu'il souffre davantage. Les intentions d'Anthony étaient nobles. Il avait toujours été le plus... humain du groupe. Mais ces intentions ne suffiraient pas. Cette promesse là, Nathaniel ne pouvait pas la faire à son interlocuteur. Parce que quoi qu'il advienne, à la fin, Gabriel perdrait son père. Ça n'avait rien d'heureux. Mais tant pis. Ce serait un dommage collatéral. Pour la peine, il ne répondit rien. Cela lui évitait de faire une promesse (de plus) qu'il ne tiendrait pas. De toute façon, ils avaient un nouveau sujet à aborder. Il y avait donc autre chose à savoir sur Anna... Alors, allait-il enfin connaître le fameux secret que lui dissimulait Anthony au sujet de la princesse. Nathaniel en avait le sentiment, et il bouillonnait d'impatience.

-Je t'écoute. répondit simplement Nathaniel, qui fixait son vieil ami avec intensité, attendant d'en apprendre plus sur la question.

Il ne disait rien de plus. Nathaniel, qui avait l'habitude de monopoliser l'attention et la conversation, laissait le champ libre au serviteur du roi, et lui laissait toute latitude pour en apprendre plus. Il était convaincu qu'il ne regretterait absolument pas le détour, car n'importe quel secret, et qui concernait la famille royale de surcroit, était forcément bon à entendre quelles que soient les circonstances.

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athaniel écouta Anthony sans prononcer le moindre mot, si son imperturbable sourire semblait résolument décidé à ne pas se déloger de son visage, la lueur qu'on pouvait lire dans son regard semblait témoigner d'un sérieux que très peu pouvaient se targuer de savoir lire en lui, même quand il l'était réellement, tout simplement parce qu'il adorait brouiller les pistes plus que toute autre chose. Il ne dit donc rien, quand Anthony affirma qu'il n'avait pas à expliquer au fugitif qui était Victoria. Sur le principe, en effet, il n'avait pas la moindre raison de le lui expliquer, mais le fait est que Nathaniel était en réalité à mille lieues de comprendre qui était très exactement cette jeune fille qu'il tenait seulement pour être la jeune sœur d'Eleonore, celle dont on avait inventé un mariage féérique à l'autre bout de l'océan, auquel la jeune femme s'était efforcée de croire avant de découvrir la cruelle vérité : Victoria était morte, cruellement assassinée... et jusqu'à aujourd'hui, Nathaniel n'avait pas su dans quelles circonstances, se considérant de remercier intérieurement Victoria d'avoir fait de sa mort ce feu ardent qui serait le seul en Eleonore à ne jamais savoir diminuer ou tarir. Sans elle, rien de tout cela n'aurait été possible au final, pas même son évasion. Au final, les circonstances de ce décès étaient on ne peut plus savoureuses. En effet, il y avait des choses que Nathaniel n'avait manifestement pas su, sur Anna Basiel. La sœur jumelle d'Eleonore, cette copie conforme qu'il avait rencontrée dans la forêt et qui lui avait finalement semblé ressembler si peu à sa sœur, était définitivement une femme dangereuse, à l'ambition dévorante et à la cruauté insoupçonnée. Une information de laquelle il serait pure folie de ne pas se servir. Mais si cette révélation avait de quoi le surprendre et l'intéresser au possible, ce n'était pas sur cela encore qu'il focalisait son attention pour l'heure.

-Quand tu dis qu'Edgar a confié Victoria aux parents d'Eleonore... Il n'acheva pas sa phrase, son cerveau en fusion carburait à toute vitesse. Cela voulait de toute évidence dire que Victoria n'était pas la sœur des jumelles, soit. Mais alors... Si Edgar lui-même avait confié cette enfant à la charge des Odien... Cela signifiait-il qu'il en était le père ? Possible. Pourquoi ne pas l'avoir gardée, alors ? Les possibilités étaient multiples, mais aucune ne sache satisfaire pleinement Nathaniel. Pourquoi lui laisser la vie sauve à l'origine pour choisir délibérément de la tuer ensuite ?

Son regard ne quittait pas Anthony. Se pouvait-il qu'il lui dissimule encore quelque information cruciale ? Ou bien l'information était telle que le roi n'avait pas même voulu en faire la confidence à ce serviteur qu'il présumait pourtant fidèle et au-delà de tout soupçon ? Le mystère était entier pour l'heure, et si s'échafaudaient déjà dans son esprit plusieurs plans concernant Anna, percer le mystère en question restait pour l'heure sa priorité mentale.

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es questions que Nathaniel se posaient étaient des plus nombreuses. Il était rare, d'ailleurs, qu'il soit celui qui pose les questions et attende les réponses de son interlocuteur, il préférait d'ailleurs la situation inverse, quand les questions se multipliaient à son adresse, et qu'il distribuait ses réponses avec la plus grande des parcimonies, selon son bon vouloir. Mais il ne pouvait que demander à étancher sa curiosité après les informations décisives qu'il venait d'apprendre. Décisives certes, c'était un fait avéré, mais avec certaines lacunes que le serviteur du roi ne pouvait apparemment pas combler. Lui-même ne savait pas qui était Victoria pour les Basiel et les raisons au nom desquelles elle avait été finalement confiée aux Odien, le tout pour se voir sacrifier une douzaine d'année plus tard par celle qu'elle avait dû considérer jusqu'à la fin comme sa propre sœur. C'était une situation obscure, insondable, et le fugitif déplorait d'avoir à sa portée une clé certes conséquente, mais ternie de rouille, au point que la porte qu'elle était supposée ouvrir n'y cède pas. Soit. Qu'importe. Elle lui servirait donc d'une autre manière, Nathaniel voyait d'ailleurs déjà laquelle.

Il acceptait de croire, donc, qu'Anthony n'en savait pas davantage. L'homme devait savoir mentir à la perfection, pour échapper depuis si longtemps à la vigilance d'Edgar, mais malgré tout, il le pensait sincère, pour la simple et bonne raison qu'il n'avait plus vraiment de raisons de lui dissimuler quoi que ce soit à ce stade. Il était quoi qu'il en soit probable, en effet, qu'il ait finalement décidé de tuer Victoria de crainte de voir son existence mener à mal son règne sur lequel il veillait comme à la prunelle de ses yeux. Comme il chercherait à se débarrasser de lui de manière bien plus radicale à présent qu'il le savait vivant et dans la nature. Cette perspective ne manqua pas de faire sourire largement le fugitif, d'ailleurs. Il songeait que le roi avait sans doute confié à son serviteur son intention de mettre fin à ses jours dès lors que leurs chemins se recroiseraient, et c'était bien loin de lui déplaire. C'était ce qu'ils devaient immanquablement se réserver l'un à l'autre, en effet. L'un des deux mettrait fin aux jours de l'autre, restait à savoir lequel des deux serait victorieux. Nathaniel, très confiant, pariait sans aucun mal sur lui-même.
Il hocha la tête, quand Anthony lui demanda s'il avait l'intention de dire la vérité à Eleonore.

-Elle a le droit de savoir la vérité. répondit-il simplement.

Ce qui était le cas, bien sûr, mais ne nous leurrons pas, Nathaniel n'agissait pas là par pur et simple altruisme, il voyait avant tout dans cette nouvelle information un moyen privilégiée de conserver la jeune femme sous sa coupe. Tandis qu'un plan, en annexe, s'élaborait de plus en plus clairement à l'encontre du roi de pacotille qu'il serait plus que ravi de détrôner.

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athaniel n'avait pas douté du fait qu'Anthony partageait son opinion (même si ce n'était pas pour les mêmes raisons que lui, forcément). Si, vraiment, il n'avait pas voulu que la jeune femme soit mise au courant de la réalité, le fugitif serait la dernière personne à qui il faudrait apprendre tout cela. Mais oui, à plus d'un titre, Eleonore devait savoir. Bien sûr, Nathaniel y trouvait son intérêt, il ne pouvait qu'inviter Eleonore à se rebeller plus encore contre son roi, mais au-delà de toutes ces considérations, la vérité, cette vérité du moins, se devait d'éclater, pour qu'elle connaisse enfin le vrai visage des membres de sa famille. Oui, ils étaient d'accord, et la jeune femme ne tarderait pas à apprendre le sinistre secret de sa famille, qu'elle était la seule encore pour l'heure à ignorer. Peut-être qu'il ne la croirait pas, mais dans ce cas, Anthony ne tarderait pas à le lui prouver, à lui en donner la confirmation. À son opinion à lui, il accorderait sans doute plus de crédit - et elle avait parfaitement raison, d'ailleurs, à ce sujet. Il hocha la tête quand son ancien ami lui fit remarquer que la nouvelle allait être très difficile à avaler pour Eleonore. Ça, il en avait pertinemment conscience. Il savait parfaitement quelle avait été (et quelle était toujours) l'affection de la jeune femme pour Victoria, qu'importe qu'elle ne soit pas sa sœur. Tout ce qu'elle avait, tout le chemin qu'elle avait parcouru, c'était pour elle. Que sa sœur de sang ait pu être capable d'une telle abomination ne la laisserait pas insensible, dans les premiers temps, ce deviendrait vraiment très difficile à vivre, ses repères allaient être chamboulés. Mais c'était un mal pour un bien. Le bien. Ou en tous cas, le bien selon Nathaniel.

-Je sais. répondit-il simplement. Mais tu la soutiendras, n'est-ce pas ?

Parce que son soutien, à lui, Eleonore n'y croirait pas ou n'en voudrait tout simplement pas. Anthony, par contre, avait déjà été d'un appui sûr pour elle, il voulait que ça le reste. Nathaniel le savait très bien, et c'était une véritable demande, qu'il faisait là à Anthony. Le fugitif ne pouvait pas tenir ce rôle auprès d'Eleonore, mais son interlocuteur le pourrait tout à fait, sans l'ombre d'un doute. Les prochains temps seraient compliqués pour Eleonore, c'est certain, et elle aurait besoin de soutien. Mais c'était les épreuves les plus terribles et éprouvantes qui nous rendaient plus forts, qui augmentaient notre détermination, notre rage de vaincre. L'ancien prisonnier de l'île des soupirs était bien placé pour le savoir. Il est certain qu'il était on ne peut plus satisfait de ce coup du sort, même s'il devait détruire Eleonore, parce que c'était de ce genre d'épreuves qu'elle avait besoin pour devenir plus forte, pour s'engager pour de bon et sans la moindre hésitation sur le chemin qu'il se plaisait à tracer pour elle.

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